Au cœur du Golfe : pour Tossan |
Passage céleste : Pour Marty |
Le gardien des 7 îles : à Serge Mathurin Thébault |
Jour de tristesse : au vieux passant anonyme |
Une dernière fois, en Ria en attendant l'hiver : Pour Leovi |
Jour après jour : Pour Patrick Lucas |
Les passions : pour Jefferson B. Cezimbra |
Le défi au soleil : Pour Camino roque |
Sur la route des sept îles. : à Tony et Stéphanie |
Défi au soleil II: pour France |
Le solitaire ( île du Men Du) : Pour Helma |
La porte de l'île du Men Du : Pour Bob Bushell |
Le serment mauve : à Marie-Claude |
Car il faut que chacun
compose le poème de sa vie.
Youenn Gwernig
Sur la route des sept îles
Je viens de quitter le dolmen de Toulvern et je descends vers le golfe du Morbihan sur une route jonchée d'aiguilles de pin, qui la rendent glissante. Dix minutes plus tard, c'est l'ondée.J'ai quitté la maison sous un bel arc en ciel. Maintenant que je connais un peu la région, je sais qu'en me rapprochant du golfe, le temps s’éclaircira, avec un peu de chance.
14 heures, j'emprunte le passage du barrage qui mène aux sept îles. Je progresse en sous-bois, avec la mer, à droite d'où montent de très fortes rafales de vent glacial. Je quitte le couvert et descends sur la grève. Je suis gelé, une fois de plus. Je monte un premier cairn que le vent bascule sans problèmes. J'insiste, sous les rafales et déniche un coin de grève à l'abri sous un pin maritime. Je recommence mon travail. A cet instant, je pense à Youenn Gwernig à son obstination , sa façon de se tenir debout dans la tempête, malgré tout et cela me donne du courage. Cette fois, le cairn équilibre dans le vent. Je peux continuer ma progression sur la grève et marquer cette avancée de jalons élevés à ma façon. Soudain, le vent tombe, la pluie cesse, le soleil fait une timide percée. Au-dessus de l'Ile aux Moines, c'est déjà le grand bleu.
La rudesse du climat, la solitude, l'envie d'avancer malgré tout et de me sentir bien en vie, font partie de ces choses que j'aime. Cette confrontation aux éléments, qui plus est, en Bretagne, me parle jusqu'au plus loin de ma mémoire. Ai-je un jour connu l'existence facile ? Non. Dure épreuve et parcours de vie, commencés si jeune, sans autre choix. Était-ce nécessaire ? Ce n'est pas à moi de juger.
Je marche en direction du Sud-Ouest, et découvre une plage inconnue de moi, dont le parfait arc de cercle m'inspire. Bien que ne soit pas prévu, car cela retardera mon avancée, je descends. Le sable convient pour le tracer d'une spirale qui certes, sera de taille moyenne, mais sera mon poème de la journée. L'exercice est bien maîtrisé dans un sable souple, en un peu plus d'une demi-heure. Elle a trouvé place entre deux sillons de laisse de mer. Je remonte sur la petite falaise pour examiner le travail. Elle est réussie mais demande à être prolongée par un cordon ombilical en direction Sud-Est. Ainsi complétée, elle me convient mieux, éclairée par un soleil oblique et doré. A marée montante, la mer viendra la recouvrir mais je ne serais plus là pour voir le spectacle car je dois avancer.
Je marche vers l'isthme qui se découvre et va me donner accès à l'archipel des sept Îles.
Je rêvais de cette traversée depuis des mois., depuis qu'avec Marie-Claude, nous avions découvert cette passe sans l'emprunter, au mois de Mai dernier.
La mer vient à peine de se retirer que je marche en direction de l'île et mon esprit s'envole vers elle que j'aimerai être auprès de moi. Étrange sentiment que de mettre les pieds sur cette île, partager sa solitude, son intimité et la beauté sauvage du lieu en regardant le continent comme une terre lointaine. Je suis doué pour la gamberge!
Bien sûr, je pourrais me reposer, mais je ne le fais pas et ce ciel pommelé m'accorde son aide. J'entreprends de lever des pierres trop lourdes pour moi en réunissant toutes mes forces physique et mentales. Avec le poids qu'elle font, je ne peux me permettre de les reprendre plusieurs fois et si elles tombent, je ne les relève pas. C'est pourquoi, je jauge, j'évalue, je calcule tout déplacement à minima avant de faire mes efforts. Je monte ainsi un très beau cairn à l'entrée de l'île. Il vivra le temps de sa destinée en compagnie d'un conifère, bien éprouvé par les tempêtes. Le compagnonnage me plait, et nul doute que, dans mon esprit, lorsque je m'éloignerai, il parleront de ce vieil homme , venu ici un soir d'automne, venu saluer les sept îles comme il convient. Ainsi construisais-je mes rêves ! Dans la foulée, avant de regagner le continent, j'appelle Marie-Claude, lui dit où je suis, lui décris les lieux, le soleil couchant et lui promets de revenir ici, avec elle.
Ces détails peuvent paraître anodins, mais ils expliquent comment une vie peut être totalement imbriquée dans la pratique du land art et se dérouler,malgré tout, le plus simplement, le plus naturellement du monde.
Je ressens ma fatigue pendant la marche du retour. Je diminue la cadence. Lorsque je reviendrai dans ces lieux, je ne retrouverai aucun de mes travaux, puisqu'ils sont éphémères. Je reverrai peut-être en mémoire, ici ou là des endroits qui me parleront de traces disparues, effacées par vents et marées, mais c'est tout.
Pour moi, tout sera nouveau à voir, tout se redira autrement et je partirai pour un tour de l'Ïle, avec en tête cette si belle chanson éponyme de Félix Leclerc.
Lorsque je reviendrai, j'irai saluer le dolmen de Toulvern, y reprendre de l'énergie vitale pour aller plus loin dans ma vie. J'affinerai l'expression, je ferai du quotidien, un apprentissage, malgré les turbulences des éléments, malgré les douleurs ressenties qui sont les aléas d'une vie de vieux voyageur.
Roger Dautais
c'est un radiateur
qui gargouille parfois
comme s'il avait peur
comme s'il avait froid
les deux clochers d'Arbois
sonnent à la même heure
ce soir pas d'apéro
en face le carreau
du toit capte un dernier
reflet du jour d'octobre
et puis la cheminée
crache un peu de fumée
que le ciel enveloppe
et va porter ailleurs
comme lettre à la poste
de ma table je vois
la rue par la fenêtre
j'écris ce que je vois
pour ne pas disparaître
je serai disparu
avant demain peut-être
un vieillard dans la rue
croira me reconnaître
ce ne sera pas moi
ce ne sera personne
mourir ne surprend pas
celui qui n'est personne
Jean-Claude Pirotte *
Chronique douce, Le Promenoir Magique et autres poèmes 1953-2003, La Table Ronde, 2009,
* http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Pirotte