To Rick Forrestal :La mémoire amnésique |
Pour Isabella Kramer : La naissance sur l'estran |
Pour Camino Roque : Le rouge st mis deux fois |
Pour Romain Dautais: Le dialogue des pierres |
La traversée |
Etre là |
To Ruma : Signe d'amitié à l'Orient |
A Guy Allix :Survivre au vent et à la solitude |
Carpe Diem |
Derniers feux |
To Katelen : La répétition |
A Raymond : Vel' d'hiv 1942 |
à Marie-Claude...
à Vincent et Stéphanie, nos enfants.
J'arpente les couloirs vides de ma mémoire amnésique. Depuis quelques jours, le ciel est bas, gris, plombé comme une promesse d'hiver. Il faut aimer ce temps pour se mettre dehors. Cela tombe bien, j'aime ce temps. Il resserre les idées. Pas de grandes chaleurs, de couleurs à profusion, de ciel bleu si photogénique,où l'on se perd, le gris apaise les lisières, appelle la pluie, filtre les bruits. Je roule en direction de la mer. Ces jours derniers, j'ai exploré toutes les possibilités que me donnaient les allées d'un parc bordées par la rivière aux canards. Mon idée était de réaliser un serpent d'eau à l'aide de feuilles d'érables épinglées entre elles par leur pétiole. J'ai un peu laissé passer l'automne qui me saoule avec ses couleurs et l'heure venue, j'ai eu du mal à ramasser de grandes feuilles d'érables. Elles me sont nécessaires pour ce travail, mais, déjà tombées depuis 15 jours, avant les plus petites et je peine à y trouver mon compte.
Le serpent est modeste, 5 mètres pas plus.Je le mets à l'eau . La rivière se rebelle. Son courant ramène irrésistiblement ce serpent, vers la rive où il s'entortille avec les branches. Je le repousse, il prend du large puis s'enroule sur lui-même et se termine en un signe que je qualifierai d'oriental. Aussitôt, je pense à Ruma et fait une photo pour lui.
Aujourd'hui, je longe le canal de Caen à la Mer et, arrivé au pied du phare de Ouistreham, j'oblique vers la droite, direction la Pointe du Siège. Un grand parking stoppe l'avancée de tous véhicules. l'été, il est noir de monde. Aujourd'hui est pratiquement vide. Trois voitures de pêcheurs et la mienne. C'est tout. Le vent m'est favorable puisqu'il chasse les bruits de la ville.
Je quitte l'endroit, franchis la digue et me retrouve de plain pied dans l'estuaire de l'Orne. Immensité d'herbus, dont le silence naturel en impose, parfois déchiré par le cris d'oiseaux de mer. Devant mes yeux, à 300 mètres, le cours de l'Orne s'étalant au fur et à mesure de son approche vers la mer. Les berges en cet endroit représentent un glacis de vase grise, luisant et tendu comme une peau. Il faut bien connaître pour s'y aventurer. On peut, s'enliser, glisser dans le fleuve, et alors... J'y ai fait quelques écritures, et je pense tout naturellement à cette phrase de Youenn Gwernig :
" Car il faut que chacun compose le poème de sa vie".
Écriture réalisée avec le fer de ma canne de marche, directement sur le glacis et offerte au fleuve dans la plus parfaite des solitudes.
Aujourd’hui, je reste près de la digue et je contemple avec peine, combien le lieu est pollué. Loin des yeux loin du cœur. La grande plage aux touristes est nettoyée, dépolluée, peignée chaque matin de la saison, mais ici, c'est le dépotoir, le grand oubli.
Il faut avoir beaucoup d'imagination pour travailler ici. C'est la règle du jeu, autrement, je resterai dans mon jardin, ferai mes installations,mes photos. Personne n'y verrai rien. Rassurez-vous, je n'ai pas de jardin et la nature m'attire irrésistiblement, quelque soit le temps.
Je me lance donc dans une première installation, un carré de bois flottés que je vais ponctuer par des bais de cotonéaster ramenées d'une cueillette des précédents jours. Je reprends la marche,direction la mer. De gros troncs d'arbres charriés par le fleuve, se sont échoués, portes par les grandes marées, dans les herbus, posés comme des petites baleines inertes. Je choisis de composer sur un de ces troncs et reprends la route. La digue s'est trouvée entamée par les grandes marées. Je remarque ces brèches par où saigne la mer, sur ces terres volées au pied desquelles, gisent quelques pierres qui ne tarderont pas à être emportées par les flots.
Je m'aperçois que si, ma mémoire scande mes pas, elle nourrit aussi mes réflexes. Je suis un passeur de sens et il me faut inventer de signes"in situ" pour que ma vie se déroule comme il faut. J'élève un cairn sur cette brèche et le dialogue s'instaure entre le maritime et le végétal. L'arbre répond à la pierre comme le poème aux simples mots. A peine ai-je le temps d'apprécier ce cairn que je passe de l’autre côté de la digue, sur les terres asséchées.
Une petite pluie fine m’accompagne depuis une heure, froide et déterminée. Je suis en Bretagne, je rêve à d'autres rives, la Rance, brumeuse en automne, grise de crachin où j'avance jusqu'à la goélette blanche, Fanny me tiens par la main. Elle a six ans.
- Dis-Papa, tu crois qu'on va la voir ta goélette, avec la pluie?
Trente ans ont passé. Je ne sais pas si la goélette blanche est toujours amarrée sur la rive gauche de la Rance, mais je sais que la pluie me fait toujours rêver.
Roger Dautais
JE RETIENS LE CHEMIN
Je retiens le chemin
de rencontre et d'énigme,
la nuit et le parcours
des terres labourées
dont l'attente et la paix
sous la houle des neiges
Cet hiver qu'on traverse
où l'eau se fait murmure
pour donner au chemin
de la femme amoureuse,
Bernard JAKOBIAK
DÉNUEMENT
Je ne sais plus qu'un poème
Qui ne sais rien de moi
Qui ne sait rien que terre
Et les vers dans la plaie ultime
Ce visage sans nom d'un nom dérisoire
Et le désir porté par la blancheur blessée
Les cheveux épars et le sang aux tempes
La fuite fatiguée
L'insensée dérobade des mots
Guy ALLIX
Solitudes ROUGERIE