Sauver l'amour : pour elle. |
Frontière : pour Edgar Hilsenrath |
L'instant d'ici : pour Marie |
Sérénité : à la rivière du Sal |
Aux vies brisées d'Edith et Maud |
Certains humains sont plus doués que d’autres. Certains sont faits pour accomplir. D’autres pour détruire. D’autres pour sauver. Mais la plupart des humains ne sont pas faits pour quoi que ce soit. Ils sont là, beaux et inutiles comme des anachronismes. Comme des cheveux sur la tête d’un caillou
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ThomasVINAU
Ici, ça va.
à Odile
La nuit d’avant le
jour.
Le vent froissait
les eaux dormantes, dans les mares, déplaçait les feuilles mortes,
en tourbillon bruyant et gênait le vol des corbeaux.
Il faisait plein
jour, maintenant. Je n’avais pas de regrets d’avoir quitté la
maison, au milieu de la nuit. Malgré une soirée arrosée, je n’avais pas pu conclure de contrat
sérieux avec mon nouvel éditeur, certes, flatteur mais trop cupide,
pour me décider.
Insomniaque, je ressassais ce rendez-vous de trop,
et voulais à tout prix m’éloigner de toutes ces péripéties.
Il avait tellement insisté sur mon âge que cela avait fini par me déranger. Je savais bien qu’il me fallait aller jusqu’au bout de
ma vie d’artiste et conclure pour faire éditer un dernier livre, mais pas à
ce prix. Et puis, un livre de plus, à quoi bon.Cette marche de nuit me faisait du bien, même si elle
s’avérait dangereuse sur la route qui menait à la côté.
Très vite, je l’avais quittée pour m’enfoncer dans la
campagne et retrouver mes chemins de traverse.
Cette nuit glacée
avait fini par accoucher d’une aube blanche sous la pleine lune.
Dans l’herbe gelée, s’inscrivait une géographie de pistes
animalières, se dirigeant toutes dans le même sens.
Des cercles
magnétiques et inaudibles, s’échappaient de l’astre,
remplissant mon âme en demande.
Je rêvais
d’abandon, de dépouillement, de dépassement de soi, au milieu de
cette nature généreuse, loin des foules bruissantes.
Un camp de
manouches, rentrait en terre d’oubli. Les herbes se chargeaient
très bien d’effacer leurs traces . Belle hystérie du manque qui
fait suite à la vie lorsque celle-ci a disparu..
J’aimais ce
peuple de voyageurs, parents de mes propres enfants, qui prenaient
de la distance avec ce monde de consommateurs compulsifs et de
propriétaires fixes, déjà morts en lotissement.
Ô terre,
cruellement retrouvée par ce froid mordant, tu restais, pour le
moment mon unique lieu de vie. Plus la marche avançait dans le
temps, plus mon cœur s’emplissait de ton mystère. A chaque pas,
chaque regard, mes sens s’ouvraient à cette vie sauvage.
Tant de souffrances
tapies sous les feuilles en hiver ne comptaient plus. J'avais vécu les mêmes dans l'indifférence totale de mon entourage. Entrer en
hiver emboîtait le pas de l’entropie et de la mort. Ma saison préférée, celle au cœur de la quelle j'étais né, pauvre et ma place.
Chaque arbre devait
se battre, ici pour conserver intacte, un peu de sève jusqu’aux
futurs beaux jours. Chaque chêne, chaque aulne, chaque châtaigner,
me confiait ce secret : résister, malgré le froid.
Avant de mourir, je
connaîtrai, encore quelques printemps.
De quoi réconforter ma
solitude dans une continuation du geste land art, dans l’échange
humain « de cœur à cœur » de la pratique du pardon quand
il le faudrait et tacher de quitter pour toujours mes cavernes
neurasthéniques .
Roger Dautais
Notes de land art pour la Route 77
Au Cadoudal - Auray Mai 2019