Car il faut que chacun compose le poème de sa vie.
Youenn Gwernig
J'ai donné rendez-vous au réalisateur Patrice Gérard, sur le parking situé à proximité de la halle aux poissons de Ouistreham. A l'heure dite mon téléphone sonne. C'est lui. Il m'appelle depuis l'hôtel du phare où il a passé la nuit. Je le rejoins à la porte. Il est en compagnie de Yoann Martineau son caméraman. Le contact s'est pris grâce à un réalisateur de France 3 Normandie, pour qui j'ai travaillé dans le magazine Littoral. Patrice Gérard a été marin pêcheur et il en a gardé l'allure. L'homme est direct, sympathique, avec une voix éraillée qui raconte un peu son parcours, certainement, rude. Auteur et réalisateurs de nombreux documentaires , dont plusieurs de 52 minutes, il privilégie l'humain, le vécu, le témoignage et veut montrer un monde du travail bien mal en point en dénonçant les abus de la société face à l'homme exploité.
Cela me va assez bien même si cela n'est tout a fait le propos. Yoann a bien trente ans de moins que moi. C'est un homme dans la force de l'âge, qui parle peu mais juste. Il est discret et me donne quelques indications sur son parcours professionnel commencé au Brésil. Les bretons, on en trouve partout dans le monde. Le courant passe entre nous trois bien que je leur aie refusé un petit déjeuner avec eux. Je préfère, qu'ils me découvrent, au travail sans trop de préparation avant. Ils sont un peu déçus.
Je les conduis sur un autre parking où je me change puis nous partons en direction de la plage. Ils ne savent pas grand chose de ce que je vais faire. Je vais donc réaliser une installation de mon invention qui s'appelle le temps qui passe . Au centre, une spirale de 45 mètres de circonférence, entre parenthèses, puis un axe orienté, perpendiculaire à ces lignes parallèle, de part en d'autre, se terminant par une flèche indiquant le chemin de la mer.
Je plante mon bâton de marche dans le sable, pose mon sac à dos et leur dit : c'est ici que je vais travailler. Pourquoi, ici, sur cette immense plage qui recevra plus de 20 000personnes au coeur de l'été, pourquoi près du chenal d'entrée dans le port, pourquoi sur le sable mouillé et pas sur le sable sec ? Pourquoi à cette heure là ? Travailler pour un tournage,demande un minimum de réussite. Il faut être sûr de son coup même si,par exemple, un claquage musculaire ( c'est arrivé) mettait fin au travail. Je pense à ces deux homme,qui auront fait pas loin de 700 kilomètres aller-retour ( ils viennent de Nantes) pour me voir et par respect pour eux, je me dois d'être à la hauteur.
Bien sûr, travailler devant une caméra ( cela m'est arrivé de le faire devant une équipe de 9 personnes) change un peu la donne. On est plus tendu. Ce n'est pas trop la peine d'apprendre un texte à débiter et d'ailleurs, avec Patrice Gérard, pendant les phases d'interview, les questions sont courtes, directes, incisives, parfois déstabilisantes( mais pas trop). Je m'efforce de faire des réponses courtes et de laisser de côté le beau jargon de l'art contemporain,dont les spécialistes se délectent. Je parle bien sûr de ceux qui le " pondent" pas de ceux qui le déchiffrent avec un dictionnaire ! Le travail se déroule bien, mon corps courbé, la t^te vers le sol, les yeux rivés sur le sillon, tout mon poids pèse sur la jambe gauche dont le pied fait office de soc, pendant que la jambe droite, sert de moteur. j'essaie de trouver , rythme, une fois l'ivresse des premiers tours passés, quand la tête tourne et qu'il faut quand même rester debout.
Avant de quitter le parking, Yoann m'a équipé d'un micro HF car, économies obligent, il n'y a pas d'ingénieur du son comme d'habitude. On oublie très vite que l'on est ainsi relié en direct aux oreilles du cadreur et il me dira, plus tard, comment il avait été surpris par ce souffle qui rythme l'avance . Il me faut cette régularité entrecoupée de pauses, si je veux obtenir une régularité géométrique. Ma perception mentale durant ce voyage d'une heure et demi est celui d'un chemin ligne droite alors que je trace une courbe d'ailleurs. Cela se comprend par le fait d'avancer 30 centimètres par trente centimètres à la fois. Il faut lever les yeux pour voir la réalité. Je trace ensuite mes parenthèses. Parfois je vois le cadreur entrer dans mon champ de vision, parfois, j'entends les deux hommes se déplacer, puis plus rien. Pendant les pauses d'instants très courts où je reprends mon souffle, je les vois, plus loin, vers la mer à 50mètres réaliser des plans de coupe, puis revenir.
L'heure est venue de rendre un hommage à la Bretagne, avant d'offrir mon travail à la mer. Et je choisis, une fois de plus d'écrire ce vers CAR IL FAUT QUE CHACUN COMPOSE LE POÈME DE SA VIE... quécrivit un jour, le poète, breton d'origine, Youenn Gwernig, dont je garde au delà de la mort, un besoin d'ensemencer les sables de ses mots, car je sais, que d'une façon ou d'une autre, ils lui reviendront, avec mon amitié.
J'ai calculé l'heure de ma performance pour que la mer suit présente à la fin et vienne couronner le tout de ces instants magiques que je veux leur offrir à voir et vivre. Car le land art n'est pas un art photographique, mais bien une expression, une création " in situ"" qui intègre le mouvement, surtout ici, au bord de la Manche, et à Ouistreham ou le marnage est conséquent et les mouvements d'eau, rapides et importants. Patrice qui est marin l'a aussitôt compris, mais il reste très étonné de cette communion entre les éléments qui se rencontrent, se complètent, dialoguent autour et dans la spirale. J'ai vu beaucoup de cadreurs mais c'est le premier que je vois prendre autant de plaisir à filmer cet instant et je suis content pour lui. Car à cet instant, mon installation m'échappe et ne m'appartient plus. Tant de paramètres entrent en jeu dans ces moments là qu'il me serait impossible de reproduire deux fois le même spectacle. Il y a une part de rêve à provoquer dans ces installations mais la scène finale ne sera jamais rendue par une simple photo. . Avec le film, on se rapproche plus de la réalité, bien sûr, mais rien ne vaut de le vivre comme nous l'avons fait tous les trois, hier.
Dans cette chronique, je tiens à rendre hommage, à travers Patrice Gérard et Yoann Martineau au métier de réalisateur et de cadreur, à mes amis réalisateurs que sont Jean Jacques avec qui je travaille actuellement sur mon documentaire, à Claudy, André et Michel, Valentin,tous dans cette profession, qui œuvrent dans l'ombre pour servir des causes , montrer le monde tel qu'il est ou faire découvrir un artiste. Qu'ils en soient remerciés, ici.
Roger Dautais
Il faut que mon esprit
ait son espace libre de rire d'être vague
sur le sol tendre de cette vie
contre les sueurs de quêtes inutiles
Vaines
Un lit d' unique paresse
Douceur sommeillante reine d'une heure
contre mots blessants maux profonds stupides.
Aurélien Onnen
Cela me va assez bien même si cela n'est tout a fait le propos. Yoann a bien trente ans de moins que moi. C'est un homme dans la force de l'âge, qui parle peu mais juste. Il est discret et me donne quelques indications sur son parcours professionnel commencé au Brésil. Les bretons, on en trouve partout dans le monde. Le courant passe entre nous trois bien que je leur aie refusé un petit déjeuner avec eux. Je préfère, qu'ils me découvrent, au travail sans trop de préparation avant. Ils sont un peu déçus.
Je les conduis sur un autre parking où je me change puis nous partons en direction de la plage. Ils ne savent pas grand chose de ce que je vais faire. Je vais donc réaliser une installation de mon invention qui s'appelle le temps qui passe . Au centre, une spirale de 45 mètres de circonférence, entre parenthèses, puis un axe orienté, perpendiculaire à ces lignes parallèle, de part en d'autre, se terminant par une flèche indiquant le chemin de la mer.
Je plante mon bâton de marche dans le sable, pose mon sac à dos et leur dit : c'est ici que je vais travailler. Pourquoi, ici, sur cette immense plage qui recevra plus de 20 000personnes au coeur de l'été, pourquoi près du chenal d'entrée dans le port, pourquoi sur le sable mouillé et pas sur le sable sec ? Pourquoi à cette heure là ? Travailler pour un tournage,demande un minimum de réussite. Il faut être sûr de son coup même si,par exemple, un claquage musculaire ( c'est arrivé) mettait fin au travail. Je pense à ces deux homme,qui auront fait pas loin de 700 kilomètres aller-retour ( ils viennent de Nantes) pour me voir et par respect pour eux, je me dois d'être à la hauteur.
Bien sûr, travailler devant une caméra ( cela m'est arrivé de le faire devant une équipe de 9 personnes) change un peu la donne. On est plus tendu. Ce n'est pas trop la peine d'apprendre un texte à débiter et d'ailleurs, avec Patrice Gérard, pendant les phases d'interview, les questions sont courtes, directes, incisives, parfois déstabilisantes( mais pas trop). Je m'efforce de faire des réponses courtes et de laisser de côté le beau jargon de l'art contemporain,dont les spécialistes se délectent. Je parle bien sûr de ceux qui le " pondent" pas de ceux qui le déchiffrent avec un dictionnaire ! Le travail se déroule bien, mon corps courbé, la t^te vers le sol, les yeux rivés sur le sillon, tout mon poids pèse sur la jambe gauche dont le pied fait office de soc, pendant que la jambe droite, sert de moteur. j'essaie de trouver , rythme, une fois l'ivresse des premiers tours passés, quand la tête tourne et qu'il faut quand même rester debout.
Avant de quitter le parking, Yoann m'a équipé d'un micro HF car, économies obligent, il n'y a pas d'ingénieur du son comme d'habitude. On oublie très vite que l'on est ainsi relié en direct aux oreilles du cadreur et il me dira, plus tard, comment il avait été surpris par ce souffle qui rythme l'avance . Il me faut cette régularité entrecoupée de pauses, si je veux obtenir une régularité géométrique. Ma perception mentale durant ce voyage d'une heure et demi est celui d'un chemin ligne droite alors que je trace une courbe d'ailleurs. Cela se comprend par le fait d'avancer 30 centimètres par trente centimètres à la fois. Il faut lever les yeux pour voir la réalité. Je trace ensuite mes parenthèses. Parfois je vois le cadreur entrer dans mon champ de vision, parfois, j'entends les deux hommes se déplacer, puis plus rien. Pendant les pauses d'instants très courts où je reprends mon souffle, je les vois, plus loin, vers la mer à 50mètres réaliser des plans de coupe, puis revenir.
L'heure est venue de rendre un hommage à la Bretagne, avant d'offrir mon travail à la mer. Et je choisis, une fois de plus d'écrire ce vers CAR IL FAUT QUE CHACUN COMPOSE LE POÈME DE SA VIE... quécrivit un jour, le poète, breton d'origine, Youenn Gwernig, dont je garde au delà de la mort, un besoin d'ensemencer les sables de ses mots, car je sais, que d'une façon ou d'une autre, ils lui reviendront, avec mon amitié.
J'ai calculé l'heure de ma performance pour que la mer suit présente à la fin et vienne couronner le tout de ces instants magiques que je veux leur offrir à voir et vivre. Car le land art n'est pas un art photographique, mais bien une expression, une création " in situ"" qui intègre le mouvement, surtout ici, au bord de la Manche, et à Ouistreham ou le marnage est conséquent et les mouvements d'eau, rapides et importants. Patrice qui est marin l'a aussitôt compris, mais il reste très étonné de cette communion entre les éléments qui se rencontrent, se complètent, dialoguent autour et dans la spirale. J'ai vu beaucoup de cadreurs mais c'est le premier que je vois prendre autant de plaisir à filmer cet instant et je suis content pour lui. Car à cet instant, mon installation m'échappe et ne m'appartient plus. Tant de paramètres entrent en jeu dans ces moments là qu'il me serait impossible de reproduire deux fois le même spectacle. Il y a une part de rêve à provoquer dans ces installations mais la scène finale ne sera jamais rendue par une simple photo. . Avec le film, on se rapproche plus de la réalité, bien sûr, mais rien ne vaut de le vivre comme nous l'avons fait tous les trois, hier.
Dans cette chronique, je tiens à rendre hommage, à travers Patrice Gérard et Yoann Martineau au métier de réalisateur et de cadreur, à mes amis réalisateurs que sont Jean Jacques avec qui je travaille actuellement sur mon documentaire, à Claudy, André et Michel, Valentin,tous dans cette profession, qui œuvrent dans l'ombre pour servir des causes , montrer le monde tel qu'il est ou faire découvrir un artiste. Qu'ils en soient remerciés, ici.
Roger Dautais
Il faut que mon esprit
ait son espace libre de rire d'être vague
sur le sol tendre de cette vie
contre les sueurs de quêtes inutiles
Vaines
Un lit d' unique paresse
Douceur sommeillante reine d'une heure
contre mots blessants maux profonds stupides.
Aurélien Onnen