Les exilés...
à Youenn Gwernig
Je n'ai pas attendu que la nuit vienne, que les étoiles s'allument avec mon feu de solitude, pour chevaucher ma cavale blanche et retrouver mes rêves. Ils sont venus en plein jour. J'ai emprunté les chemins creux, ceux qui déshabillent les racines des chênes et nous apprennent comment ça fait de respirer sous terre. Je me suis approché des eaux dormantes et j'ai posé dessus des radeaux improbables, avec des cargaisons secrètes. J'ai relevé les traces des sangliers, suivi leur route à travers les maïs mouillés de rosée, débouché dans les friches en lisière de forêts et convoqué mes morts. Il aurait mieux fallu parler aux oiseaux, mieux les écouter dans le silence pour mieux les comprendre. Mais le temps me pressait parfois. J'ai traversé des rivières à gué pour connaitre l'autre rive, celle dont on rêve, parfois, sans espoir de retour. J'ai descendu des fleuves, emporté par l'envie d'aller plus loin. Pris de somnolence, j'ai voyagé en dormant, assoupi dans les gravières, pour ne pas perdre une seconde du spectacle de ces corps charriés par leurs eaux tumultueuses.
Sur les grèves gelées, mes pas ont glissé, sont devenus hésitants mais ce n'est pas l'aurore qui aurait stoppé cette marche dans le vent glacé qui rend morveux. Il me fallait passer au-delà, découvrir la mer dans les brumes, écouter le cri des mouettes perdues, entendre le râle des disparus en mer se fondre dans celui des cornes de brume.
Le mauvais alcool m'éclatait la tête et mes yeux se brouillaient devant la danse du feu de camp. Je n'ai pas voulu attendre que les cendres soient froides avant de repartir escalader les pentes dangereuses des falaises. La vie était en bascule, constamment jouée, déjouée, rejouée. La vie était aussi un piège dont il fallait me tirer pour inventer l'avenir..
Je n'ai attendu ni le jour ni la nuit. Je suis rentré dans le temps de hors, celui des exilés,
des " loin de tout".
Oh ! Ne cherchez pas mon pays, il n'existe presque plus hors de moi. Je m'approche de l'indicible, du grand silence blanc, de la trace presque effacée, du souvenir. J'entre dans le temps et la nature m'appelle. Il faudra des paroles de vent, des marches immobiles, des musiques de sourd pour me nourrir. Il faudra que je te rencontre à nouveau, que je croise tes yeux bleus, pour sombrer encore une fois. Il faudra tout oublier et partir sans idée de retour. Il faudra que l'un rejoigne l'autre et traverse le miroir à son tour. Nous marchons depuis si longtemps ensemble, femme des bons et mauvais jours, qu'ils ne comprennent pas nos tempêtes. Nos inquiétudes sont celles des vieux amants. Il faudrait disparaître ensemble, mais avant vivre l'amour jusqu'à l'usure comme un roc à la mer, n'est pas écrit. Il faudrait à nouveau questionner...
Mais je ne sais plus lire dans les tarots ni dans le marc de café. Les intersignes me parviennent à n'en savoir que faire. Le monde change et me pose des questions sans se soucier. Je deviens cendre. J'arpente la dernière ligne droite.
Hier, j'ai laissé quatre cœurs sur les quais de Lorient. C'était les retrouvailles. La Bretagne me chavire comme à chaque fois. Il devrait être là, le vieux Youenn...Mais il est là, mon vieux, tiens, je te laisse le lire...
Roger Dautais
PELL PELL
Pell,pell a karfen mont
lec'h n'eus trouz na safar
Ul lec'hig sioul e traon ar stêr
e frond ar foenn hag ar vent gouez
pell, pell e karfen mont
da vro ma yaouankiz.
Pell, pelle a karfen mont
dieub ha dibreder
onijal 'vel ur valafenn
e douster avelig an hanv
pell, pell e karfen mont
da vro ma yaouankiz.
Pell, pell e karfen mont
eürus ha disammet
d'en em gavout gant ma zud kozh
e lec'hioù diharz o ene
pell, pell e karfen mont
da vro ma yaouankiz
Youenne Gwernig 1994
Au retour d'un voyage à Lorient, en Bretagne, j'ai décidé de dédier cette nouvelle page du Chemin des Grands Jardins , au poète Breton Youenn Gwernig et à ses descendants. J'y présente une série de travaux sur l'exil ( les 3 premières photos) réalisés la semaine dernière sur la Côte de Nacre, En Normandie.
Roger Dautais