à Raymond, parti rejoindre ses étoiles...
Cette année là, lors d'une pose en plein soleil, j'avais marqué sur mon calepin : la terre, elle souffre. Je me souvient très bien de l'avoir accompagnée dans cette souffrance en cette année de grande sècheresse, au fond d'un carrière de la région. J'avais , dans la foulée, installé cette petite tombe blanche, faite de croûtes de cette même terre calcaire, avant d'y déposer le corps d'un enfant. Deux herbes croisées sur loi, évoquaient le linceul, ficelé. On ne peut être dans ces gestes hautement symbolique évoquant aussi la mort de notre terre, sans ressentir une grande émotion. Qui peut me comprendre?
Descendre à 50m au fond d'une carrière a ciel ouvert, c'est très vite abandonner un quelconque esprit de grandeur. Il était précieux pour moi de ne jamais dévoiler ces lieux, où je pouvais, à loisir perdre cet horizon naturel et goûter les frisons du danger. Ainsi, pendant dix années, j'ai visité, puis squatté ces carrières avec cette impression d'être au cœur d'un grand sablier qui décomptait mes jours: à moitié enseveli au royaume des morts, à moitié tourné vers la vie, et le ciel vide qui me tendait les bras, rempli de vie et d'oxygène. Le pire était un orage qui s'annonçait par quelques grondements, suivi d'une pluie violente me faisant craindre, injustement, la montée des eaux du lac central où je disparaîtrai, noyé. Ce qui n'est jamais arrivé !
Les autres vrais dangers se vivaient dans des escalades en milieu non stabilisé, où sur des enrochements pentus, à 45°. Combien de fois, suis-je parti dans des glissades de 15m que seul un méplat arrêtait avant la chute dans le lac. J'ai vécu des chutes plus brutales d'où je sortais assommé, le corps rempli de bleus, mais je n'ai jamais eu de fractures. Dans ces lieux difficiles, j'ai vécu des grands moments de bonheur en harmonie avec la nature. J'aime les pierres, je vous l'ai dit et j'ai entretenu de véritables dialogues avec elles.
Je leur ai confié des poèmes, sur des petits papiers que je glissais dans les cairns, persuadé qu'elles en gardaient la trace dans leur mémoire. Été comme hiver, survolant cet espace, des faucons m'envoyaient leurs messages :
- On t'a vu, tu es ici chez nous, on te connais, maintenant. Sois le bienvenu.
Quel bonheur de refaire le monde selon son imagination !
C'est vrai, en ce qui concerne les carrières cela dura au moins, dix ans. J'y ai élevé un nombre considérable de cairns que je retrouvais, quelques mois ou années plus tard, couverts de fientes d'oiseaux. Signe qu'ils les avaient apprécié et utilisé comme perchoir d'observation pour observer leur territoire. J'ai cessé de fréquenter ces lieux régulièrement, il y a deux ans, les jugeant trop dangereux.
Par chance, habitant près de la mer, non loin d'un fleuve côtier et auprès de quelques rivières., je passais d'un milieu à un autre, traversant les saisons, certes éprouvantes lorsque l'on travail dehors, mais avec un tel plaisir.
Je vis un temps intermédiaire entre cet accident de la vie et l'envie de reprendre un jour le land art, une fois la convalescence terminée.
J'anime ce blog, comme je peux et rencontre parfois incompréhension ou rejet. Je le comprends et en même temps, comment parler du land art, tel que je l'ai vécu avec un scientifique froid et distant, moi qui suis le contraire. J'ai besoin de voir le spectacle du monde, avant que le rideau ne se referme. J'ai besoin de sentir la nature, de goûter à la salinité de la mer, d'écouter son chant au jusant. J'ai besoin d'inventer un monde différent que celui proposé. Alors, je l'invente avant de l'habiter. Je veux que mes créations deviennent dialogue, parlent de la nature avec elle et m'apportent sa réponse. J’attends que cette Nature me raconte l'histoire universelle, détaché provisoirement du monde moderne et me fasse retrouver toute mon humanité.Celle dont me parlait Raymond et qui se perdait si facilement pour peu que nous soyons dans le mauvais convois , où comme lui, rescapé d'une sale rafle, puis grand témoin d'une histoire qui n'aurait jamais dû être inventée par des hommes. Si je pense à lui. Oui, j'y pense très souvent.
Je sais, ce n'est pas raisonnable et cela ne sert à rien aux yeux de certains. Je ne leur en veut pas, mais je ne suis plus intéressé par leurs discours. Qu'ils continuent à croire dans leur expertise, leur enseignement, qu'ils nient la poésie née d'un cœur malade si cela leur chante, je continuerai mon chemin loin de ces savants qui ne m'apportent plus rien.
Roger Dautais
Haiku
Etoile filante
voeu d'un enfant
à Gaza;
*
L'ombre d'un papillon
butine l'ombre d'une fleur
sur le bitume.
Tanka
Soirée froide et pluvieuse
sous les néons de l'abri-bus
des amoureux s'embrassent
je regarde
l'ombre à mes pieds
Lydia Padellec