Breizh : à Danièle Duteil |
Le gisant de Saint Jean : pour Elena Nuez |
Le gisant de St. Jean : vue d'ensemble |
Le secret de St Jean : Pour Pilar Lain |
Pierre de mémoire : pour Uuna |
Laisse de mer : pour Remeï |
L'heure profonde : pour Moun B. |
Le guetteur de St Jean : Pour Sadaya |
Spirale de ST Colomban : à Serge Mathurin Thébault |
Terraqué : à Eugène Guillévic |
Les suivants : pour Norma |
Les premiers : pour Orfeenix |
Confidences : à Marie-Claude |
Après la tempête : pour Marie-Josée Christien |
Dès lors que l'on renonce à tout comprendre tout
s'éclaire *
M.J.Christien
Hommage à l'Atlantique
Il fait froid. Le ciel est couvert, la mer est grise, un léger vent qui n'arrange rien, va m'accompagner aujourd'hui. C'est la première fois que je mets les pieds sur cette plage de Saint Colomban, à Carnac. D'emblée, le lieu me plait.J'aimerai y tracer ma première spirale de l'année 2014, car, jusqu'à ce jour, le mauvais temps m'en a empêché.
Je descends sur la plage. Le sable est tassé, mouillé, les dernières tempêtes l'on damé comme une dalle de ciment. Enfin, presque.
Je tente le coup et je ne suis pas déçu car elle sera très difficile à réaliser. J'insiste, plante mon talon gauche dans le sable et commence le travail de traçage. Au bout de quelques tours, elle apparaît assez régulière mais peu profonde. L'effort est intense et il faut surtout éviter le claquage d'un muscle - cela m'est arrivé- surtout par ce temps froid. Les derniers tours sont tracés, centimètre par centimètre ce qui est très pénible, mais le sol est si dur qu'il est impossible de faire autrement. Ayant choisi le haut de la plage, par obligation car c'est le seul endroit possible pour travailler, je suis proche de la digue et j'ai de la visite. J'entends de tout, ça va du compliment à l'ironie, parfois la moquerie : "c'est les Maya, les Aztèques, les martiens ! J'ai l'entrainement et je prends cela avec humour. En fait, ce que je crains le plus, ce sont les gros chiens en liberté.Ils peuvent ruiner mon travail en quelques secondes. Aujourd'hui, il m'aura fallu 1H30 pour arriver à terminer cette spirale. Je prends du recul et monte sur la digue pour la découvrir , vue d'en haut. Une belle impression, une satisfaction du travail bien fait. Enfin, premier hommage à l'océan Atlantique.
A cette heure là, Carnac attend que la nuit tombe ce qui ne saurait tarder. Il me reste environ deux heures de lumière et ce sera fait. Je prends la direction de l'Est. J'emprunte le chemin de Ty Bihan qui longe la côte. Les dernières tempêtes l'ont abîmé. Je descend sur les rochers bordés par un emer calme et choisis quelques pierres pour élever le premier cairn d'une série.
j'écoute l'imperceptible chant des pierres bretonnes. Il est silence, me dites-vous ? Nul n'est besoin pour moi,en ce domaine, d’acquiescement. Je l'entends, je le sais, je le sens et le tambour du monde qui bat dans ma poitrine, s'emballe. Mes yeux se brouillent. Ils sont là, devant moi, revenus, mes revenants, qui dansent sur la grève.
Retenir une heure simplement en mémoire, de ce jour : celle ici présente, maintenant...
Le rendez-vous de la baie
Un ami me demanda un jour, pourquoi je continuais la série des gisants de Sallenelles, si décriée, autrefois. Je lui répondis : je ne me suis jamais posé la question de savoir,si je devais le faire, mais pourquoi, je ne le ferai plus.
Ils se sont imposés comme des incontournables dans mon travail.
Depuis notre retour en Bretagne, je n'ai trouvé ni le lieu ni l'inspiration pour reprendre cette tradition qui remonte pour moi au début des années 2000. Très attiré par la beauté sauvage de la Baie de Saint Jean, sur la ria de Crac'h, j'y retourne régulièrement depuis que je l'ai découverte. En pratiquant le land art sur sa rive gauche, j'ai trouvé une minuscule plage de sable fin. Elle est située à l'emplacement d'un ancien chantier ostréicole, en ruine et domine la rivière. Ce lieu me plait, car il est calme, ouvert et lumineux .Depuis plusieurs semaines je me dis qu'il pourrait convenir à installer un gisant. Ce matin là, malgré la brume, je pars vers la ria et j'arrive sur la petite plage. La mer a commencé à monter , mais il y a peu d'oiseaux posés sur la vase et au bord des filières, quelques cris par ci par là mais c'est tout.
Je pense que c'est le bon jour pour entamer une série bretonne. Je trace sur le sol la silhouette du gisant et , à l'aide d'une pelle, j'accumule le sable nécessaire à la sculpture du corps.
La forme évoque très rapidement un corps allongé et la proximité fait que j'ai l'impression de lui prodiguer les derniers soins. Le rituel m'emporte loin, très loin. Je ne cherche pas à combattre mes idées et je les laisse venir. Impossible de ne pas revoir tous ces morts accompagnés, les miens, disparus.C'est troublant.Je parle, je lui parle, je m'adresse à eux, le rite passe par là.
C'est probablement une façon de conjurer ma peur, de partager aussi ce magnétisme émanent de ce gisant. Véritable piège pour qui se laisserait prendre trop longtemps au jeu. En même temps, une relation puissante m'unit avec d'autres rites vu en d'autres lieux, entretenus dans d'autres cultures sur la planète.Je suis comme dans une bulle isolé de tout provisoirement mais profondément humain dans ces gestes.
Il me faut terminer le travail d'ornement.
L'ancien chantier ostréicole abonde en tuiles rouges, servant au naissain d'huîtres. Abandonnées par centaines, elles sont là, inutiles, véritables objets de la mémoire ouvrière que la crise a rendus inutiles après en avoir chassé les hommes. Ces tuiles s'imposent à moi,sans calcul mais avant, je réalise comme une sorte de couronne de pommes de pin cueillies sur un arbre abattu par la tempête. J'entoure le gisant d'un ruban de tuiles rouges orangé. L'effet est saisissant. Il m'échappe. Je ne peux plus y toucher et je ne le toucherai plus. Il appartient au paysage.
Pendant mon travail, l'océan a fini de remplir la ria et j'entends derrière moi, le chant de l'eau me rappeler sa présence. Elle est à deux mètres de mes pieds. Avant qu'elle ne recouvre entièrement le goémon,j'en récupère quelques pognées. Il me sert à entourer le corps d'un dernier geste et ainsi, lier le gisant à la mer.
Ce sera mon premier réalisé en Bretagne et il portera le nom de Gisant de Saint Jean. Avant de quitter la rive, je réalise un petit mandala en hommage ultime. Je m’assois près de lui .Le temps s'étire. Je ne fais rien de plus et me laisse vivre. La sérénité de l'instant est la récompense de tous mes efforts
Le froid, la brume, l'humidité, l'auront accueilli et pris en charge dans cette Ria. Il fait maintenant partie de l'esprit des lieux quoi qu'il arrive.
Roger Dautais
Je ne sais du voyage
que les haltes
où la mémoire fait escale
un segment d'horizon
dévoile
l'âpreté de l'attente
il n'est plus temps
de croire
tout ce qui s'offre
à l'enclos de l’œil.
Marie-Josée Christien
Temps morts
Editions Sauvages
Collection Askell 2014
Saluons la parution en ce début d'année, des deux derniers livres de Marie-Josée Christien
* Petites notes d'amertume
et Temps morts
dont est extrait le poème présenté ici cette semaine
Ces deux livres sont édités par Les Editions Sauvages
dans la collection La Pensée Sauvage pour le premier
et la Collection Askell pour le second livre