à mes frères, Jean-Pierre et Jacques
Rêver sa vie...
J'ai la planète entre mes mains, une petite sphère végétale construite cet hiver, avec des branches de cornouiller, rouges et blanches. On dirait une mini mappemonde. Je l'ai tressée, ensuite avec des lianes sauvages et je m'apprête aujourd'hui à continuer ce travail avec du rafia dont j'ai gardé une botte pour le jardin. Elle est plus petite que cette sphère construite, en 2006 avec du bois de cornouiller pour qu'elle m'accompagne pendant les douze mois d'une année, à travers les saisons et les différents sites, marins ou campagnards, avant de terminer brûlée sur la rive gauche du fleuve Orne. Ici, le but est de construire une mappemonde pour la mettre en scène dans différents lieux, mais sans idée précise quant au temps. Je me rends donc dans un marais, un peu isolé. Il fait très beau, le soleil est généreux mais n'arrive pas à réchauffer l'atmosphère. L'air reste vif et clair. Les bruits de la ville, pourtant éloignée, arrivent jusqu'ici. La végétation repart, en ce printemps, et je vais profiter de cette lumière abondante pour jouer avec la Terre, comme un géant qui disposerait de son avenir. Les hommes l'ont tellement amenée au bord de la catastrophe, que pour une fois, je la rêve tranquille, avec un environnement insolite, fait d'eau et de végétaux. Tout est permis quand on rêve. Les gestes de l'enfance, les jeux avec mes frères et mes cousins de la forêt de Brocéliande, me reviennent à l'esprit.Pendant des journées entières, on tressait des joncs verts pour en faire des chaises, on s'inventait des voiliers à coque de chêne, sur lesquels se dressaient un mat, traversant un chiffon, en guise de grand voile. L'ainé de mes cousins nous fabriquait des moulins à eau, avec deux bouts de bois en croisillon, attachés sur un axe, le tout posé sur deux pierres et installés en travers d'un ruisseau. Le courant faisait le reste.La guerre n'était pas loin et les jouets étaient rares mais notre imagination féconde les inventait, et nous permettait de créer un monde, avec quasiment rien. J'ai gardé ce goût du peu, de l'économie de moyens, de la création"in situ", au hasard des lieux. L'esprit du land art, en somme et j'y trouve refuge, mais aussi matière à réflexion. Après tout, l'histoire des hommes a commencé dans la nature et sans faire une croix sur la modernité de notre époque dont je profite comme tout le monde, il me semble intéressant de cultiver ce lien avec la Terre, ce globe terrestre sur lequel je vis, en y pratiquant un art éphémère, tant que je pourrai le faire.
Roger Dautais
Et le jour devenait tout bleu
comme des fables
seul un enfant pouvait marcher
sur l'ombre du soleil
les mots pour chaque chose
étaient pareils
mais ils avaient sur la langue
un goût de miel et de feuilles d'arbre
on s'endormait, on avait presque tout fini de son travail
on se réveillerait
peut-être.
Claude Esteban