à Monika Kafka.
J'écoute gymnopédie n°i d'Erik Sati, en boucle. Je pense à Rosy dans sa petite maison de pêcheurs de Honfleur, située à deux pas du musée consacré au musicien. Elle écrivait ce long poème en Anglais, dont elle était l'auteur, qui parlait de sacrifice, à même le sable, à partir de mes spirales. Cent mètres d'écriture pour les relier à la mer. Il n'y a qu'une femme pour avoir une telle idée poétique. La plage s'appelait Omaha Beach. J'avais allumé le feu sous l'étoile de David, en compagnie de Raymond. Aujourd'hui qu'il est parti, je porte cette étoile autour du cou. Les sables sont emprunts à jamais des mots de Rosy.
Cette musique de Sati m'entraine vers les corps tassées, sans vie à la porte des douches, tractés au crochet vers les fours. Je suis obsédé par ces images. Je ne supporte pas les cris des hommes enfermés. Je ne supporte aucun enfermement arbitraire. Tout se mèle qui remonte en moi, les mots les craquements des os, les mémoires amnésiques empilées, les enfants se tenant par la main, emportés vers les fours, vivants. Mon Dieu, comment croire cela possible...
Je quitte le cauchemar diurne. Il pleut, le vent recouvre les terres labourées, de feuilles éparses.
J'ai perdu l'horizon. Je ferme les yeux. Vision:
de trains en partance, de gendarmes, de chiens policiers. Tu me racontais Raymond, maintenant c'est ma mémoire qui me raconte, me raconte, me raconte sans cesse.
J'ouvre un de mes carnets de route
J'ai écrit ça dernièrement:
Répète-moi, elle est partie, n'est-ce pas ? Les blés d'or, c'est fini et le vent de la plage Saint Michel a balayé les sables blancs.
Filons, il n'est plus l'heure. Mon cœur se recouvre d'une brume de mer.
tu avais dit:
- "pas d'eau, plus de vent, papa. Il est tombé, regarde...ton cerf volant".
T'avais souri aux anges, tutoyé les étoiles au-dessus des blés mûrs. Tu avais, en regardant les pétales de coquelicot, prononcé le mot sang, évoqué la rafle du Veld'hiv en essuyant tes yeux. Tu avais tendu tes petits bras d'enfant et moi je t'avais dit :
- " écoutes les cris des hyènes, c' est le retour de l'ordre noir".
Tu étais venue à ma rencontre avec Massa, la reine. Tu avais le don pour la vie, le chant .la danse aussi.
Je n'ai plus qu'une immense peine, ici, près de la mer, parmi les loups revenus hanter mes nuits après ton départ. De mémoire, j'ai gardé la musique de tes yeux amnésiques, de ton regard vidé de sens, du mien, perdu. d'un souvenir posé au bord de la route sur l'asphalte, j'ai tourné les pages. Les anges sont venus écouter la chanson ds blés d'or.
Dort, petite. Dort, mon enfant au creux de mes bras, les marquis dorés et poudrés ne t'arracheront jamais l'étoile qui brille dans tes yeux.
Il est passé le marchant de sable et la louve allaite ses petits d'un sang vengeur sur les marches du Capitole.
L'heure est venue d'être seul sous les branches de saule.
Il faudrait allumer les feux de solitude, comme à Brest autrefois. Il faudrait retrouver nos ancêtres naufrageurs, égarer les navires chargées de mercenaires. Il faudrait les guider la nuit, les leurrer de nos cavales blanches, vers les falaises à suicide et les voir précipités sur les roches, cent mètres plus bas, au pas de l'oie.Il faudrait un bon vent d'amont pour gonfler mes voiles et m'emporter vers toi en faisant le tour de la terre s'il le fallait. Mais le vent est tombé.La corne de brume sonne l'heure des amants défunts. Je reprends la route entre deux rangs de chiens enragés qui veulent prendre mon pays en otage.
Ici, l'odeur fétide des hyènes, babines retroussées, gâche la beauté du paysage.
Je pars et ne reviens plus ici, ni ailleurs, je prends la route, je deviens la route, le chemin, la pierre.
Roger Dautais
" Le hyènes"
à Ouistreham, dimanche 6 mars 2011
Großväter
Der eine trug sein Kreuz
rot aufgemalt (man sagte mir)
nicht nur bis Stalingrad
Fern war dort Hippokrates
und längst gebrochen
der Stab des Äskulap
das Heil versickerte im Schnee
(wie klang danach
sein Lautenspiel?)
Der andere entkam
zunächst
hinter Reißbrett und
Maschinenträume so lang
bis sich dazwischen schoben
Bombenflieger
nicht nur in Tusche –
Ein vollbesetzter Irrtum
(der Geschichte, wie man spät erfuhr)
trug ihn schließlich doch noch fort
für immer
hinter ausgediente Fronten
ins neue Bruderland
voll von schwarzem Schnee
Väter
waren sie beide doch groß
bleibt nur die Frage
was hätten sie mir wohl erzählt?
© Monika Kafka, 2007