La vie, comme elle va

"S'il suffisait de lire comme dans une bulle de cristal, alors, ce serait, facile.Mais il faut vite déchanter, prendre la route, sac au dos et marcher, toujours marcher pour oublier ce que l'on a déjà fait, ce que l'on va faire. Il faut attendre que la nature nous prenne et nous ouvre sa voie. C'est une progression incessante, pour de si petites choses".
Roger Dautais . Septembre 2009

Un voyage étonnant au cœur du land Art

mardi 5 juillet 2011
















à Linda Ellia

aux douze élus...


La mort, c'est le regard des vivants,
Elie Wiesel






Le bols chinois achetés autrefois au Bon Marché, s'entrechoquent sur la toile cirée de la cuisine. Dehors, la nuit pâlit.
Les ripeurs ramassent la merde.
Ils sont tous black dans cette équipe du matin. Une poignée d'anges nous affleure dans le ciel. Paris cache ses travelos chez les bourgeois dépravés. Rue Gît le Cœur, les pavés gardent le souvenir de souleries américaines. A l’hôtel du même nom, on affiche complet
Pierre
et de De Saint Jean ont ouvert un cubi de rosé de Provence à cinq heures ce matin. Ils râlent devant la fenêtre ouvert, sur les courants d'air, sur l'odeur des ordures, sur le RMI qui tarde, sur l'éduc avec sa gueule de petit loubard qui leur pompe l'ai avec sa morale à deux balles.
Leurs vrombissements de moulins à gueule, c'est le vent qui se charge de les énucléer.
Aveugles dés-ailés, avinés et avachis sur la table, petits Pégase, ils tentent quelques envolées et retombent dans le marigo.
- eh ! deux singes, fais voir ton bouquin du jour.
- Je t'ai déjà dit, Pierrot,ne m'appelle plus deux singe, mon nom c'est De Saint Jean.
- P.D.
- Quoi ?
- P.D.... De Saint Jean, pourquoi pas de Sacré Coeur de Montmartre, aussi. T'as pas honte de ton faux blaze, moi, je sais que ton vrai , c'est Henri Legrix. Alors moi, je t’appellerai deux singes et pis c'est tout.
- Et pis c'est tout. Tu sais même pas causer mon pauvre Pierrot. Allez, ressert moi un verre, on est à peine chauds.

Dans le silence de la cuisine, on entend le rires des Ripeurs , en pause.

- T'as vu les deux politicards hier à la terrasse comment qu'ils nous reluquaient. Faudrait qu'on prenne au moins une douche par moi. ça attire l'odeur. On doit sentir le rat crevé.
- Oui ça, n'empêche qu'à la terrasse, ils cassaient du vieux, ces bobo-parigo, drapées dans leur dignité de gauche.
-Le pauvre a toujours payé, Pierrot, gueulé, et bandé pour le riche. Regarde, nous, avec le Lotoman.
- Tu veux dire le mec qui gagné au loto la semaine dernière.
- Moi, je dis Lotoman ça veut dire le man du loto. T'as pigé man, avec ta cervelle de moineau. Faudrait un peu plus regarder la télé, man.
- J'dis rien, j'connais pas l'allemand.
- Écoute-moi , tête de pioche, Lotoman, s'il veut se faire incinérer, par exemple, alors là, c'est du beau du lourdingue qui pèse dans son larfeuille. Si y veut, y peut.
Toi, pauvre parigo, si tu veux te faire incinérer et jeter à la mer, tu peux pas, parce que la mer c'est trop loin et que en plus, t'es trop con. Tu comprends.
- Dit comme ça, je comprends. Sert moi un verre.
Pierrot l'avale cul sec et dit :
-quand -même, ça doit brûler les pieds.
- J'connais les mecs du cinérateur, des fois, je vais écluser avec eux. Une fois, ils sont tombés sur un client plein oseille, mais chiant. Il voulait faire brûler son vieux et le transporter en Mer d’Iroise,qu'il disait. Tu penses, les gars, il sont tous tiré au moins 15 ans de centrale avant de bosser au cinérateur, alors, faut pas se foutre de leur gueule. Ils savent bien que la mer d'Iroise, c'est des conneries de riche. Y ont encaissé le blé du client et ils ont été vider l'urne sur un tas d'ordure. Tu vois la méprise. Tu vois ça, comme me dit mon beau-frère des douanes: toi qui dans ta vie n'a fait qu'ouvrir fenêtres du 5ème étage, aux rebelles qui te barraient la route de la légion d'honneur, pour les voir s'écraser sur le carrelage du patio, ça la fout mal.
- Pour quoi tu me dis tout ça.
-ben, le mec sur le tas d'ordures, c'était un D.R.H.
- c'est dur à entendre. Sert moi un verre. Moi aussi, j'ai choisi ma disparition !
- Ta gueule, p'tit tas d'm.... Ici t'es chez moi, homme du monde, rue Gît le Cœur. Et le monde, il est à moi. Je suis a poil, certes, mais tellement envie claquer la gueule à tous les larbins de ton espèce pour leur apprendre à danser la rumba. T'as vu le cul de Margot, quand je dans la rumba aux DeuxHémis. C'est par pour ton serein,, une femme comme ça.
-Tu la payes !
-Quoi !
- Tu payes
- Sale con.
- possible, mais tu la payes.
- Tu devrais pas dire ça, Voisin.
- Pourquoi Voisin
- Tu vois bien que c'est pour rire.
Les deux hommes sont dans un état d'ébriété avancé.
-C'est quoi ton livre Deux singes
- un livre de philo le bonheur désespérément de andré Comte-Sponville
- oh , la vache...Et tu lis çà ?
- Ben non, c'est pour faire plaisir aux pouffiasses qui chassent le rebelle pour les mettre dans leur pajot.
- Tu l'a volé où.
-j' l'ai pas volé, c'est un ange qui me l'a offert. Si t'avais vu le châssis, mon pauvre nabot, même monté sur une chaise, t'aurais encore été trop petit. Alors, tu vois, tu peux t'écraser. Tiens, passe moi l'autre cubi, on a séché celui-là.
-Eh, dis donc, Pierrot, tu peux pas enlever la merde que tu as autour du cou?
- Quelle merde?
- étoile de Jude.
- Pauvre mec, connais-tu au moins tes origines de blond filasse? T'es un bâtard de louve romaine.
- Ils en ont laissé de trop des mecs comme toi. Il faudrait recommencer, les camps, les douches et puis les fours, non de Dieu. Des mecs comme toi, y en a trop sur terre.

Les ripeurs,adossés au mur, terminent de manger leur casse-croûte si disant que rien n'est jamais gagné sur cette terre qui donne toujours le meilleur d'elle-même à ceux qui croient la posséder. Ils reprennent leur place sur les marche-pied métalliques à l'arrière du camion benne. Le chauffeur met le diésel en route. ça enfume les gars, ils râlent. Le camion s'ébroue comme un chien de chasse sortant de l'eau.
Dans la cuisine, les bols chinois s'entrechoquent sur la toile cirée. De saint Jean s'est endormi sur sa chaise et ronfle tête renversés. Pierrot, allongé sous la table, nage dans sa pisse, secoué par sa deuxième crise épileptique de la nuit. Les camps lui auront au moins servi à cela, être le douloureux témoignage d'un peuple sacrifié. Un rayon de soleil éclaire la scène. Une petite étoile veille et se souvient.


Moïse Clément



Innocentes voix d'enfants amenés à l'abattoir, vous hantez mes nuits. Vous êtes des revenants revenus, des rêves nus de résurection. Peuple sacrifié des rafles, je suis de vous comme la sève de l'arbre que l'on abat et qui s'accroche à la vie par la racine oubliée. Clément, Klebert, Kaufman, Weill, Anisten, Shleusen, Rosenfeld, Moraïm, la petite musique de nuit s'envole et les violons du bal jouent pour vous , pour moi, la Chacone de Bach. Plutôt mourir que de renoncer.
Terres cendres que nos mémoires foulent dans ce voyage en pyjama rayé, barbelés entourant des plaines vides, appels obsessionnels des gênes, mon âme délitée s'accroche en lambeaux sur chaque barbelé.


Dans convoi N° 1 commençant la déportation des juifs vers les camps Nazi,
il y avait
Peter Blosh,
Osias Blumenfeld
Abraham Bocian,
Salomon Bouaniche,
Lucien Branbowski
Maurice Beresniack
Leijb
Armand Blexman,
Chaim Biderman,
Jankiel Bregman
Abraham Bernaum
Szerel Botlevi


Dans la si poignante exposition de Linda Ellia des inconnus, des artistes célèbres, des étrangers ont été prié de s"exprimer sur les pages d'un livre écrit par Hitler MEIN KAMPF. J'ai retenu cet écrit d'une main tremblante

exterminer l'autre,
le différent
le basané
le Juif,
le communiste,
le tzigane
handicapé
et c'est signé AILE.

Pas un été ne passe sans que l'on ne me parle de la couleur de ma peau. Basané, manouche, arabe, Juif.
Tout y passe qui me blesse et me flatte en même temps. Rien n'est apaisé de ce côté si l'on prête bien attention.
La couleur qu'il faut avoir, est bien la blanche.

Je trouve que cette nouvelle exposition ne fait que renforcer en moi cet état de veille, de témoin de mon temps qui passe, de l'ignominie des attaques anonymes. On peut vivre dans un champ de mine , mais faut savoir aussi que l'on peut y laisser sa peau à chaque pas. Les usines de fabrication de mines anti-personnel sont-elle aussi indispensables au paysage que le désert s'installant dans leur sillage?
Je pense que non.
La guerre ouvre la porte à toutes les ignominies.

Monter une telle exposition, après un travail titanesque, fait preuve d'un courage qui va bien au-delà de l'imagination d'une artiste, si douée qu'elle soit. C'est de la conscience de l'humanité, toujours en danger qu'elle parle au nom d'un peuple que fût exterminé par la volonté d'un peuple barbare, aveuglé par la propagande nazi d''Hitler.
Il faut absolument aller la visiter au Mémorial Pour la Paix de Caen. Il faut en parler autour de soi. Elle y est présente pour quelques mois. Prix de l'entrée 5 euros.

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Landartiste, photographe, auteur de livres pour enfants, Roger Dautais est aussi un artiste atypique, sensible et attachant.Il a sû, dans la diversité de ses expressions, trouver une harmonie par la pratique quotidienne de cet art éphémère : le Land Art. Il dit "y puiser forces et ressources qui lui permettent, également, depuis de nombreuses années, d'intervenir auprès de personnes en grande difficulté ( Centre de détention pour longues peines et personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer) pour les aider par la médiation de l'art.