à Raymond A.
 aux siens, disparus tragiquement
à Roselyne Bosch,  pour son film" La Rafle"
La fille de moi...
Ils m'avaient dit : " votre fille est  trop  prolixe...réduisez...réduisez et nous publierons. Elle en était arrivée là,  lorsqu'ils l'ont arrêtée. Réduire était son obsession d'écrivain. Ils l'ont emmenée  à Beaune la Rolande. Au départ du camp  pour l'autre, le 20 décembre  1942, elle ne pesait plus que  38 kilos, déjà atteinte par la peste brune. Ils ont fait le reste...elle ne reviendra plus.Je me la représente avec son  matricule 634542 et son étoile de ficelle que je lui avait offerte pour l'avoir toujours sur elle,  pliée dans sa poche, afin de la reproduire ailleurs et  penser  à moi. Vivante, aujourd'hui, elle aurait suivi  la voie ferrée avec moi.Elle aurait dit, comme autrefois: carré, cercle, angle, trois. Nous aurions ri, ensemble et tracé le carré, le cercle,  l'angle, avec les pierres blanches du ballast puis déposé trois autres pierres blanches, comme signe de passage.
Sa boucle de ceinture, un quignon de pain au barbelé, une pierre déposée sur l'aiguillage, voilà ce qu'il  me reste d'elle, voilà  ce qu'ils ont fait d'elle, les réducteurs de rêve. 
                                                                                           Roger Dautais
                                                                                  " La fille de moi" Récit de fiction
Il  y a cinq ans, en  plein  hiver, je longeais cette voie ferré,  pratiquement désaffectée, lorsque me sont remontés des souvenirs de marche,  identiques, accompagnés de ma file Fanny, en Bretagne. Nous aimions  fabriquer ces figures géométriques, entrer dans ce rituel, devenant ritournelle et repartir  à l'aventure. Trente ans plus tard, toujours attiré par ces voies ferrés, je n'ai jamais réussi  à me débarrasser de ces images de trains emportant les déportes vers leur sinistre destin. C'est sans doute,  pour conjurer cette peur que je m'arrête et fabrique de petites installations éphémères, marquant mon  passage. J'ai  pratiquement écrit ce court texte présenté, ci-dessus, in situ. Quelques temps après cette création filmée, et présentée ici, je rencontrais Raymond A. seul  rescapé avec son frère, de toute sa famille ( plus de 40 membres) de la Rafle du Vel' d'Hiv du  16 juillet  1942, dont il est devenu le président National. Je lui ai  montré mon travail et nous avons très vite sympathisé. Je vous avais raconté comment, après,  il était venu par deux fois, alors que j'évoquais les victimes du  6 juin  1944, sur les plages de Normandie,  et ceux  de la Shoas, représenter la communauté israélite. Un jour,  il  me demanda de l'accompagner  au cimetière Américain de Colleville sur Mer, non  loin de la plage d'Omaha Beach, pour déposer officiellement, pendant la cérémonie du D.Day, la gerbe de son association de mémoire des rescapés de la Rafle duVel 'd'Hiv, ce que j'avais ressenti comme un  grand honneur, et une marque de son amitié, et de reconnaissance pour mon travail.
Et  puis ce matin, jour de sortie du film La Rafle de Roselyne Bosch,  j'étais  à installer mes trois petits vidéo et je les mettais en  ligne, avant même d'y  joindre le texte "La file de moi " arrivait sur mon  blog le commentaire d'Epamin.( Je vous laisse le plaisir de le  lire).Je me suis dit : "vraiment, elle me connaît bien" et en  même temps, j'ai ressenti ce commentaire comme un  encouragement à publier ce texte. Il faut savoir qu'à chaque fois que j'évoque la Shoas,sur Le Chemin des Grands Jardins" je ne reçois pas que des encouragement,  loin de là, ce qui  me vaut, maintenant de prendre quelques précautions.
                                                                                                           Roger Dautais