à Marie-Claude...
Deux jours que j'ai tourné le dos à la mer ! J'ai pris la route, plein sud pour rejoindre les rives du fleuve où je croyais, un peu naïf que j'aurais réussi à travailler sur les berges. Mais non, de l'autre côté du ont de fer, franchis pour atteindre la rive gauche, je n'ai trouvé que ses eaux jaunâtres et tumultueuse qui m'interdisaient toute approche des enrochements où j'avais imaginé travailler. Je suis resté longtemps à regarder ces eaux, cette force, ces remous, fasciné par le mouvement de l'eau. J'ai décidé de rejoindre la forêt qui jouxte la voie ferrée abandonnée. Ah. Les voies ferrées ! A peine mis le pied dessus que mes rêves reprennent, non pas des hallucinations, des rêves éveillés avec la voix et les chansons de Woodie Guthrie, l'écriture de Jack Kerrouac, les poèmes de Alan Ginsberg, le chant de Youenn Gwernig. Attendez, ça ne fait de mal à personne et moi, ça me vient comme ça, quand je ne suis pas poursuivi par ces étoiles sanglantes, le bruit des trains, les cris. Vous voyez, ce n'est pas simple une voie ferrée pour moi.
Le voyage, oui bien sur, mais pas le même pour tout le monde, pas en première classe ! Alors, je me suis mis à genoux deux fois, une première fois pour orner cette voix ferrée d'une spirale rouge, que je sentais comme ça, comme une signature, d'un départ de marche et puis, presque aussitôt, un cairn de marche, bien planté au centre, comme un cri de révolte. Je me suis approché d'un jeune bouleau et j'ai confectionné une sorte de plateforme en branches mortes, pour accueillir un deuxième cairn, perché, pour éviter les coups de pieds intempestifs. Et j'ai pris ce chemin creux qui mène aux étangs. C'est là qu'il m' a rejoint, pendant la montée. Nous avons échangé quelques mots. "Petit Papa, tu n'as pas trop froid, dis-moi, dans ta terre Bretonne"? J'aimais nos travaux d'hiver, au Chêne Ferron, avec peu de mots et des gestes de jardinier, avant de rentrer, fourbus, pour prendre un bon café chaud. Tu te souviens" ?Il m'a répondu "oui, je m'en souviens". Puis je l'ai laissé tranquille, dans sa boîte, sous terre. C'est dur, cette absence qui s'installe, dur, ce souvenir de la fin, si muette, sans un mot. On ne comprend jamais un départ. Personne n'est fait pour ça.
Après, tu ne peux t'en défaire de cette mélancolie et le reste de la journée, c'est une présence qui t'accompagne, non pas un chagrin, une présence...
Le reste a suivi, cette saignée bifide sur les ajoncs congelés et ce premier cercle de fougères et de feuilles jaunes flottant sur un étang commençant doucement à geler. Les idées me venaient, dictées par le temps, le paysage, la solitude, le voyage. J'ai bifurqué sur la droite, dans un autre chemin creux où j'ai trouvé de quoi modeler une sorte de petite sphère de glaise, ornée, dans un premier temps de graines coquelicots séchés, puis modifié avec des fruits de l'églantier. j'ai terminé par un grand cercle de feuilles jaunes puis j'ai fait demi-tout, la nuit commençant à tomber. Je ressentais cette peur d'enfance, lorsqu'à dix ans, je passais mes premières nuits blanches à la belle étoile. Une fierté de "grand" et une peur d'enfant dans ce noir qui m'entourait. Bizarrement, j'ai gardé ces sensations dans ces endroits déserts, où le moindre incident sérieux serait très vite problématique. Pratiquer le land art n'est pas sans risque pour moi, même si je me sens jeune, je ne le suis plus !
Je suis retourné le lendemain pour pousser la marche un peu plus loin, vers les étangs, derrière la foret. Il avait neigé la nuit et le sol était gelé comme le premier étang où j'ai retrouvé mon cercle flottant, pris dans les glaces. Je suis allé vers les trois étangs, mais la glace était trop fine. Rien à faire, dessus, je n'ai réussi qu'à me mouiller les pieds. C'est bien aussi, de marcher, entre les installations, sans rien faire, dans une sorte d'abandon à la nature, juste nourri par le silence et le battement de mon cœur. Tambour du monde, ai-je pensé en l'entendant. Sans amour, que faire dans ce monde? Alors j'ai pensé à déposer un tout petit cœur, rouge, vraiment petit, mais ardent, pour cette que j'aime toujours, pour ce qu'elle est, pour ses yeux, si bleus, si beaux. Je l'ai regardé, en partant, tout petit sur la neige et ça m'allait bien. Dans une descente, j'ai élevé un autre cairn de marche, avec ce que j'avais sous la main, peu de pierres, gelées en terre. Il balisait ma marche. La nuit s'est remise à tomber. C'est comme ça, tous les soirs en fin d'année, on se fait vite prendre. J'ai rejoint la voie ferrée, par le sud. Sous la neige, cette voie ferrée prenait des aspects d'une beauté dramatique. Je n'ai pas pu résister, je me suis mis à penser à Raymond, à sa famille à la rafle du Vel'd'hiv. Oui, je sais je vais encore en gêner plus d'un. Mais je trouve moins grave d'évoquer la mémoire d'un ami, dernièrement disparu, que d'avoir organisé ces trains de la honte qui me hantent. Raymond me comprenait.Pas les esthètes ! Cela a été mon dernier geste, une série de petites installations avec des étoiles de David, dont je vous en présente,une. Je suis rentré, par la voie ferrée, dos courbé par la fatigue, avec le bruit des trains qui s'en allaient vers l'Est. Il n'y a pas de fin à cette histoire.
Roger Dautais
Paysage derrière la vue
Entre les gîtes
S'élèvent la lumière
Plus forte que nature
Les cadavres
A la recherche des couleurs
Poussent une plainte
Comme s'ils étaient la nuit même
Et les maisons palissent
De ne respirer
Autre chose que des hommes
Il faudrait au moins
Les cris d'un vagabond
Pour tout remettre
En désordre.
Guy Allix
Pour ceux qui ne connaissent pas encore l'œuvre de Guy Allix, poète d'une rare lucidité, homme debout dans la tourmente, je conseille de rejoindre au plus vite son site, pour comprendre ce que je pense de lui.
Roger Dautais