Je ne sais plus s'il est encore le temps de dédicacer mes travaux à quelque personne venant ici. S'il m'est naturel de rechercher la solitude dans cette pratique du land art, elle devient pesante dans cette vie où la douleur a remplacé tellement de sensations. Mon retour au land art ressemble à mon retour à la vie, depuis cet accident de voiture. Nous avons l'impression de voir, Marie-Claude et moi, passer l'été sans y être conviés, comme des étrangers à ce tourbillon de déplacements touristiques et d'êtres dont le premier soucis est le soleil.
Ne plus pouvoir marcher comme avant, pendant des heures, des jours, attendre que la fatigue me prépare à mieux recevoir la nature, n'est plus. Je ressens ce manque et ne peux qu'attendre un mieux physique et moral.
Dans cette présentation de travaux, seules les photos 1, 3, et 5 ont été réalisées dernièrement. Je pense avoir eu le plus d'émotion en réalisant cette ligne de coquelicots rouges dans un champ de blé. Il y avait beaucoup de vent, peu de coquelicots. J'ai pris deux tiges d'épis de blé que j'ai noué aux deux extrémités avec de l'herbe souple. J'ai cueilli mes coquelicots avec une tige assez longue pour la passer dans la fente entre les deux épis de blé. J'ai toutes les peines du monde à escalader un talus d'à peine un mètre de haut, puis j'ai posé cette ligne rouge à l'entrée du champ de blé.
Je suis redescendu au niveau de la route et c'est simplement cette vision d'une petite ligne rouge horizontale, posée dans ces blés mouvants, qui m'a procuré un réel bonheur.
Je n'ai pas de regret de ce que j'ai fait pendant ces treize années sur toutes les routes de plusieurs pays. Ce que je montre est très loin de ce que j'ai vécu. Prendre une photo n 'est rien, mais essentiel en land art si on veut communiquer. L'essentiel est dans le voyage et dans la pratique. Rompre la monotonie du quotidien imposé, casser les codes, changer de regard sur la nature, trouver sa vraie place dans l'univers, m'a semblé indissociable de cette pratique libre et marginale. J'y trouvais matière à vivre et aussi un équilibre. J'espère continuer cette route encore un peu, même différemment.
Je pense que les intérêts du monde sont si loin de ces simples gestes, de cet art de vivre dans le détachement, dans l'éphémère, que nous sommes des catégories de personne en train de disparaître du monde artistique. C'est dommage.
Je suis néanmoins satisfait d'être arrivé à créer cette page, non sans mal.
A plus tard.
Roger Dautais
LE ÉPIS GAGNERONT SUR LES COQUELICOTS
Maintenant que mon cri
a trouvé son écho;
que le grain des aveux
nous a ensemencés;
c'est plue qu'une promesse
et tout peut commencer:
les épis gagneront
sur les coquelicots.
Je vois l'or s'allumer
sur l'espérance en herbe;
mon lendemain prend corps:
je parle de moissons
-de la gerbe debout
comme un torse de femme
enflammé par le nœud
torsadé du soleil.
Plus trace de l'enfant:
je bannis l'impatience,
j'élargis mes pouvoirs,
je soumets l'horizon
- et j'accorde mon cœur
au rythme des saisons,
en écoutant germer
la future abondance.
Claude Vaillant
Dans l'incendie, tout a brûlé Editions Autres rives. 1984