La vie, comme elle va

"S'il suffisait de lire comme dans une bulle de cristal, alors, ce serait, facile.Mais il faut vite déchanter, prendre la route, sac au dos et marcher, toujours marcher pour oublier ce que l'on a déjà fait, ce que l'on va faire. Il faut attendre que la nature nous prenne et nous ouvre sa voie. C'est une progression incessante, pour de si petites choses".
Roger Dautais . Septembre 2009

Un voyage étonnant au cœur du land Art

mercredi 4 décembre 2013



Offrande au dolmen de Luffang : pour Sylvie Méheut

Vie et mort au dolmen de Luftang : à mon  Père


La parole donnée :  à Danièle Duteil


L'oubli : à Patrick Lucas


Le chant du sable : à Marie-Claude


Les beaux jours  à Mériadec :  pour Tony et Stéphanie 

Enlacement : pour Erin

Soigner la mémoire : à Francis Eustache
Survivre au chaos : pour Sadaya
Hentoù treuz : à Marie-Josée Christien

Le grand passage : à Rick Forrestal
Le salut aux sept Îles: à Youenn et Annaïg  Gwernig



Hentoù treuz *

A l'heure  où je quitte  mes chemins de  traverse (*Hentoù treuz ) le vent se sera chargé d'effacer  mes  pas, que ce soit aux sept Îles dans le Golfe du Morbihan, dans l'anse d'une autre  île, le Men Du,  où sur les feuilles de châtaigner et des aiguilles de pin, qui  jonchent la terre autour de l'énigmatique dolmen du Luffang, sur les rives de la rivière de Crac'h. En aucune façon, je n'ai  imaginé que ces installations soient pérennes, simplement des passerelles entre les êtres, vivants  ou disparus et ce  lieux qui me font rêver.

Le chant du sable

à Serge Thébault

L'heure de la renverse est prévue  pour 16heures35 .Avec un coefficient de marée fixé  à 89, la mer ne me laissera  pas beaucoup de  place sur la plage. Je commence quelques installations dans le bois de  pins maritimes qui se situe  à gauche, en sortant de la Trinité sur Mer, en direction de Carnac. Malgré  un soleil généreux, l'air reste frais avec ce vent de Nord. La lumière filtre à travers les branches et joue avec la couleur brune aux reflets rouge des aiguilles de  pin.
Avant de rejoindre la côte, je trace  une spirale d'aiguilles de pin, avec le plat de ma main. Le sol est doux,  presque souple. J'aime cette tendresse que la terre  m'envoie, comme un message et je termine  mon  mouvement de spirale par un enlacement du  pin le plus proche.
Je quitte le lieu et me dirige vers l'anse du Men Du. Lorsque j'arrive sur la  plage, la mer a déjà rempli une très grande surface de cette anse et, de  plus, elle  monte encore. Ne sachant pas encore s'il  me restera assez de  place  pour tracer  une spirale, j'en  prends le pari et j'évalue la nature du sol. Le sable st assez  compact ce qui veut dire,  plus difficile  à travailler. Si je veux tracer,je dois le faire sans perdre de temps. Je débarrasse l'endroit choisi des plus gros paquets de  goémon et je les rends  à la mer.
Je choisis le centre de ma future spirale et, corps tendu, énergie concentrée, je commence  à dérouler le sillon. Cinq  à six  minutes suffisent pour tracer les premiers tours, les plus serrés, ceux qui  font tourner la tête, et puis, c'est la prise de rythme.
Sans le regard qui calcule, jauge, évalue, transmet l'ordre du mouvement aux  pieds, rien ne va. Il ne doit  pas s'échapper vers  l'horizon mais, rester Focalisé sur cette mécanique des pieds et des jambes, pendant  une  heure  à  une heure trente, selon les difficultés rencontrées. Pendant les courtes poses, c'est lui qui évalue le travail réalisé. Les bras sont, soit, le long du corps, accompagnant le mouvement d'un léger balancement, soit, croisés derrière le dos quand  l'avance se fait difficile et que le corps entier participe au  mouvement.
Je me laisse bercer  par le chant du sable. Mon talon gauche repousse le sable et trace le sillon, centimètre par centimètre et cela produit une petite musique : freschh, freschh, freschh auquel répond le chant de la mer qui  pousse ses vagues courtes sur le rivage :sluchh,sluchh, sluchh et je suis le seul témoin de ce véritable kan ha diskan que le vent emporte vers le large. J'aimerai  partager ce bonheur avec celle que j'aime et je la rejoins par la pensée.
Il  me reste 5 tours  à tracer, la mer s'approche et je crois être  obligé de  lui laisser gagner la partie. A-t-elle saisi mon  inquiétude, est-ce son  heure, les deux,  probablement puisqu'elle choisit de se retirer au  même  moment. L’ile du Men Du  se détache comme  une ombre chinoise de la plage de Carnac. La partition  à trois reprend et le sable chante  à nouveau sous mes  pieds, accompagnant le départ de  l'océan.
Ma spirale n'est pas extraordinaire, car le sable est un peu gris,mais elle s'intègre parfaitement aux  lieux. La gratuité de l'acte me plait, son  côté éphémère aussi et cette question qui me revient  à chaque fois : si c'était la dernière ?
Je quitte sans regret la plage où il ne fait plus que 5 °.Demain , sera  un autre jour.

Le jour d'avant

Pour Annaïg Gwernig

Retour aux sept  îles, sous  un soleil généreux. Je continue l'exploration des lieux et je pense à ces vers de Xavier Grall qui me sont parvenus d'une artiste Dinannaise:
Viens en cette Bretagne ancienne /Je plaide pour l'homme nouveau /Je chante la route, le cercle, la danse /Je dis le retour de la fraternité.
Après ceci, je ne peux me tromper de geste. Les  pierres s'accoupleront au chêne  mort, les sables serviront de linceul aux vaines  pensées car l'enfouissement des souvenirs demande beaucoup de précautions si  l'on veut, en  même temps, garder  une chance de les retrouver. La mémoire s'ensauvage et se rebelle lorsque l'âge s'impose dans la dernière ligne droite. Garder un  peu d'images pour nourrir mes racines avant la bascule fatale. Les cairns montent, issus de la terre. Il  faut assurer  leur langage. La maladresse d'un  mot, d'une pierre mal posée,une bousculade, un retard et voilà l'oubli qui règne en maître aux Sept Îles et nous ressert des plats vides et froids. On n'invite  pas les morts aux festins virtuels, ils n'aiment pas  ça. La mer est froide,  l’exercice périlleux. La solitude habitée des vers de Grall n'est pas  là  pour arranger les choses. Aucune thérapie ne peut  l'éradiquer. La progression se fera entre les hauts  murs de la mémoire, les cris entendus, les cadavres rigides et bleus. Les descentes aux enfers tatouent le cœur de stigmates aux fers rouges. Puisqu'il faut se perdre offrons au soleil les dernières pierres froides. Qu'il les transforme en or au regard de  l'enfant qui  partagera sa joie avec son  père.
Ici tout est  permis puisque l'esprit divague et se laisse enchanter par la poésie des lieux. Aux rides profondes d'une pierre plate, j'ai  osé ajouter quelques couleurs vives et les chemins de traverse m'ont emmenés jusqu'au bout de la nuit, danser au Sabbat d'Etemclin, en attendant le solstice d'hiver.

Le jour d'après

Je continue ma découverte des mégalithes et, j'approche du dolmen de Luffang. J'ai toujours ce pincement au coeur  lorsque j'approche de ces terres sacrées. A deux pas de la rivière de Crac'h, elle même reliée au Golfe du Morbihan, ce dolmen est une ancienne allée couverte de 20 mètres de  long qui a perdu toutes les dalles de recouvrement. Le lieu est très magnétique. Je commence par faire le tour de  l'ensemble en touchant chaque  pierre, puis j'entre dans l'allée. Le concert  de croassement des corbeaux perchés au-dessus des arbres, cesse au moment  même  où je commence ma première installation. Je suis bien au royaume des morts dans cette sépulture et je travaille dans un silence absolu. Je vous l'ai dit,  on n' invite pas les morts aux festins virtuels, ce sont eux qui se présentent. Mon  père est  présent, dans l'humus, la mousse, les feuilles  mortes, nous travaillons côte  à côte, comme autrefois.Ces confidences gênent certaines  personnes. Qu'elles passent leur chemin, je sais faire la part des choses.
Je suis parfois dans la sépulture, parfois, dehors mais toujours relié à la grande  mémoire des lieux par mes travaux. Je n'ai  pas d'autres explications à cette communion  mystique et sacrée où personne d'autre que  moi aurait sa place en ces moments que  je ne fabrique  pas. Toutes mes installations sont rondes et me rattachent  à des faits  précis de ma vie. Dès que je quitte les lieux, les corbeaux reprennent leurs palabres et je les remercie de cette parenthèse silencieuse.
J'irai saluer la rivière pleine de cette marée Atlantique que je rêve de côtoyer du c^té de Port-Louis, un de ces jours prochains.

Roger Dautais

J'avais demandé  à Marie-Josée Christien de trouver une légende à la dixième photo de ce  jour, de la traduire en Breton, ce qu'elle a fait par amitié et je l'en remercie.
" Hentoù treuz " correspond  bien  à  l'esprit de mes voyages.



Cairn de Barnenez


Je sens la pierre

la terre une fois de plus

indubitables

le  plus beau  monument humain

le  plus majestueux

le  plus simple


comme si  une beauté très lointaine

m'était enfin rendue

sans que je puisse

comprendre davantage



Au seuil du vent

le cairn

exhibe son squelette

ses aspérités


La porte du monde
est  ouverte.


Marie-Josée Christien *

Un monde de  pierres
Éditons Blanc Silex  2001

* http://mariejoseechristien.monsite-orange.fr/




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Landartiste, photographe, auteur de livres pour enfants, Roger Dautais est aussi un artiste atypique, sensible et attachant.Il a sû, dans la diversité de ses expressions, trouver une harmonie par la pratique quotidienne de cet art éphémère : le Land Art. Il dit "y puiser forces et ressources qui lui permettent, également, depuis de nombreuses années, d'intervenir auprès de personnes en grande difficulté ( Centre de détention pour longues peines et personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer) pour les aider par la médiation de l'art.