L'échelle des jours...
J'ai la chance de pouvoir alterner entre mer et campagne et après une série de travaux consacrés aux coquelicots, je me dirige vers la côte. Le temps est couvert, il ne fait que douze degrés. Je sais qu'avec le vent de nord-ouest, il va faire frais sur les plages. Lorsque j'arrive sur mon lieu de travail, la mer est basse. Au loin, quelques pêcheurs, mais ici, personne, pour le moment. La configuration de la plage a changé depuis mon dernier voyage, toute la partie haute qui borde les falaises, montre habituellement un amoncellement de très grosses pierres qui, aujourd'hui sont pratiquement toutes recouvertes de sable. Je décide de descendre vers l'estran.
Un tapis d'algues vertes le recouvre, rendant le sol très glissant. Je vais construire quelques " guetteurs de marée. Le vent est bien établi, maintenant et va m'abattre cinq fois mon travail. Si le bas est constitué de pierres lourdes, le haut reste très fragile, au point de le voir osciller. On dirait que les pierres sont vivantes, respirent. C'est très étonnant et cela marque aussi la limite à atteindre en hauteur, avant l'écroulement. Pendant que je travaillais, un homme est arrrivé sur la plage et me regarde. Il es emmitouflé dans une grosse veste d'hiver. Il s'approche.
- fait pas chaud, hein ?
- non, comme vous dites.
- vous faites quoi ?
- des cairns.
- ???
- ça vous intrigue ?
- non, de loin, je croyais que c'était des gens.
- on me le dit parfois.
- ça sert à quoi ?
- à rien. Et vous, vous faites quoi, ici,
- rien. J'habite en ville. tous les jours, depuis la retraite, je prends le car, pour voir la mer et puis je repars le soir.
- Ce n'est pas rien de voir la mer !
- ça s'est vrai. Hier, j'ai eu l'orage, ici, je me suis réfugié dans les falaises. Je me disais, si ça s'écroule, je serais enfouis sous les pierres et ma femme ne saura jamais où je serais passé. Bon, je vous laisse, il faut que je continue.
Je l'ai vu remonter vers le haut de la plage, lentement, poussant du pied un cailloux, en ramassant un autre. Que pouvais-je lui dire de plus ? Il reviendra plus tard et découvrira la dernière colonne dans la grotte en me disant
- ah ! ça, c'est beau, c'est du beau boulot.
Et puis il repartira, sans doute pour attraper le dernier car dans le village qui le conduira à la ville où il attendra probablement le lendemain pour revenir ici, voir la mer !
Cet intermède passé, je remonte vers le haut de la plage pour me mettre un peu à l'abri du vent
Je réalise quelques petites installations sur le thème de la fêlure, en éclatant quelques petits galets qui me servent à réaliser des figures géométriques.
Puis je vais entreprendre de monter un cairn à deux colonnes, qui pourrait ressembler à un Inuksut, comme me l'avait dit, Peter Irnick, un Inuït rencontré en Normandie à qui j'avais montré des photos de cette réalisation. Je l'appelle "l'échelle des jours "et comporte rituellement 7 niveaux qui représentent les sept jours de la semaine. De tous les cairns que je réalise, c'est la plus difficile et la plus dangereuse à réaliser, car le poids des pierres et la configuration même, font qu'il peut s'écrouler à tout moment. Celui-ci atteint 1,80 mètre.
Je vais terminer ma journée par la réalisation d'un très haute colonne, de deux mètres, que j'installe à l'intérieur d'une grotte marine. Les pierres constituant la base sont très lourdes et je dois les riper une à une pour les approcher du lieu avant de les empiler, une à une.
Je suis bien loin de ces installations végétales de ce matin, mais je les réalise avec d'autant plus de plaisir que j'ai le sentiment de me renouveler, d'élargir la palette de mes possibilités d'expression, d'aller chercher en moi, au bout de mes ressources physiques et de les mettre au service de mon imagination. La nature me comble, m'enchante, me guérit, m'appelle, me rejoint, m'ouvre la route, me trace le chemin, j'y trouve l'écrin naturel à déposer mes installations de land art, même si cette vie est rude, parfois compliquée, à réinventer chaque jour. Elle est ma vie de tous les jours et ce blog, un témoignage que j'aime à faire partager.
Roger Dautais
Tout se passe entre la mer et moi, sans intermédiaire.
Il s'agit pour elle d'être à l'heure, toujours, devenant ainsi le temps par qui nous mesurons nos limites.
Elle a elle-même ses limites intérieures, ses falaises, ses côtes, mais elle est aussi infinie que la ligne d'horizon, qu'elle pousse au devant, et que de nombreux marins passèrent leur vie à atteindre, y aboutissant sans y a aboutir
Etel Adnan ( Liban).
Mille et une morts vécues
Pour combattre la Mort
et les morts m'ouvrent
la mer de fonte.
Esther Nirina ( Madagascar )
Un tapis d'algues vertes le recouvre, rendant le sol très glissant. Je vais construire quelques " guetteurs de marée. Le vent est bien établi, maintenant et va m'abattre cinq fois mon travail. Si le bas est constitué de pierres lourdes, le haut reste très fragile, au point de le voir osciller. On dirait que les pierres sont vivantes, respirent. C'est très étonnant et cela marque aussi la limite à atteindre en hauteur, avant l'écroulement. Pendant que je travaillais, un homme est arrrivé sur la plage et me regarde. Il es emmitouflé dans une grosse veste d'hiver. Il s'approche.
- fait pas chaud, hein ?
- non, comme vous dites.
- vous faites quoi ?
- des cairns.
- ???
- ça vous intrigue ?
- non, de loin, je croyais que c'était des gens.
- on me le dit parfois.
- ça sert à quoi ?
- à rien. Et vous, vous faites quoi, ici,
- rien. J'habite en ville. tous les jours, depuis la retraite, je prends le car, pour voir la mer et puis je repars le soir.
- Ce n'est pas rien de voir la mer !
- ça s'est vrai. Hier, j'ai eu l'orage, ici, je me suis réfugié dans les falaises. Je me disais, si ça s'écroule, je serais enfouis sous les pierres et ma femme ne saura jamais où je serais passé. Bon, je vous laisse, il faut que je continue.
Je l'ai vu remonter vers le haut de la plage, lentement, poussant du pied un cailloux, en ramassant un autre. Que pouvais-je lui dire de plus ? Il reviendra plus tard et découvrira la dernière colonne dans la grotte en me disant
- ah ! ça, c'est beau, c'est du beau boulot.
Et puis il repartira, sans doute pour attraper le dernier car dans le village qui le conduira à la ville où il attendra probablement le lendemain pour revenir ici, voir la mer !
Cet intermède passé, je remonte vers le haut de la plage pour me mettre un peu à l'abri du vent
Je réalise quelques petites installations sur le thème de la fêlure, en éclatant quelques petits galets qui me servent à réaliser des figures géométriques.
Puis je vais entreprendre de monter un cairn à deux colonnes, qui pourrait ressembler à un Inuksut, comme me l'avait dit, Peter Irnick, un Inuït rencontré en Normandie à qui j'avais montré des photos de cette réalisation. Je l'appelle "l'échelle des jours "et comporte rituellement 7 niveaux qui représentent les sept jours de la semaine. De tous les cairns que je réalise, c'est la plus difficile et la plus dangereuse à réaliser, car le poids des pierres et la configuration même, font qu'il peut s'écrouler à tout moment. Celui-ci atteint 1,80 mètre.
Je vais terminer ma journée par la réalisation d'un très haute colonne, de deux mètres, que j'installe à l'intérieur d'une grotte marine. Les pierres constituant la base sont très lourdes et je dois les riper une à une pour les approcher du lieu avant de les empiler, une à une.
Je suis bien loin de ces installations végétales de ce matin, mais je les réalise avec d'autant plus de plaisir que j'ai le sentiment de me renouveler, d'élargir la palette de mes possibilités d'expression, d'aller chercher en moi, au bout de mes ressources physiques et de les mettre au service de mon imagination. La nature me comble, m'enchante, me guérit, m'appelle, me rejoint, m'ouvre la route, me trace le chemin, j'y trouve l'écrin naturel à déposer mes installations de land art, même si cette vie est rude, parfois compliquée, à réinventer chaque jour. Elle est ma vie de tous les jours et ce blog, un témoignage que j'aime à faire partager.
Roger Dautais
Tout se passe entre la mer et moi, sans intermédiaire.
Il s'agit pour elle d'être à l'heure, toujours, devenant ainsi le temps par qui nous mesurons nos limites.
Elle a elle-même ses limites intérieures, ses falaises, ses côtes, mais elle est aussi infinie que la ligne d'horizon, qu'elle pousse au devant, et que de nombreux marins passèrent leur vie à atteindre, y aboutissant sans y a aboutir
Etel Adnan ( Liban).
Mille et une morts vécues
Pour combattre la Mort
et les morts m'ouvrent
la mer de fonte.
Esther Nirina ( Madagascar )