Non loin d'Ardennes |
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à Marie-Josée Christien |
Equilibre |
Le guingois des doigts gelés |
Méridienne rouge |
Triangle rouge |
Guimbarde au coucher de soleil |
Pour Sharon : Le dire avant la nuit |
Soleil de roche |
à Patrick Lucas : On the road again |
Pour Louis Bertholom : Partition pour les anges déchus... |
To the sea : les forces vives |
à mon Père...
J'ai froid. Impossible de me réchauffer dans ce bois. Le temps est humide malgré un soleil matinal qui lutte pour pénétrer entre les feuilles. L’automne est bien là qui rend ce lieu désert au petit matin. Je ne sais trop quoi entreprendre sinon, de faire demi-tour, entrer à la maison, retrouver mon confort. Et après? L'inspiration viendra bien et ma place est ici. Je vais marcher. Marcher sans penser. Marcher pour me réchauffer, pour découvrir ce que j'ai mal vu en passant à côté. Un tapis de feuilles rousses couvre entièrement le chemin. Je pense à mon père, au temps où nous travaillions ensemble dans les années soixante. Nous passions des journées entières à ramasser des feuilles dans le bois du Chêne Ferron, près de Dinan, afin de réaliser des couches chaudes dans nos rangées de coffres à châssis. On se parlait peu, chacun à sa tâche. On faisait des monticules de feuilles en ligne, puis avec une fourche, nous nous mettions chacun de notre côté pour rassembler le tout dans un grand tas, avant de charger le tout dans une remorque attelée à la voiture. On faisait deux tour, trois, les bons jours. Dame! le jardin était à dix bons kilomètres, avec la manœuvre du déchargement dans les coffres, ça prenait du temps. Nous étions éreintés le soir. J'étais heureux de ce travail, heureux d'aider mon père, aussi qui avait failli se tuer dans un grave accident de voiture et qui, quelques années après, était en pleine forme.
Voilà ce que me rappellent inévitablement, des tapis de feuilles mortes, leur couleur rousse, leur odeur particulière, les sous-bois, depuis que mon père nous a quittés. Il habite là, en quelque sorte et j'aime cette idée.
J'ai fini par me réchauffer, à part le bout des doigts, et rencontrer quatre pierres noires qui attirent mon regard. Un rayon de soleil les affleure. Je vais m'arrêter ici, cueillir quelques baies, ramasser des feuilles d'érable, très peu, et de hêtre, encore moins, suffisamment pour me constituer une palette de couleurs nécessaire au travail.
Malgré le froid qui me serre le dos et mes doigts gourds, je suis heureux, un peu extrait du monde et de son bourdonnement de ruche qui nous saoule parfois. Je pars d'un rien, d'un détail sur la roche, je trace une méridienne rouge et me mets à écrire une histoire avec des lamelles de feuilles d'érable. Je suis enfant, recherchant dans le jeu un échappatoire à la souffrance injuste. Je crois que j'ai gardé ça, ma capacité à m'extraire de moments difficiles par la création. Je découpe, cisèle, assemble, choisis une couleur, une ligne, une direction. Mon haleine est blanche qui me rappelle le froid. Je passe d'une pierre à l'autre, me relève, compare, ajoute un détail, puis décide que c'est fini pour aujourd'hui. Je prends quelques photos.Toujours mettre une fin aux choses pour se rappeler que nous sommes dans l'éphémère et que trop bien faire serait s'attacher inutilement au travail.
Je pense à Marie-Claude qui doit m'attendre. J'ai envie de la rejoindre, de la retrouver, de revoir son sourire qui me garde en vie, ses yeux incomparables.
Ce texte concerne les photos 3,4,5,8,9.
Demain
C'est sûr
Je recommencerai
A courir les chemins creux
Pour sentir les herbes mouillées
Pour caresser l'herbe
Et me perdre dans les campagnes inconnues.
L'aube glacée
M'appellera vers les monts
J'y grimperai
Les jours de solitude
Dans les matins blancs
Quand le cri des corneilles
Déchire les premières gelées.
Mes pierres seront toujours là
Pour toi
Elevées en cairns
Avec des feux de bois
Pour réchauffer mes souvenirs.
Je dirai quelques mots
A ces oiseaux noirs
Pour célébrer ces instants
Avec eux
Et je repartirai
Vers l'inconnu.
Roger Dautais