" L'échelle de Jacob " pour Maria-DoloresCano |
Ce
qui donne un sens à notre comportement à l’égard de la vie,
est la fidélité à un certain instant et à notre effort pour
éterniser cet instant.
Mishima
Le
pavillon d’or.
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À
Marie-Claude.
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Parenthèses
bretonnes.
Le
tout ne devait pas se résumer à une pratique du land art, sans
convictions, mais bien de le mêler, intimement à ma vie.Il
m’avait ensuite fallu inventer un langage singulier. Il ne devait
pas trahir ma pensée. Le cœur restait le maître du jeu. Si le
partage s’avérait possible avec quelques-uns de mes semblables
au début, mais dont le nombre grandissait, c’est qu’un passage
existait bien entre la matière et l’esprit. Quelque soit le
résultat, sans amour, le jeu se serait vite arrêté.
Entre
deux absences de toi, un grand vide entourait ma vie.
Je
marchais, ce jour là, droit devant, face à la mer, pour
rejoindre une partie de l’estran, dominée par de beaux
rochers. La journée s’y usait, après le tour de l’île de
Bréat. La lumière aussi. Me restaient des quantités de pierres
libres. De quoi monter une échelle de Jacob.
L’hiver
de ma vie, je le partageais entre toi et la marche. A chaque départ
sans toi, je te quittais, emportant ton sourire en mémoire.J’ose
le blasphème, un viatique.
Le
land art, surgissait ou pas, selon les idées, les rencontres avec
le paysage, la lumière, mon humeur aussi. Labile, disaient les
langues bifides.
Le
soir, en rentrant, , nous avions ce même rituel de nous asseoir à
la table de la cuisine, se racontant notre journée. Fatiguée par
ce voyage ou je t’entraînais à pratiquer le land art, comme
sur les immenses plages normandes, tu avais décidé, ce matin, de
m’attendre à Paimpol, dans notre gîte provisoire.
Mon
destin faisait de chaque absence, un homme perdu par le passé d’une
jeunesse détruite, dont je ne pouvais guérir.
L’estran
respirait, racontait son histoire. Ici, à gravage, dans les
siècles passés, de lointains ancêtres naufrageurs, se
nourrissaient mal, des restes de naufrages. Tout était en
mémoire dans ces pierres libres. La terre bretonne sur laquelle je
marchais, avait accueilli des familles de marins-pêcheurs, de
paysans, tous plus pauvres les uns que les autres, dociles ou
révoltés, croyants ou athées. Ils s’étaient aimés, avaient
fait des enfants que la mer parfois leur enlevait. Un passé de
plomb qui ne deviendrait jamais, dentelle précieuse. Le pain dur ne
se couvrirait pas de caviar. Mais, la pauvreté se vivait fierment.
Chaque
pierre levée représentait cette fierté de mon peuple dont le
sang bohémien, avait essaimé sur tous les continents. Youenn
Gwernig l’écrivait, la chantait, cette fierté bretonne, la
partageait avec Jack Kerouac. Tous cousins, on disait, chez nous.
Mon sang bohémien, mon sang noir, puisé au plus profond de nos
terres de la même couleur, ma peau halée, affichaient mes
origines.
De
quelles bouches sortaient les mensonges, trompant tout un petit
peuple, pour nous enrôler. La misère existait toujours,
aujourd’hui, sous d’autres masques. Mais également, cette joie
de vivre populaire que j’exprimais dans cette échelle de Jacob,
triomphante
L’estran
désertique chanterait jusqu’au recouvrement total de l’échelle
de Jacob, par les eaux salées de la Manche. Puis, le faux silence,
régnerait, dans cette marée montante. Pas de harcèlement. Un
combat à la loyale. Le futur serait vécu, ensemble, dans la chute
et dans le bruit mat des pierres qui s’entrechoquent pour
rejoindre le fond de l’eau. Sans rancune.
Elles
rejoindraient la saignante multitude des vies brisées, dans le
grand silence.
Je
serai déjà loin, marchant seul sur mon ombre pâlotte.
Ah !
l’affreuse mort que de disparaître seul !
Mais,
je n’y étais pas encore et ma nostalgie me rapprochait de toi,
femme aimée.
Je
n’étais pas une légende. Les légendes ne marchent pas.
J’étais
un vieil amoureux perdu sans toi., n’attendant qu’une chose :
tes bras.
Roger
Dautais
Route
78
Dernières
notes pour le chant final.
Photo :
création land art de Roger Dautais
«
L’échelle de Jacob »
Côtes
d’Armor - Bretagne
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Tout
juste ici laisser un peu de traces errantes
dans
la terre. Un peu de poussière dans
le
vent.
Humblement.
Guy
Allix *
Survivre
et mourir
Éditions
Rougerie - 2011