À Marie-Claude, femme aimée.
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maelstrom de vie
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Dans ces montagnes russes parcourues tout au long de ma première
vie, il m’arrivait de vomir mon enfance. Certains soirs, je pensais
avoir vécu un jour de trop.A chaque fois mes tripes se crispaient.
Pourtant au lever du jour, mes doigts agrippaient à cette vie
détestable, croyant vivre du mieux, bientôt.Je sauvais du naufrage,
quelques idées glanées la nuit, d’un rêve à l’autre. De belles
occurrence rapprochaient les êtres qu’il fallait vivre avant leur
fragmentation.
Mes souffrances avaient une existence circulaire, allant et venant comme les marées dans la baie.
Il m’arrivait de me lancer dans quelques travaux intérieurs,
réglant une circulation sanguine, trop bouillonnante, consolidant mes
os de quelques prothèses. Mais les moisissures colonisaient mes
synapses. Ma mémoire amnésique, s’épaississait, cédait la place et la
mélancolie reprenait de plus belle.
Plus proie que chasseur, je
craignais la meute de chiens, chassant le hobo, empêtré dans les
marais, emportant mes restes, comme dans le pire des cauchemars.
Te souviens-tu des images folles collées comme des affiches sur les
murs du port de Caen ? Portraits au fusain, de hobos morts sur la route
et que le vent décollait sans pitié. L’âme de ces morts
tintinnabulait dans les impasses des docks. On dansait avec eux, sur
les trottoirs à putes, certains soirs avinés.
Finir là-bas ou ailleurs, au pied des cargos dont certains marins ravitaillaient en came, nous était égal.
C’était toujours ce fichu et même temps donné qui s’écoulait.
Il aurait fallu ,après l’incendie de nos êtres, trouver une place
sur les pavés luisants pour répandre la dernière poignée de cendres
que le vent aurait dispersé.
Mon univers se situait au-delà de mes
propres limites. Ma lumière , se partageait l’espace intime avec ma
part d’ombre intérieure. Ce lieu incertain contenait une once de
magie née de cette tension alternative.
Une sorte de réponse au
doute. Les affres de mon corps vivant, différenciaient ma chair de la
pierre. Éveil de sensualité à fleur de peau.
Je laissais à l’univers le soin de m’absorber.
Je vivais ailleurs, avant tout, étranger, sans appartenance. Ma peau
témoignait de mes gênes.A peine posé quelque part, je poussais mes
racines dans le vivant. Une manne inattendu qui sauvait la mise. Puis,
je reprenais la route
Si je m’en étais sorti à chaque fois,
jusqu’ici, je payais pour savoir que les rescapés n’avaient jamais
raison. Personne ne voulait entendre leurs récits catastrophiques,
pleins de geôles, de cachots, de trains et de barbelés..
Etais-je perdu dans ce maelstrom de vie?
Non, j’avais toujours une boussole dans mon sac à dos. Je savais les
routes à ne jamais prendre comme celles qui menaient au fascisme.
L’orientation aux étoiles, que je pratiquais depuis mon enfance,
gardait un parfum poétique. Je conservais cette habitude, depuis ma
jeunesse sacrifiée et les nuits à la belle étoile.
J’aimais, dans
la baie, cueillir les salicornes que je mangerai le soir avec toi, dans
notre cuisine. J’aimais de plus en plus, lorsque tu me regardais avec
tes yeux bleus.
L’âme de la baie où je pratiquais le land art,
était curieuse, venteuse, grise. Sous ses airs de poésie flottante, les
bulots continuaient à manger les yeux des péris en mer, entre deux
marées.
Sortie d’un bois de pins maritimes, la tourterelle turc,
devenait le trait-d’union vivant entre le souvenir du lieu gardé dans
sa mémoire d’oiseau et la réalité d’une étendue d’eau de mer, quelle
survolerait sans jamais la maîtriser.
Vous désiriez où je vivais, passante, sans soucis ? Si je le savais vraiment, sinon en moi lorsque je ne me quitte pas.
Enfant de pourchassé, très vite indésirable, j’avais pris la route de
l’exode dans ma jeunesse pour chercher le passage vers l’autre rive.
J’y marchais encore.
Pourquoi attende qu’une bonne âme me tende la
main et me montre l’embarcadère, pour cet autre monde, sans guerres,
sans racisme, sans dominants, sans violence, sans colons ? Je le
connais, rêvant aux jours meilleurs et c’est là que je vais m’asseoir
les nuits de grande peine.
Roger Dautais Route 78
Photo : création land art de
Roger Dautais " Maelström de vie " à Guy Allix.
Normandie.