Parole de silence |
Jeu de massacre |
Petite mémoire |
Récit 42 : Pour Raymond, seulement |
Témoin gênant |
La trace |
Grande spirale de Merville-Franceville |
La vie discrète |
Impression d'hiver : pour Moun |
L'heure unique |
Ondes courtes : Aux métallos |
Les guetteurs |
Guetteur de marée : pour Isabella Kramer |
Je ne suis qu'un passeur de sens qui voyage entre deux mondes.
R.Dautais
Le jour d'après...
N'ayant pas la patience, ce jour là d'attendre que la mer monte, je la quitte et prends la route, direction plein Sud. Après une demi-heure de trajet, j'arrive sur ce que j'appelle "le plateau des âmes en peines", vaste étendue de friche industrielle qui plane au-dessus de la grande ville voisine , comme un reproche permanent. On ne rase pas une usine métallurgique et ses hauts fourneaux sans casse humaine. J'ai toujours aimé les lieux qui se révoltaient contre l'injustice. Vingt ans après cette fermeture dramatique pour des milliers d'ouvriers, j'entends encore la longue plainte du beuglant annonçant la coulée, accompagnée de cette lueur rouge,perçant la nuit, visible de chez nous, à plusieurs kilomètres de là.Je me souviens des luttes ouvrières, des grèves, des drames provoqués par cette fermeture, puis du démontage de l'usine, emportée pièce par pièce, jusqu'en Chine à grands renforts de cargos. En hiver, la silhouette du grand réfrigérant, continue à témoigner, de sa masse imposante, dernier survivant de cette histoire, tout en maudissant ces casseurs d'usine.Comment rester insensible à ces histoires d'hommes que le vent colporte sur ces terres sacrifiées. Comment ne pas capter cette mémoire qui suinte toujours du sol?
La neige s'est accrochée par plaques sur ce plateau. Je me suis agenouillé dans ce grand espace vide pour réaliser trois mandala dans ce désert pollué, en souvenir de ces
métallos, Français, mais aussi étrangers, Russes, Polonais etc. ayant trimé ensemble en ces lieux maintenant désertés. Oubliant le froid, mon âge et mes vieilles douleurs, je dispose avec précision, des ronds concentriques de baies rouges cueillies dans un cotonéaster. Suivent les feuilles taillées aux ciseaux, les chatons de noisetier, les brindilles. Les heures passent et lorsque j'aurai terminé mon travail, à la tombée de la nuit, je n'aurai rencontré personne. Un dernier regard au grand réfrigérant que la nuit ne va pas tarder à envelopper et je reprends la route.
métallos, Français, mais aussi étrangers, Russes, Polonais etc. ayant trimé ensemble en ces lieux maintenant désertés. Oubliant le froid, mon âge et mes vieilles douleurs, je dispose avec précision, des ronds concentriques de baies rouges cueillies dans un cotonéaster. Suivent les feuilles taillées aux ciseaux, les chatons de noisetier, les brindilles. Les heures passent et lorsque j'aurai terminé mon travail, à la tombée de la nuit, je n'aurai rencontré personne. Un dernier regard au grand réfrigérant que la nuit ne va pas tarder à envelopper et je reprends la route.
Le jour d'avant...
Voilà deux jours que la neige s'absente par endroits. Je me dis qu'il doit en rester encore un peu sur la côte. Je prends la direction de Cabourg et je m'arrête au hasard, dans la petite station balnéaire de Merville-Franceville. La plage est immense et balayée ce jour là, par un vent glacial. Il fait -3°, ce qui veut dire un ressenti de -6°. La neige s'est accrochée aux dunes, s'appuyant sur les oyats.Je remarque, sur la plage, une longue trace d'un tracteur s'avançant vers la mer. La neige s'est accumulée dans les ornières. J'aimerais réaliser une spirale qui tiendrait compte de cette mémoire blanche, en forme de tracer rectiligne qui relie un passé récent à la mer.
Je me demande pourquoi je continue d'être attiré par ces immensités désertiques et pourquoi, malgré le froid, je me bats presque tous les jours de cet hiver pour tracer une spirale de plus. Spirale que personne ne verra probablement avant que la mer ne la recouvre.C'est peut-être le goût de la solitude, celui de l'effort aussi, un peu de la continuité dans le chemin parcouru et surtout la présence de la mer qui m’enchante et me calme à la fois.J'aime cette mer qui me rend libre et me renvoie aux jours heureux vécus en Bretagne.Et puis, il faut dire que je n'aime pas les foules ni ces masses de gens agglutinées dans les grandes surfaces, avides de consommer toujours plus.Je les fréquente le moins possible C'est donc par goût de l'évasion que je suis devenu, voyageur.
Une phrase de Dan Ar Braz me trotte dans la tête : Rien ne nous appartient. on appartient à cette terre sur laquelle nous vivons". J'aime assez cette idée et je m'en rapproche chaque jour un peu plus. C'est ainsi que, accompagné par elle, je désigne un endroit comme devant être le centre de ma future spirale et je plante mon talon droit dans le sol. Il me sert de soc de charrue et c'est lui qui va tracer la figure jusqu'à la fin. Je déroule le sillon avec difficulté. Le sable est souple mais truffé de pierres qui font dévier mon pied.Contrôler, l'écart et le parallélisme du sillon me demandent de gros efforts physiques. Je souffre des jambes, à la limite des crampes car il fait très froid et mes muscles se contractent. Malgré toutes ces difficultés, la spirale est bien équilibrée. Elle "tourne bien ". Elle sera même un peu plus grande que d'habitude. 49 mètres de circonférence, une belle pièce ! De plus, j'ai réussi ce que je voulais. Elle intègre bien la trace de neige. Ce rapprochement me va car il dynamise mon installation qui semble rejoindre la mer. Je termine mon installation, complètement frigorifié mais heureux.
Le jour même.
C'est un jour noir, un jour dont le ciel pèse lourd sur les épaules et mange la lumière. Le vent est déjà levé mais il forcira certainement dans la soirée. C'est maintenant qu'il faut y aller.Je vais me rendre sur le plateau de Colombelles où l'hiver m'attend. Je pars du canal, traverse un premier terrain vague, puis un second et j'oblique vers le Nord. J'entends au loin, les bruits de la ville mais il n'y a personne dans les parages.Je longe un bosquet de buddleias fatigué par les coups de gel successifs .J'atteins un ancien pont métallique rongé par la rouille et dont le franchissement n'est pas conseillé à cause de son état. Avec des précautions de chat sauvage, ,je l'emprunte et franchis l'ancienne voie ferrée, puis le fleuve qui courent dans la vallée au pied du plateau, sur lequel je débouche après avoir escaladé un dernier terrain très pentu. Le grand réfrigérant me toise. A sa droite, un bâtiment industriel en ruine sert d'exutoire aux taggers de la région. Ce lieu est insalubre. Très rapidement je suis transit de froid et je décide de marcher avant toute chose pour me réchauffer.Je ferai une très grande boucle autour de ces deux "ruines industrielles et j’installerai, en route. L'ambiance est glauque, digne d'un polar de Stephen King. Le peu de lumière me ferait croire que la nuit tombe. Il n'est que 15 heures.
Saurais-je raconter ces heures où je m'absente d'elle alors que la vie n'en finit pas de s'user. Je suis un oublié du temps, un voyageur immobile happé par des installations éphémères.Je ne suis qu'un passeur de sens qui navigue entre deux mondes.
Ma mémoire s'absente aussi, me déleste des soucis du quotidien et me permet de créer, jour après jour dans cette apnée volontaire.
Je vais ainsi commencer par une spirale de graviers noirs, avec en toile de fond, le grand réfrigérant. Quoi de mieux que ces ondes sorties du sol pour envoyer ce message au monde : Respectez les hommes et conservez nos outils de travail. Puis j'obliquerai vers l'est et trouverai de la neige autour d'une mare pour réaliser quelques petites installations dont l'étoile de mon ami Raymond qui repose en paix mais reste toujours vivant dans ma mémoire. En quelques heures, je termine le tour de ce plateau désert et j'élève un dernier cairn pratiquement au pied du grand réfrigérant. Belle rencontre.Je pense que cette nuit, ils se parleront. Avant de reprendre le chemin du retour, j'entre dans l'enclos du grand réfrigérant.Immense cathédrale de béton, sans toit. C'est un univers de courants d'air, de poutrelles de béton armé, avec un sol jonché de gravats, à moitié inondés.Spectaculaire et un peu effrayant à la fois. J'y ai déjà crée des installations mais ce soir, il fait trop noir, et je suis fatigué par ce froid intense. Je n'ai plus qu'une envie, marcher. Et c'est ce que je fais en direction de la maison où m'attend celle que j'aime.
Roger Dautais
Si chaque fois que
Si chaque fois que
je sue je te perdais je serais rendue
à bon port :
tu ne reviendrais point dans
ma gorge le matin mais
suaire de toi sur mon
drap.
se ogni volta che
sudo ti perdessi sarei
a buon punto :
non torneresti in
gola la mattina ma
sindone di te nel mio
lenzuolo.
Voilà deux jours que la neige s'absente par endroits. Je me dis qu'il doit en rester encore un peu sur la côte. Je prends la direction de Cabourg et je m'arrête au hasard, dans la petite station balnéaire de Merville-Franceville. La plage est immense et balayée ce jour là, par un vent glacial. Il fait -3°, ce qui veut dire un ressenti de -6°. La neige s'est accrochée aux dunes, s'appuyant sur les oyats.Je remarque, sur la plage, une longue trace d'un tracteur s'avançant vers la mer. La neige s'est accumulée dans les ornières. J'aimerais réaliser une spirale qui tiendrait compte de cette mémoire blanche, en forme de tracer rectiligne qui relie un passé récent à la mer.
Je me demande pourquoi je continue d'être attiré par ces immensités désertiques et pourquoi, malgré le froid, je me bats presque tous les jours de cet hiver pour tracer une spirale de plus. Spirale que personne ne verra probablement avant que la mer ne la recouvre.C'est peut-être le goût de la solitude, celui de l'effort aussi, un peu de la continuité dans le chemin parcouru et surtout la présence de la mer qui m’enchante et me calme à la fois.J'aime cette mer qui me rend libre et me renvoie aux jours heureux vécus en Bretagne.Et puis, il faut dire que je n'aime pas les foules ni ces masses de gens agglutinées dans les grandes surfaces, avides de consommer toujours plus.Je les fréquente le moins possible C'est donc par goût de l'évasion que je suis devenu, voyageur.
Une phrase de Dan Ar Braz me trotte dans la tête : Rien ne nous appartient. on appartient à cette terre sur laquelle nous vivons". J'aime assez cette idée et je m'en rapproche chaque jour un peu plus. C'est ainsi que, accompagné par elle, je désigne un endroit comme devant être le centre de ma future spirale et je plante mon talon droit dans le sol. Il me sert de soc de charrue et c'est lui qui va tracer la figure jusqu'à la fin. Je déroule le sillon avec difficulté. Le sable est souple mais truffé de pierres qui font dévier mon pied.Contrôler, l'écart et le parallélisme du sillon me demandent de gros efforts physiques. Je souffre des jambes, à la limite des crampes car il fait très froid et mes muscles se contractent. Malgré toutes ces difficultés, la spirale est bien équilibrée. Elle "tourne bien ". Elle sera même un peu plus grande que d'habitude. 49 mètres de circonférence, une belle pièce ! De plus, j'ai réussi ce que je voulais. Elle intègre bien la trace de neige. Ce rapprochement me va car il dynamise mon installation qui semble rejoindre la mer. Je termine mon installation, complètement frigorifié mais heureux.
Le jour même.
C'est un jour noir, un jour dont le ciel pèse lourd sur les épaules et mange la lumière. Le vent est déjà levé mais il forcira certainement dans la soirée. C'est maintenant qu'il faut y aller.Je vais me rendre sur le plateau de Colombelles où l'hiver m'attend. Je pars du canal, traverse un premier terrain vague, puis un second et j'oblique vers le Nord. J'entends au loin, les bruits de la ville mais il n'y a personne dans les parages.Je longe un bosquet de buddleias fatigué par les coups de gel successifs .J'atteins un ancien pont métallique rongé par la rouille et dont le franchissement n'est pas conseillé à cause de son état. Avec des précautions de chat sauvage, ,je l'emprunte et franchis l'ancienne voie ferrée, puis le fleuve qui courent dans la vallée au pied du plateau, sur lequel je débouche après avoir escaladé un dernier terrain très pentu. Le grand réfrigérant me toise. A sa droite, un bâtiment industriel en ruine sert d'exutoire aux taggers de la région. Ce lieu est insalubre. Très rapidement je suis transit de froid et je décide de marcher avant toute chose pour me réchauffer.Je ferai une très grande boucle autour de ces deux "ruines industrielles et j’installerai, en route. L'ambiance est glauque, digne d'un polar de Stephen King. Le peu de lumière me ferait croire que la nuit tombe. Il n'est que 15 heures.
Saurais-je raconter ces heures où je m'absente d'elle alors que la vie n'en finit pas de s'user. Je suis un oublié du temps, un voyageur immobile happé par des installations éphémères.Je ne suis qu'un passeur de sens qui navigue entre deux mondes.
Ma mémoire s'absente aussi, me déleste des soucis du quotidien et me permet de créer, jour après jour dans cette apnée volontaire.
Je vais ainsi commencer par une spirale de graviers noirs, avec en toile de fond, le grand réfrigérant. Quoi de mieux que ces ondes sorties du sol pour envoyer ce message au monde : Respectez les hommes et conservez nos outils de travail. Puis j'obliquerai vers l'est et trouverai de la neige autour d'une mare pour réaliser quelques petites installations dont l'étoile de mon ami Raymond qui repose en paix mais reste toujours vivant dans ma mémoire. En quelques heures, je termine le tour de ce plateau désert et j'élève un dernier cairn pratiquement au pied du grand réfrigérant. Belle rencontre.Je pense que cette nuit, ils se parleront. Avant de reprendre le chemin du retour, j'entre dans l'enclos du grand réfrigérant.Immense cathédrale de béton, sans toit. C'est un univers de courants d'air, de poutrelles de béton armé, avec un sol jonché de gravats, à moitié inondés.Spectaculaire et un peu effrayant à la fois. J'y ai déjà crée des installations mais ce soir, il fait trop noir, et je suis fatigué par ce froid intense. Je n'ai plus qu'une envie, marcher. Et c'est ce que je fais en direction de la maison où m'attend celle que j'aime.
Roger Dautais
Si chaque fois que
Si chaque fois que
je sue je te perdais je serais rendue
à bon port :
tu ne reviendrais point dans
ma gorge le matin mais
suaire de toi sur mon
drap.
se ogni volta che
sudo ti perdessi sarei
a buon punto :
non torneresti in
gola la mattina ma
sindone di te nel mio
lenzuolo.
Elisa Biagini
http://www.elisabiagini.it/online/
Rien ne dit
la source
ni la fougère
ni la mousse
ni la salamandre amie
de l'ombre
Je sais l'endroit
à mi-pente
de la rue Anne
et le garde
secret
comme un serment
fait à mon père
disparu.
Roger Dautais