à Marie-Claude.
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*Je ne recommencerai pas.
Le poète s’était suicidé un mois après notre rencontre.
Je n’y étais pour rien. Affecté, oui.
A l’annonce de cette nouvelle, le silence s’était fait dans notre cuisine.
On avait trouvé sur son corps, un papier quadrillé, protégé par une
pochette de plastique. Il y avait écrit, sa dernière phrase, au
crayon à papier, avant d’en finir
« Je ne recommencerai pas ».
Depuis quelques années, cet homme c’était intéressé à mes travaux et
moi, à sa poésie. Il aimait mes land art mettant en scène,
l’étoile de David. J’appréciais car ces étoiles ne faisaient pas
l’unanimité. Je lui avais envoyé pas mal de photos sur ce sujet,. Je
lui avais aussi confié ma proximité avec la communauté Israélite de
ma région. Et ce, malgré mon peu d’intérêt pour toutes les religions.
Nous avions convenu d’un travail commun sur la Shoah. Lui écrirait le texte que je mettrai en images, pour un court métrage.
Concernant le choix de la musique, ce serait la chaconne de Bach, très
jouée à Auschwitz par les prisonniers dans les conditions dramatiques,
de nombreuse fois racontées par ces musiciens réquisitionnés par les
SS.
Elle serait, dans notre film, interprétée par trois musiciens
que le Rabbin de ma ville, un ami, m’avait indiqués et recommandés.
Sarah Aberge, au violoncelle accompagnée de deux violonistes ,Abraham
Benesti et Hanan Helbaz. A sa demande, je lui avait fait passer les
photos des musiciens. Il avait trouvé, Sarah, très jolie
Je n’avais fait aucun commentaire.
De mon côté, pour les besoins de la mise en scène, je m’étais mis
à fabriquer une grande quantité d’étoiles de David : trente en
peuplier, dix coudrier, dix en lin et dix en roseau. Cela m’avais pris
beaucoup de temps. Certains soirs, je m’étais fait aider par
Marie-Claude.
Le repérage des lieux de tournage m’avait angoissé .Lorsque je m’étais trouvé seul, face à ce wagon vide, sur un e voie ferrée désaffectée de la gare de la ville,entouré de présences inexpliquées. Un murmure d’êtres humains. Des enfants, qui appelaient leur mère. Des femmes des hommes qui appelaient au secours. Je délirais. Je les imaginais, perdus, en partance vers les fours crématoires de Pologne, ignorant tout de leur sort . Je n’avais jamais pu effacer ces images de ma mémoire.
Les répétitions avaient eu lieu, dans un dépôt désaffecté de la SNCF, prêté par le chef de gare.
Les musiciens avaient joué à proximité des voies ferrées et d’un
ancien wagon à bestiaux, amené sur place à l’occasion du tournage. Une
insolente clarté d’avant l’orage avait probablement mis à nu bien
des choses enfouies dans leur mémoire, à la vue de toutes ces étoiles
de David, sortant du wagon et s’étalant sur les voie ferrées.
Un grand nombre de valises en carton, comme abandonnées par leurs propriétaires, s’empilait sur un quai.
Le scénario prévoyait l’arrivée de deux hommes vêtus de blanc,
ramassant toutes les étoiles, puis s’enfermant avec elles dans le wagon.
Nous l’avions fait.
Ne manquait plus que la présence du poète, lisant son texte en direction de l’est.
Nous étions en 2002, le nouveau siècle avait généré d’autres peurs. Ma
pratique quotidienne du land art , en solitaire, me permettait
d’évacuer toutes les tensions nées à mon histoire personnelle.
Naître en temps de guerre, n’était jamais anodin.
A cette époque, je réalisais beaucoup d’installations flottées, parce
qu’elles étaient belles, éphémères et difficiles à réussir. Cela me
donnait l’équilibre nécessaire à continuer mon projet sur la Shoah.
Une semaine avant la rencontre avec le poète, j’avais entrepris
d’élever une série de cairns monumentaux, dans une carrière
désaffectée. Ils dépassaient tous les dix tonnes de pierres.J’étais
crevé et manquais de sommeil.
Mis au courant de cette fatigue, il
avait refusé de reporter notre rendez-vous. Le poète avait insisté à
me voir pour le prochain week-end. Six cents bornes aller-retour.
Je l’avais trouvé chez lui, travaillant dans un chalet de bois,
construit au fond de son jardin. Il était entouré de quatre chats,
trois de gouttière et un chartreux. Il avait épinglé au mur, toutes mes
photos land art que je lui avais envoyées au cours de ces derniers
mois . Toutes biffées d’un gros trait au feutre noir, sauf les étoiles
de David. Son intention était de brûler les photos inutiles et d’en
déposer les cendres dans un carré de jardin, où il avait enterré ses
chiens depuis leur mort. J’avais aimé l’idée.
Je lui avait
présenté les photos des lieux de tournage, l’ancienne gare de triage
SNCF, les voies ferrées et l’ancien wagon à bestiaux, ramené sur
place, pour l’occasion. Je lui avais remis une étoile de David, en
coudrier, qu’il avait posée sur son bureau. Enfin, j’avais ajouté
qu’une amie vietnamienne, cadreuse, se chargerait du tournage. Tout lui
convenait.Juste avant de partir il m’avait dit que ce serait la dernière
contribution à un tournage. Puis il avait ajouté : Je vous croyais
moins vieux et plus grand.
J’avais pris ça pour un compliment de
poète. J’ignorais à l’époque que je ne le reverrai plus jamais. A
l’annonce de sa mort, j’avais eu une pensé pour ses chats.
Plus
tard, je continuais à introduire des étoiles de David, notamment dans
mes performances réalisées sur les plages du débarquement, en
Normandie, avec mon groupe international de land art, composé de cinq
femme est un homme : Une Américaine, une Anglaise, une Canadienne, une
Coréenne et une Francais, en l’occurrence, Marie-Claude, ma femme.
Elle avait eu l’occasion de m’assister plusieurs fois sur des
performances importantes. Je ne compte pas nos soirées à fabriquer ces
étoiles de David à l’atelier.
Cette mésaventure, mit fin à la
fabrique de mes étoiles, qui dura encore quelques mois, avant de stopper
définitivement. Mon land art se trouvait imbriqué dans ma vie, mais
aussi dans mes souvenirs. Il tenait compte de rencontres comme celles du
poète, qui se terminaient habituellement moins dramatiquement.
Certes ma conception du land art était très personnelle, mais je ne
devais rien à personne et tenait à continuer ce chemin, librement.
Commencé par le très fort appel d’Ana Mendieta, il me permettait de
poursuivre une exploratoire artistique et une recherche personnelle,
avec l’idée de la pousser au plus loin.
Lorsque viendrait le temps de quitter ma route définitivement, je n’aurai aucun regrets.
Roger Dautais
Route 78
« Photo : création lard art de Roger Dautais
« L’étoile de David » à Raymond Anisten*, mon ami
Caen-Mondeville
Normandie
* Créateur de l’Association nationale des enfants et petits enfants des évadés et rescapés du Vel d’Hiv ; du 16 Juillet 1942