à Maria Dolores Cano |
Changer c’est à la fois, naître et mourir.
Carl Gustav Jung
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à Marie-Claude
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Expérience ultime.
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S’il n’avait pas autant neigé le jour de son enterrement, j’aurais pris cette neige comme un don du ciel. Une bonne matière pour le land art. Mais depuis le 15 février 1997, la voir tomber me faisait l’effet contraire. A cause du mort, dans son cercueil se couvrant de neige , au fond de la tombe,. L’oncle Théophane détestait la neige, depuis les camps nazi où il avait passé cinq longues années.
Des événements comme ça, suffisaient à ajouter, une couche à ma confusion, au moment de créer. Ils s’ajoutaient à l’afflux d’idées désordonnées, lorsque l’inconscient ouvrait les vannes. Mon cœur en prenait un coup à chaque fois. J’aurais à le payer plus tard .
Je le sentais près à bondir en dehors de ma cage thoracique, dans une explosion de cotes. Il fallait remettre de l’ordre dans tout ça, mais pas trop.
Se laisser aller à la petite musique du succès, même légitime, couvrir les murs de mes portraits, n’était pas bon. Je ne l’avais jamais fait. Je devais oublier tous ces bravos.
Si les eaux dormantes résistaient au silence, je devais y arriver aussi.
Chaque saison passée trouvait une place dans ma mémoire amnésique, comme un livre lu, dans ma bibliothèque. Après tout, si je ne lisais qu’un ouvrage à la fois, j’avais tendance à penser qu’à chaque jour suffisait sa peine. L’heure vécue n’était qu’un morceau d’éternité dont je devais faire quelque chose sans me charger de mon passé artistique réalisé.
Je recherchais le silence de l’esprit, loin des appels d’anges déchus qui recrutaient pour le Sad Paradise. Le souffre qui remontait des enfers, tapissant le cratère du volcan, n’atteignait plus mes poumons. Les shoots violent n’entraient plus dans mes veines et mes yeux ne se révulsaient plus dans un corps désarticulé au fond d’un squat.
Mon ancrage était ailleurs, sous un ciel complice.L’universalité de l’absence m’avait fait homme et j’y grandissais, loin des mutineries organisées par les cellules anti-fa, où je militais en dilettante. Ces brûlots révolutionnaires aiguillonnaient les foules. J’aimais l’idée de révolte contre l’ordre et l’injustice, mais en me faisant vieux, l’activisme ne me tentait plus. Oui, à la sincérité de l’engagement, à la simplicité des actions qui marquaient les esprits endormis, mais la violence que j’avais pratiqué, dans ma jeunesse ne me plaisait plus.
J’étais allé vers le land art, parce qu’il était en marge de l’art traditionnel. J’y marchais comme on marche pour atteindre la terre promise. Je m’y était senti accueilli. Je m’ y étais épanoui.
Il s’agissait, pour moi, c de remercier la Terre-Mère, dans chacune de mes installations. Je désirais changer ma vie, changer le monde à mon échelle et j’y arrivais parfois.
Dépasser la performance, qu’elle soit très grande ou modeste, devenait une façon de pense, de s’en détacher. Je devenais un passeur d’idées et je tendais à devenir ce que je faisais naître entre mes mains.
J’aimais, au travers de cet art de vie, cette expérience ultime, menée jusqu’à la vieillesse, raconter l’histoire de l ‘homme que j’étais, à l’enfance meurtrie, issu des extrêmes et pacifié par cet art universel, dans les dernières années de ma vie.
Il me fallait peu, après avoir beaucoup marché, entre l’émotion ressentie dans le paysage et la création in situ. Une sorte de cri du cœur, en somme une grande énergie spirituelle mise au service du geste. Seule, une pratique de chaque jour amenait à ce résultat.
J’étais déterminé à cultiver cet art de l’équilibre précaire pour l’amour d’une femme dont je partageais la vie depuis 53 ans et qui m’aidait, par sa présence sans failles à tenir la route malgré les détracteurs.
Roger Dautais
Route 78
Photo : création land art de Roger Dautais
" Salutation au soleil " à Maria-Dolorès Cano, en amitié.
Ria d'Auray - Bretagne