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| " L'échelle de Jacob " pour Maria-DoloresCano | 
Ce
qui donne un sens  à notre comportement à  l’égard de la vie,
est la fidélité  à  un certain instant et à notre effort  pour
éterniser cet  instant.
Mishima  
Le
pavillon d’or.
*
*
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À
Marie-Claude.
*
Parenthèses
bretonnes.
Le
tout ne devait pas se résumer  à une pratique du land art, sans
convictions,  mais bien de  le  mêler,  intimement à ma vie.Il 
m’avait ensuite fallu inventer un langage singulier. Il ne devait
pas  trahir ma  pensée. Le cœur restait le  maître du jeu. Si le
partage s’avérait  possible avec quelques-uns de  mes semblables
au début, mais dont le nombre  grandissait, c’est qu’un passage
existait  bien entre  la matière et l’esprit. Quelque soit le
résultat, sans amour, le jeu se serait vite arrêté.
Entre
deux absences de toi,  un  grand vide entourait ma vie.
Je
marchais, ce jour  là, droit devant, face  à la mer,  pour
rejoindre une  partie de  l’estran, dominée  par de  beaux
rochers. La journée s’y usait, après  le tour de  l’île de
Bréat. La  lumière aussi. Me restaient des quantités de  pierres
libres. De quoi  monter une échelle de  Jacob.
L’hiver
de  ma vie, je le  partageais entre toi et la marche. A chaque départ
sans toi, je te quittais, emportant ton sourire en mémoire.J’ose 
le  blasphème,  un  viatique.
Le
land art, surgissait  ou pas, selon les idées, les rencontres avec
le paysage, la  lumière,  mon humeur aussi. Labile, disaient les 
langues bifides.
Le
soir, en  rentrant, , nous avions ce  même rituel de nous asseoir  à
la table de la cuisine, se racontant notre journée. Fatiguée  par
ce  voyage  ou je t’entraînais à pratiquer le  land art, comme
sur les  immenses plages normandes, tu avais décidé, ce  matin,  de
m’attendre  à Paimpol, dans  notre gîte  provisoire.
Mon
destin faisait de chaque absence,  un homme perdu par le passé d’une
 jeunesse détruite, dont je  ne  pouvais guérir.
L’estran
respirait, racontait son  histoire. Ici, à gravage,  dans les 
siècles passés, de  lointains ancêtres naufrageurs, se
nourrissaient  mal, des  restes de  naufrages. Tout était en 
mémoire dans ces pierres libres. La terre bretonne sur laquelle  je
marchais, avait accueilli des familles de  marins-pêcheurs, de
paysans, tous plus  pauvres les  uns que les autres, dociles  ou
révoltés, croyants ou athées. Ils s’étaient aimés, avaient
fait des enfants que la mer parfois  leur enlevait. Un passé de 
plomb qui ne deviendrait  jamais, dentelle précieuse. Le pain dur ne
se couvrirait pas de caviar. Mais, la pauvreté se vivait fierment.
Chaque
pierre levée représentait cette fierté de  mon  peuple dont le
sang  bohémien, avait essaimé sur tous les continents. Youenn
Gwernig  l’écrivait, la chantait, cette fierté bretonne, la
partageait avec Jack Kerouac. Tous cousins,  on disait, chez nous.
Mon sang bohémien,  mon sang noir,  puisé au plus  profond de nos
terres de la  même couleur, ma peau halée, affichaient  mes
origines.
De
quelles bouches sortaient les  mensonges, trompant tout  un petit
peuple,  pour nous enrôler. La misère existait toujours,
aujourd’hui, sous d’autres masques. Mais également, cette joie
de vivre populaire que j’exprimais dans cette échelle de Jacob,
triomphante
L’estran
désertique chanterait  jusqu’au recouvrement total de  l’échelle
de Jacob, par les  eaux salées de la Manche. Puis, le faux silence,
régnerait, dans cette marée  montante. Pas de harcèlement. Un
combat  à la  loyale. Le futur serait vécu, ensemble, dans la chute
et dans le bruit mat des  pierres qui s’entrechoquent pour
rejoindre le fond de l’eau. Sans rancune.
Elles
rejoindraient la saignante  multitude des vies brisées, dans le 
grand silence.
Je
serai déjà  loin,  marchant seul sur  mon  ombre  pâlotte.
Ah !
l’affreuse mort que de disparaître seul !
Mais,
je  n’y étais pas encore et ma nostalgie me rapprochait de toi,
femme aimée. 
Je 
n’étais pas une légende. Les légendes ne  marchent  pas.
J’étais
 un vieil amoureux perdu sans  toi., n’attendant qu’une chose :
tes bras.
Roger
Dautais
Route
78 
Dernières
notes pour le chant final.
Photo :
création  land art de Roger Dautais
« 
L’échelle de Jacob »
Côtes
d’Armor  -  Bretagne
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*
*
Tout
 juste ici laisser un peu de  traces errantes
dans
la terre. Un peu de  poussière dans
le
vent.
Humblement.
Guy
Allix *
Survivre
et mourir
Éditions
Rougerie -  2011
