Spirale Terraqué ( Carnac) : pour Eugène Guillevic |
Spirale Terraqué : détail. ( circonférence, environ 45 mètres ) |
Startijenn : pour Annaïg Baillard |
Love in landscape : pour Marie-Claude |
Le passage du temps : pour Camino roque |
Karnag blues : pour Marie-Josée Christien |
Medium and spiral : pour Patrick Lucas |
Éclats de cœur : pour Tilia |
Les chemins d'or de Ty bihan : pour Ana Minguez Corella |
Fest deiz : Gwenola Gwernig |
Cicatriser les mémoires : pour Fanch Kerouac |
Un trou dans le ciel : Pour Lucie Albertini |
Exil : Pour Isabelle Jacoby |
à Eugène Gullevic
Le chant de Ty Bihan
Qu'est-ce qu'un mort peut bien penser d'un cadeau ?
Je pars avec cette idée en tête, d'honorer cet homme, non en écrivant un livre de plus , ce dont je serais bien incapable mais de travailler sur ses traces, avec ce que je sais faire de mieux. De Guillevic,je ne peux retenir que mes bonheurs de lecture. Je n'aime pas toutes ces études menées sur les auteurs, sur leur œuvre, disséquée, découpée en rondelles de saucisson. Je préfèrerai toujours ces rencontres, d'un livre à l'autre, d'un lieu à l'autre, lui ayant servi de cadre de vie.
Pendant une dizaine de jours, je vais donc faire plusieurs voyages à Carnac, sa ville natale. J'y suis déjà passé pratiquer le land art mais, là, cette fois, la quasi totalité de mon travail se fera ici.
Je veux oublier la difficulté que j'avais eu à trouver sa petite maison natale, nichée dans une ruelle sombre du centre ville. A l’office de tourisme, une jeune stagiaire m'avais dit : je ne connais pas, je ne sais pas. Dans un bistrot situé à 50 mètres de sa maison, j'avais entendu : "qui ça ? Gullevic, connais pas y doit pas venir boire un coup ici, on connait tout le monde". Bon, je leur avait brièvement expliqué, un poète, malgré tout, célèbre, et de plus né ici. Réponse, dans un éclat de rire général : "nous on s'occupe pas de ça ! "
Célèbre, c'est vite dit, pas pour tout le monde et voilà qu'un autre ami me disait, " tu sais, Guillevic, il est un peu au purgatoire".
J'aurais peut-être dû choisir Slatan, là, au moins. Mais le foot, c'est pas mon truc.
J'ai donc cherché sa maison et je l'ai trouvée. Certes, pas un château, mais une maison tout de même, avec une petite cour attenante. Pour ce qu'il avait été heureux dans sa petite enfance, je ne crois pas qu'il y revenait souvent. Qui sait. Par contre, à Carnac, oui, il y revenait souvent.
Alors j'ai parcouru à nouveau les principaux sites mégalithiques : Le Ménec, Kermario, son géant, Kerkado, le tumulus St Michel, le bourg, de long en large, puis la côte, par le chemin des douaniers, depuis la plage de St Colomban, celle de Ty Bihan et jusqu'aux limites du Men Du.
Marcher, cela va bien, mais un jour, il faut bien se poser et attaquer le travail.
9 heures, Plage de Ty Bihan. Je descends dans l'arène . Il fait 4° et je n'ai pas très chaud.Je vais réaliser une spirale à marée basse. Au Nord, le bourg de Carnac, la maison de Guillevic, au sud, l'Océan Atlantique, en mémoire, Pélieu, Jégou, Thomassaint, à l'Ouest, Gwernig, à l'Est, un pâle soleil qui m’accompagnera jusqu'à la fin de l'exercice.
Le sable est damé, luisant, argenté, un peu essuyé, mais malgré tout, compact. Encore un dur moment à passer car il résistera bien.
Je suis à peu près seul, ce qui me permet de travailler plus tranquillement. La plage est en légère pente et cette déclivité suffit pour trouver des densités de sable différentes sous le pied ce qui se traduit par plus de difficultés pour moi. Si je veux obtenir une belle régularité, je dois en tenir compte pour compenser mon tracer par un appui plus ou moins insistant au moment où mon talon gauche creuse l’unique sillon. Le sable chante bien et la mer lui répond, courtes vagues, tempo lent mais appuyé, il n'y aurait plus qu'à y poser des paroles et naîtrait " in situ " Le chant de Ty bihan ". Pour ces instants de bonheur intense, je donne une grande partie de ma vie et je me sens tellement petit dans cette immensité, mais aussi, rattaché au grand univers qui me parle ainsi au plus profond de moi. Etre une parcelle d'univers, une poussière d'étoile et s'en rendre compte.
Je termine fatigué mais heureux du résultat. Je vais réaliser un prolongement de cette spirale , vers le soleil levant, pour célébrer le printemps, puisqu'il débute aujourd'hui. Une germination, des volutes en forme de crosse de fougères, un clin d’œil à la nature qui se réveille.
Je monte sur la falaise. Je sais que le regard de Guillevic s'est posé sur cet océan. Je le regarde à mon touR, puis je vois cette spirale, de haut, je lui en fait cadeau, aujourd'hui.
Je ne peux malgré tout oublier La Baie de St Jean, dans la ria de Crac'h , quelques kilomètres au nord, à vol d'oiseau. Je passe par le grand dolmen de Luffang, en fait, une allée couverte de 25 mètres qui a perdu ses pierres de couverture, mais reste un lieu magique. Je ne me sépare jamais de ma boussole qui me permet de m'orienter et de me situer dans la géographie de la région. Lorsque j’arrive sur le site, un concert de corbeaux, m’accueille. Ils ont niché en grand nombre dans les pins maritimes. Je commence par de petites installations, très colorées, déstructurées, histoire de casser les codes de la géométrie. Cela se rapprocherait presque d'un travail de peinture. Puis je reprends les formes plus classiques du mandala. Je ne tiens pas à m'enfermer dans un style quelconque. Je pense avoir le droit de revendiquer une liberté d'expression totale.Le chant des oiseaux s'est amplifié. Ils me montrent ainsi qu'ils m'ont repéré, jusqu'au moment où ils comprennent que je ne leur veut aucun mal et leur cacophonie cesse d'un seul coup.
Je pénètre dans l'allée de Luffang. Terre d'ossements aurait dit Guillevic, terre de recueillement, terre sacrée aussi. Faire le lien entre le vivant et le mort. J'ai cueilli mes fleurs d'or,sur la route, et je ramasse des brassées de bois mort au pied des pins, ainsi que des aiguilles de pin, très vertes, que la tempête aura fait chuter. Je descends avec le tout au milieu de l'allée et je travaille à genoux pour plus de précision. Une belle émotion me traverse et là aussi, je me sens faire partie du lieu. Des merles, plus paisibles on pris le relais des corbeaux.
Lorsque j'arrive en Baie de St Jean;je vais rester très longtemps à contempler cette immense plaine d'eau où nagent quelques oiseaux de mer. Le calme est imposant et je vais monter un seul cairn en cet endroit avant de rejoindre le Gisant de St Jean. Réalisé cet hiver, tout est resté en place, mais la forme du corps s'est aplatie et les tuiles rouges se sont enfoncées dans le sable. Je ne me vois pas, pour l'instant, le déranger et je réalise deux petites installations à ses pieds avant de reprendre la route.
Mardi, onze heures quinze, tu es de plus en plus en retard, me dit Serge, en continuant de lire son journal. Serge Thébault est un poète Alréen, à part entière, un auteur reconnu, un homme pétri d'humanité. J'ai fait sa connaissance il y aura bientôt un an, lorsque je suis revenu habiter en Bretagne. Nous avons sympathisé et pris l'habitude de nous rencontrer,une fois par semaine. Nous parlons de la vie qui va, de la poésie, bien sûr. C'est ainsi qu'il m'a confié avoir été l'ami de Guillevic pendant de nombreuses années. J'ai appris sur lui plus que par tous les livres que j'aurai pu lire, lui ayant été consacrés. Cela m'a rapproché de ce poète oublié par trop de gens et c'est ce qui m'a décidé à lui rendre hommage, aujourd'hui.
Roger Dautais
Spirale
Je sais qu'amenuisant
Durant mon aventure
L'espace que j'enclave
Je sais que tournoyant
Autour de quelque chose
Qui est moi-même et ne l'est pas,
Je finirai par être
Ce point auquel je tends :
Vrai moi-même, le centre
Et qui n'est pas
Cercle
Tu es un frère
On peut s'entendre
Fais moi pareil,
Enferme moi.
Réchauffons nous,
Vivons ensemble
Et méditons.
Eugène Guillevic
Du domaine 1977
Euclidiennes 1967 Gallimard
***
Guillevic
Guillevic aimait Rimbaud
mais ne l’idolâtrait pas
Guillevic lisait Ady
mais ne le sanctifiait pas
Guillevic lisait Ady
mais ne le sanctifiait pas
Guillevic tonnait Trakl
mais ne le magnifiait pas
Il aimait à me dire
" le poème est au-dessus
de celui qui écrit
tant dans sa promesse
que dans son prolongement.
La poésie
A guillevic
Je pose la question unique :
c'est quoi la poésie ,
Il m'invite à boire le vin
comme une cérémonie
en humant le nectar
en humectant mes lèvres de son parfum
en le laissant glisser lentement
le long de mon palais
jusqu'au fond de ma gorge.
Ahuri, je regrade mon interlocuteur.
" C'est ça la poésie
rendre le sacré
à chaque geste de la vie."
Serge Mathurin Thebault
GUILLEVIC
Éditions Gérard Guy
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