Le salut aux sept Îles: à Youenn et Annaïg Gwernig
Hentoù treuz *
A l'heure où je quitte mes chemins de traverse (*Hentoù treuz ) le vent se sera chargé d'effacer mes pas, que ce soit aux sept Îles dans le Golfe du Morbihan, dans l'anse d'une autre île, le Men Du, où sur les feuilles de châtaigner et des aiguilles de pin, qui jonchent la terre autour de l'énigmatique dolmen du Luffang, sur les rives de la rivière de Crac'h. En aucune façon, je n'ai imaginé que ces installations soient pérennes, simplement des passerelles entre les êtres, vivants ou disparus et ce lieux qui me font rêver.
Le chant du sable
à Serge Thébault
L'heure de la renverse est prévue pour 16heures35 .Avec un coefficient de marée fixé à 89, la mer ne me laissera pas beaucoup de place sur la plage. Je commence quelques installations dans le bois de pins maritimes qui se situe à gauche, en sortant de la Trinité sur Mer, en direction de Carnac. Malgré un soleil généreux, l'air reste frais avec ce vent de Nord. La lumière filtre à travers les branches et joue avec la couleur brune aux reflets rouge des aiguilles de pin.
Avant de rejoindre la côte, je trace une spirale d'aiguilles de pin, avec le plat de ma main. Le sol est doux, presque souple. J'aime cette tendresse que la terre m'envoie, comme un message et je termine mon mouvement de spirale par un enlacement du pin le plus proche.
Je quitte le lieu et me dirige vers l'anse du Men Du. Lorsque j'arrive sur la plage, la mer a déjà rempli une très grande surface de cette anse et, de plus, elle monte encore. Ne sachant pas encore s'il me restera assez de place pour tracer une spirale, j'en prends le pari et j'évalue la nature du sol. Le sable st assez compact ce qui veut dire, plus difficile à travailler. Si je veux tracer,je dois le faire sans perdre de temps. Je débarrasse l'endroit choisi des plus gros paquets de goémon et je les rends à la mer.
Je choisis le centre de ma future spirale et, corps tendu, énergie concentrée, je commence à dérouler le sillon. Cinq à six minutes suffisent pour tracer les premiers tours, les plus serrés, ceux qui font tourner la tête, et puis, c'est la prise de rythme.
Sans le regard qui calcule, jauge, évalue, transmet l'ordre du mouvement aux pieds, rien ne va. Il ne doit pas s'échapper vers l'horizon mais, rester Focalisé sur cette mécanique des pieds et des jambes, pendant une heure à une heure trente, selon les difficultés rencontrées. Pendant les courtes poses, c'est lui qui évalue le travail réalisé. Les bras sont, soit, le long du corps, accompagnant le mouvement d'un léger balancement, soit, croisés derrière le dos quand l'avance se fait difficile et que le corps entier participe au mouvement.
Je me laisse bercer par le chant du sable. Mon talon gauche repousse le sable et trace le sillon, centimètre par centimètre et cela produit une petite musique : freschh, freschh, freschh auquel répond le chant de la mer qui pousse ses vagues courtes sur le rivage :sluchh,sluchh, sluchh et je suis le seul témoin de ce véritable kan ha diskan que le vent emporte vers le large. J'aimerai partager ce bonheur avec celle que j'aime et je la rejoins par la pensée.
Il me reste 5 tours à tracer, la mer s'approche et je crois être obligé de lui laisser gagner la partie. A-t-elle saisi mon inquiétude, est-ce son heure, les deux, probablement puisqu'elle choisit de se retirer au même moment. L’ile du Men Du se détache comme une ombre chinoise de la plage de Carnac. La partition à trois reprend et le sable chante à nouveau sous mes pieds, accompagnant le départ de l'océan.
Ma spirale n'est pas extraordinaire, car le sable est un peu gris,mais elle s'intègre parfaitement aux lieux. La gratuité de l'acte me plait, son côté éphémère aussi et cette question qui me revient à chaque fois : si c'était la dernière ?
Je quitte sans regret la plage où il ne fait plus que 5 °.Demain , sera un autre jour.
Le jour d'avant
Pour Annaïg Gwernig
Retour aux sept îles, sous un soleil généreux. Je continue l'exploration des lieux et je pense à ces vers de Xavier Grall qui me sont parvenus d'une artiste Dinannaise:
Viens en cette Bretagne ancienne /Je plaide pour l'homme nouveau /Je chante la route, le cercle, la danse /Je dis le retour de la fraternité.
Après ceci, je ne peux me tromper de geste. Les pierres s'accoupleront au chêne mort, les sables serviront de linceul aux vaines pensées car l'enfouissement des souvenirs demande beaucoup de précautions si l'on veut, en même temps, garder une chance de les retrouver. La mémoire s'ensauvage et se rebelle lorsque l'âge s'impose dans la dernière ligne droite. Garder un peu d'images pour nourrir mes racines avant la bascule fatale. Les cairns montent, issus de la terre. Il faut assurer leur langage. La maladresse d'un mot, d'une pierre mal posée,une bousculade, un retard et voilà l'oubli qui règne en maître aux Sept Îles et nous ressert des plats vides et froids. On n'invite pas les morts aux festins virtuels, ils n'aiment pas ça. La mer est froide, l’exercice périlleux. La solitude habitée des vers de Grall n'est pas là pour arranger les choses. Aucune thérapie ne peut l'éradiquer. La progression se fera entre les hauts murs de la mémoire, les cris entendus, les cadavres rigides et bleus. Les descentes aux enfers tatouent le cœur de stigmates aux fers rouges. Puisqu'il faut se perdre offrons au soleil les dernières pierres froides. Qu'il les transforme en or au regard de l'enfant qui partagera sa joie avec son père.
Ici tout est permis puisque l'esprit divague et se laisse enchanter par la poésie des lieux. Aux rides profondes d'une pierre plate, j'ai osé ajouter quelques couleurs vives et les chemins de traverse m'ont emmenés jusqu'au bout de la nuit, danser au Sabbat d'Etemclin, en attendant le solstice d'hiver.
Le jour d'après
Je continue ma découverte des mégalithes et, j'approche du dolmen de Luffang. J'ai toujours ce pincement au coeur lorsque j'approche de ces terres sacrées. A deux pas de la rivière de Crac'h, elle même reliée au Golfe du Morbihan, ce dolmen est une ancienne allée couverte de 20 mètres de long qui a perdu toutes les dalles de recouvrement. Le lieu est très magnétique. Je commence par faire le tour de l'ensemble en touchant chaque pierre, puis j'entre dans l'allée. Le concert de croassement des corbeaux perchés au-dessus des arbres, cesse au moment même où je commence ma première installation. Je suis bien au royaume des morts dans cette sépulture et je travaille dans un silence absolu. Je vous l'ai dit, on n' invite pas les morts aux festins virtuels, ce sont eux qui se présentent. Mon père est présent, dans l'humus, la mousse, les feuilles mortes, nous travaillons côte à côte, comme autrefois.Ces confidences gênent certaines personnes. Qu'elles passent leur chemin, je sais faire la part des choses.
Je suis parfois dans la sépulture, parfois, dehors mais toujours relié à la grande mémoire des lieux par mes travaux. Je n'ai pas d'autres explications à cette communion mystique et sacrée où personne d'autre que moi aurait sa place en ces moments que je ne fabrique pas. Toutes mes installations sont rondes et me rattachent à des faits précis de ma vie. Dès que je quitte les lieux, les corbeaux reprennent leurs palabres et je les remercie de cette parenthèse silencieuse.
J'irai saluer la rivière pleine de cette marée Atlantique que je rêve de côtoyer du c^té de Port-Louis, un de ces jours prochains.
Roger Dautais
J'avais demandé à Marie-Josée Christien de trouver une légende à la dixième photo de ce jour, de la traduire en Breton, ce qu'elle a fait par amitié et je l'en remercie.
" Hentoù treuz " correspond bien à l'esprit de mes voyages.
Cairn de Barnenez
Je sens la pierre
la terre une fois de plus
indubitables
le plus beau monument humain
le plus majestueux
le plus simple
comme si une beauté très lointaine
m'était enfin rendue
sans que je puisse
comprendre davantage
Au seuil du vent
le cairn
exhibe son squelette
ses aspérités
La porte du monde
est ouverte.
Marie-Josée Christien *
Un monde de pierres
Éditons Blanc Silex 2001
* http://mariejoseechristien.monsite-orange.fr/
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