à Stéphane Hessel
Lorsque j'arrive sur la plage de Ouistreham, je suis accueilli par un vent d'est bien établi . Il faut courber le dos pour avancer et ne pas trop prendre de sable dans les yeux. C'est une marée de 107 de coefficient. La mer est basse, grise sur le devant et d'un vert émeraude qui me rappelle mon pays, la Bretagne. Cela a dû remuer comme on dit, car la plage, habituellement en glacis à cet endroit, est littéralement labourée. Je ferai bien une spirale mais il faut trouver un endroit pas trop remué, d'environ 30mX 30m pour être sûr de faire du bon travail. J'arpente les sables et pousse mes recherches vers le nord est. J'aperçois une zone qui devrait me convenir. J'y arrive assez vite. Je sonde le sol avec mon talon. Le sable est un peu rouge, granuleux et assez souple malgré tout.
Pourquoi donc ici et non pas plus loin, sur une plage de plusieurs kilomètres, c'est vrai, pourquoi? A qui promène son ennui, le sable est identique d'un bout à l'autre, mais pour moi, le sous-sol guide mon choix. Trop compact, je ne peux rien faire, trop mouillé, c'est pareil. Il faut trouver la bonne souplesse. Ici, conviendra donc pour aujourd'hui et je plante ma canne de marche dans le sol pour désigner l'endroit. Je commence le tracer. Les 5 premiers tours me donnent toujours le tournis. Ils sont importants pour le reste de la spirale et guident mon travail. Je cale mon pas sur ma respiration, le corps bandé en arc de cercle pour que toute l'énergie passe dans mes jambes. La gauche fait office de soc, la droite d'appui et de moteur. Je ne lève la tête que pour reprendre souffle, mes yeux comparent, évaluent, calculent, et mes jambes exécutent les ordres. Cette spirale fera 45 mètres de circonférence, une fois terminée, dans un peu plus d'une heure.Il faut tenir la cadence, résister aux douleurs dans les jambes et le dos, suivre le tracé. Un vrai sport. Jusqu'ici aucune âme qui vive à perte de vue et puis soudain, un bruit de roulement, le craquement du sable sous des roues, le bruit d'une voile qui empanne brutalement, glissade, la voile faseille puis...silence. Je lève la tête. Un char à voile vient de faire un 180° parfait à 15 mètres de moi. Je l'ai entendu au dernier moment. Son pilote me regarde. Je le salue de la main. Il me répond. Signe de reconnaissance et de bonne entente. La plage a beau être grande, il vaut mieux qu'il me repère.
Le char repart et disparaît. Il reviendra toutes les 10 minutes. Au départ, rien ne se passe, puis au 22 ème tour, la spirale ayant grandi, l'homme, après son dérapage, descend de son char à voile, enlève son casque et ses gants puis vient me voir. Il est curieux.
- C'est beau ce que vous faites.
- Ça sert à quoi?
- A rien.
- C'est beau quand même, et puis c'est régulier. Vous avez quoi pour calculer ?
- Rien, J'ai intégré le mouvement, juste ça, après je tourne et je trace avec mes pieds.
- Chapeau. Moi, je fais du char à voile pour le fun. J'aime bien entendre le sable crisser sous les
roues. Puis la vitesse, le vent, le soleil, la liberté quoi.
- Oui, moi aussi.
- Vous faites du char.
- non, je disais, moi aussi, la liberté, j'aime.
- Bon, à un de ces jours.
Oui, c'est ça, à un prochain jour.
L'homme a remis son casque, ses gants. Il est remonté sur son char, m'a salué de la main puis il disparu vers le nord ouest, comme s'il allait rejoindre mon pays, la Bretagne.
J'ai terminé ma spirale, je l'ai offerte à la mer et je lui ai dessiné un personnage pour qu'il lui tienne compagnie jusqu'à la marée haute. C'est à ce moment que le Ferry Le Mont Saint Michel a quitté le port et moi, la plage. En passant j'ai retrouvé les traces du char à voile, des courbes parfaites.
J'ai longé les parkings des poids lourds en attente d'embarquement, dans cette zone sous douane, ceinte de deux rangées de barbelés, comme un camp d'internement. Ici, les sans-papiers sont dissuadés de la manière le plus radicale. Il y a 20 ans c'était une zone naturelle et libre d'accès. Les temps changent et les frontières se font dures pour ceux qui ne possèdent rien d'autre que leur peau, leur pauvre vie.
C'est loin du land art tout ça, mais la conscience se réveille parfois rien qu'à la vue de simples rangées de palissades, de barbelés. Mes propres parents eurent aussi à franchir des barbelés pour fuir l'occupant, durant la seconde guerre mondiale et se retrouver en zone libre en ayant tout perdu. Le monde a-t-il fait beaucoup de progrès sur les droits de l'Homme, depuis 70 ans. Il faudrait interroger Stéphane Hessel sur ce sujet car s'il dérange autant de gens, aujourd'hui, c'est qu'il doit bien dire des vérités qui incommodent .
J'ai bien envie de lui dédicacer cette page pour lui dire tout mon respect et le partage de ses idées humanistes.
Roger Dautais
Les 4 premières photos illustrent ce billet.
Stéphane Hessel sera interviewé par Brigitte Maillard sur Radio ALIGRE * demain matin, jeudi27 janvier,. à 9h30
* Radio Aligre http://www.aligre.org
Feu !
La coupe est bue
Sanguinolez regards mollement attardés sur le crêpe d'argent
de ce ciel immobile arabisé de branches dévêtues
il était trop tard
Je sors
Et puis je fus si indolent...
Le jour lassé s'embue
Vers quel soleil je penche ?
Louis Calaferte,
Rag-Time 1966
Les pianos sont langoureux
le soir au bord de ma mémoire
quand les souvenirs viennent boire
à l'eau claire des jours heureux
Tournent les jupes de cristal
sur des musiques de nuits vertes
je suis seul danseur au bal
des chambres aux portes ouvertes
Adieu
Adieu
Les hirondelles sont parties
Avec qui jouer la partie ?
Louis Calaferte,
Poèmes ébouillantés, 1983