Aux Léa et Marie-Jeanne des hauts murs...
Si j'ai tardé, pardonnez-moi
Si j'ai tardé, pardonnez-moi
J'ai pris la route inéluctable
et mon voyage s'est égaré.
Requête à ma mère, à travers la vitre du parloir.
Fais de mes peurs invaincues
Un bracelet pour tes chevilles
A l'heure d'écraser le Paradis
Sus tes pieds menus
Et fais de mes rêves inachevés
Une perle pour ton front
Quand tu te prosterneras,
Sous l'oreille de Dieu
Mohamed Benchicou
Poèmes écrits en prison.
L'été aussi...
Asphyxiée par les mots qui lui sortaient de la bouche, afin d'expliquer, Léa avait fini par capituler. Pourquoi se perdre à dire, toujours et encore expliquer ce surnom qui lui collait à la peau : la juive.
Elle se tordait de douleur dans cet enfermement et le sol de la cellule, saturé par ses échouages reptiliens, suintait la peur, sans absorber un goutte du vécu des lieux. La poisse, c'est ça, la poisse qui poursuit jusque dans les pires angoisses. Onze mois de prison qui n'arrangeaient rien. Léa planquait un cahier à spirales sous on matelas. Elle voulait écrire tout. Elle n'avait jamais dépassé la première page.
Ici, l'apprentissage d'une nouvelle vie, sans horizon, se faisait au compte-goûte, entre deux coups de gueule à travers les barreaux. Avec Léa, très vite classée D.P.S., aucune matonne ne s’attendait à un quelconque miracle.
A Lourdes, on plongeait les malades dans l'eau miraculeuse.
Ici, pour elle, les semaines de mitard n'avaient pas le même effet. Crever l'abcès et la femme avec, c'était la loi.
Le junkies pourrissaient une société formatée qui ne rêvait que de psy, de coach et de gourou inféodés au pouvoir en place.
- Les délires ont pour les riches.
répétait Lea, en accrochant sa co-détenue par les deux épaules.
- T'entends ça, tête de mule. T'es bien une Marie-Jeanne. Comme moi, une fille perdue.
Pour nous, ce sera toujours ,la tôle , le mitard la camisole.
Marie-Jeanne avait fini par laisser tomber.
Léa s'isolait.
Dans ses yeux, c'était des histoire de bord de mer, d'enfance perdue. Elle avait gardé un air de petite file grave.
Parfois, dans ses rêves elle voyait une maison sans balcon, avec des enfants qui dévalaient des escaliers en criant. Une autre fois, elle se laissait envahir par une odeur de linge qu'elle imaginait séchant dans un grenier mal éclairé.
Elle avait traversé la vie avec une inconscience totale, faite de fugues et de retour au bercail, sous les coups.
Un jour, elle avait rencontré Momo au bal. Six mois d'amour fou. Juste le temps de comprendre. Depuis elle tapinait pour lui et avait rejoint la bande des frangines sur un coin de trottoir. Des montagnes de souvenir à revivre, à gravir jusqu'au sommet avant de retomber.
Elle avait connu la peur des camps, des caravanes, des frères de Momo dont elle avait été la maîtresse forcée. Elle était terrorisée comme une étrangère débarquant dans cette famille de manouches qui n'en voulait qu' à son cul.
Elle s'était mise à dealer, un peu, puis, beaucoup plus. Trop !
Un jour les bleus l'avaient embraquée.
Le juge inflexible lui avait collé 5 ans.
C'était le troisième séjour en zon-zon, pour " la juive".
On ne sait pas pourquoi, au placard, certains sont capables de tirer dix ans sur un pied et d'autres s'écroulent en quinze jours.
Léa n'avait pas mis longtemps à sombrer. Marie-Jeanne avait bien essayé au début, de savoir ce qu'elle foutait là, de s’intéresser, histoire de parler.
Rien n'y faisait. Ses aller retour au mitard pour rébellion n'arrangeaient pas l'affaire.
Léa passait la plupart de son temps, assise en tailleur,sous la fenêtre de la cellule, la tête entre les genoux, avec un balancement d'autiste.
Elle ignorait la télé, allumée du matin au soir, faisant office de cheminée sans feu, dans une pièce sans âme. Une liquidation en règle du dernier territoire de liberté, un peu de silence où se réfugier. Un placebo pour esprits malades, une perte des sens organisée par l'A.P. pour cerveau en friche.
Et puis ces maudits cauchemars, toujours autour de la came, le rituel...préparer, poser le garrot, se piquer avec la shooteuse, partir. Une obsession qu’elle aurait voulu oublier ici.
Il y avait aussi ce rêve du piano noir dans cette grande maison bourgeoise. Elle se souvenait de cette dame en chapeau qui jouait et cette mélodie, venant d'un autre monde.
Un homme était venu qui l'avait chassée avec des mots trop durs
- va-t-en d'ici, sale juive, petite peste.
Des mots qu'elle ne comprenait pas et qui brisaient son rêve.
Elle était partie en courant, pleurer ailleurs.
C'était quand même bien, ce rêve à revivre en prison, à cause de cet air sortant du piano noir.
Les mois passaient, Léa ne voulait plus de cette réclusion. Elle refusait la vie mais elle ne voulait pas crever dans les sales draps que l'A.P. lui offrait.
Un soir, elle les plia soigneusement et les rangea sous son oreiller. Cette nuit, elle ne dormirait pas. Vers deux heures du matin, elle sortit une lame de sa fabrication et se trancha l'artère fémorale, sans un cri, enroulée dans sa couverture pour ne pas tomber par terre et réveiller Marie-Jeanne.
Sa vie s'écoulait enfin chaude, chaleureuse et tranquille. Une douleur sourde lui parlait de la fin qu’elle acceptait. Elle se donna à la nuit, définitivement.
Le piano noir joua sa mélodie jusqu'à la fin pour Léa redevenue la petite juive. Un filet d'humeur s'écoula de sa bouche et sa tête bascula sur le côté, le regard vers la fenêtre. De ses yeux grands ouvert. Léa n'attendait plus rien.
Marie-Jeanne donna l'alerte vers six heures du matin.
Léa fût emballée et emportée sous le vacarme déclenché au passage de son corps, par toutes les détenues,dans le couloir central du bâtiment C de la détention.
Une étoile de David fût déposée sur la tombe de Léa Steiner, carré des indigents par une main anonyme, quelques semaines après l'enterrement.
Cette histoire se passait au mois de juillet 2007 et depuis, Marie-Jeanne la racontait à chaque détenue dans l'intention de conjurer un sort qui la liait, disait-elle, à cette pauvre femme. Elle interdisait à quiconque de plier ses draps avant de dormir.
Roger Dautais
Il y avait aussi ce rêve du piano noir dans cette grande maison bourgeoise. Elle se souvenait de cette dame en chapeau qui jouait et cette mélodie, venant d'un autre monde.
Un homme était venu qui l'avait chassée avec des mots trop durs
- va-t-en d'ici, sale juive, petite peste.
Des mots qu'elle ne comprenait pas et qui brisaient son rêve.
Elle était partie en courant, pleurer ailleurs.
C'était quand même bien, ce rêve à revivre en prison, à cause de cet air sortant du piano noir.
Les mois passaient, Léa ne voulait plus de cette réclusion. Elle refusait la vie mais elle ne voulait pas crever dans les sales draps que l'A.P. lui offrait.
Un soir, elle les plia soigneusement et les rangea sous son oreiller. Cette nuit, elle ne dormirait pas. Vers deux heures du matin, elle sortit une lame de sa fabrication et se trancha l'artère fémorale, sans un cri, enroulée dans sa couverture pour ne pas tomber par terre et réveiller Marie-Jeanne.
Sa vie s'écoulait enfin chaude, chaleureuse et tranquille. Une douleur sourde lui parlait de la fin qu’elle acceptait. Elle se donna à la nuit, définitivement.
Le piano noir joua sa mélodie jusqu'à la fin pour Léa redevenue la petite juive. Un filet d'humeur s'écoula de sa bouche et sa tête bascula sur le côté, le regard vers la fenêtre. De ses yeux grands ouvert. Léa n'attendait plus rien.
Marie-Jeanne donna l'alerte vers six heures du matin.
Léa fût emballée et emportée sous le vacarme déclenché au passage de son corps, par toutes les détenues,dans le couloir central du bâtiment C de la détention.
Une étoile de David fût déposée sur la tombe de Léa Steiner, carré des indigents par une main anonyme, quelques semaines après l'enterrement.
Cette histoire se passait au mois de juillet 2007 et depuis, Marie-Jeanne la racontait à chaque détenue dans l'intention de conjurer un sort qui la liait, disait-elle, à cette pauvre femme. Elle interdisait à quiconque de plier ses draps avant de dormir.
Roger Dautais