Trois sacrifiés |
Le temps qui passe |
Jeu de lignes |
Spirale ses 24 heures du jour |
Résonance |
à Cécilia Vilas Boas : Passer le pont |
Pour Leovi : L'heure unique |
Spirale blanche |
Pour Elfi : Cadre de vie |
Guetteurs d'orage |
Pour Orvokki : Sortie de ville |
Enroulement |
Traversée du miroir aux portes d'Ardennes |
à Pierre Boyer *
La traversée du miroir.
Le temps est stable. Il n'y a pas de vent et c'est ce qu'il faut pour me rendre où je vais. Je quitte la ville en direction du nord-est et après une quinzaine de kilomètres, je gare ma voiture à l'entrée d'un champ. Je traverse la route, passe deux profonds fossés, escalade un talus et me glisse à plat ventre sous une rangée de barbelés. C'est souvent comme ça pour entrer dans une carrière et celle-ci est particulièrement gardée. De l'autre côté, je dois encore franchir une dizaine de mètres au travers d'acacias dont les épines sont presque aussi dissuasives que les barbelés. Il faut progresser doucement. J'arrive sur une ancienne route d'accès à la carrière, absolument déserte et dont les cotés ont été arborés pour donner un semblant de vie à ce lieu sinistre. Je contourne la béance noire et plonge vers ce lieu impossible à fréquenter par grand vent. J'entre dans une carrière absolument noire. Une usine qui emploie le charbon pour faire tourner ses fours a choisi cette ancienne carrière de calcaire pour en faire le dépôt des déchets. Tout est noir. Le charbon a tué la végétation sur des hectares alentour. J'ai devant moi, des montagnes noires qu'il est impossible d'escalader, car trop instables. Je vais donc travailler sur leur flanc. Je commence par aller récupérer des pierres calcaires au pied des falaises qui cernent le lieu. Je dessine en premier, un grand cercle de pierres blanches qui symbolisera le temps présent. En amont, je réalise une spirale qui se déroule en un axe, arrêté par une première parenthèse à gauche du cercle. Parenthèse à droite du cercle, puis reprise de l'axe qui se termina par une flèche.
La spirale symbolise, la naissance, le temps passé, la flèche, symbolise le futur. L'ensemble se nommera : le temps qui passe.
Avant de quitter les lieux, je réaliserai une seconde installation qui portera le nom suivant : Les trois sacrifiés. J'évoque ainsi, ceux qui osent et résistent au prix de leur vie.
Je ne suis pas retourné dans ce lieu depuis longtemps car je ne m'y sens pas à l'aise et je me demande d'ailleurs pas s'il ne serait pas pollué par ces déchets. Il est donc, devenu pour moi, un souvenir.
Je croise ainsi mes souvenirs avec une pratique du land art, me rapprochant chaque jour de la conclusion.
A quoi pensais-je, au cœur de cet été, non loin de l'Abbaye d'Ardenne, en regardant s'élever une fumée du crématorium, qui emportait le souvenir d'un être trépassé. Pourquoi, l'avais-je aussitôt traduit par ces deux cadres posés dans un champ de blé? La traversée du miroir étant un dernier acte naturel, il restait pourtant une part indestructible de souvenir dont il me fallait parler sans dire un mot. La vie, la mort, intimement contenues en moi, j'allais, bringuebalant ma condition humaine, d'installation éphémère en signes incompréhensibles pour les autres, raconter et raconter encore, que l'humanité avait besoin de ces actes de création, qu'ils soient d'autres ou de moi-même. Ainsi, il existerait, encore pour longtemps, cette petite musique intérieure capable de nous mener, nous emmener, et faire rêver une poignée d'humains et lutter contre le désespoir. J'ose le penser, aujourd'hui, encore.
Roger Dautais
Pierre Boyer: pierre-boyer.blogspot.com/
Le sel
Il vient de la mer, je le sais
son sel durcit dans ma broussaille.
Le soir, s'il me dit : chante !
Je deviens fou, mon ombre est folle
je dis la chose sans paroles.
Les gens viennent, les gens se taisent sous la lune.
Et je danse pour le viril
le plus mouvant, plus simple et plus terriblement subtil.
Je meurs, je sombre, délirance
est sous la pointe de mon pied.
Rien, la voix ne m'est rien. C'est son silence contre
toujours plus contre moi
qui révolte et fait tourner le ciel.
Henri Bauchau
Blason de décembre ou le double initiation in Poésie complète Acte Sud 2009