La beauté est une manière de résister au monde,
de tenir devant lui et d'opposer à sa fureur une patience active.
Christian Bobin
Voila des semaines que je suis pas allé travailler dans un marais et je profite de cette période relativement sèche pour miser sur l'assèchement partiel de celui-ci. La route qui mène au lieu choisi est en terre battue et n'est guère empruntée que par des engins agricoles ou des randonneurs. Quatre vingt hectares de terres à blé, en trois parcelles...autant dire que je ne suis pas gêné par les haies, depuis longtemps arasées par le remembrement. Une fois le point haut franchis, la route serpente jusqu'au au fond de la vallée. Je la quitte pour une marche de quelques centaines de mètres dans un champ où le blé atteint déjà cinq bons centimètres. J'entre dans le bois après avoir franchis une barrière d'orties, jeunes et drues, très urticantes à cette époque. Je suis dans le marais. Le sol est encore spongieux et il faut faire attention aux trous d'eau. Mon objectif est d'atteindre la rivière qui coule à deux cent mètres de là.
Une sorte de renoncules sauvages jonche le sous bois. Je vais m'en servir pour réaliser deux installations, dont l'une dans un trou d'eau s'étant formé au pied d'une souche d'arbre abattu par une tempête. Le fond de cette mare est vaseux. Je ne peux y pénétrer pour déposer les fleurs. Je les installe depuis le bord puis continue en les disposant une à une avec une branche de coudrier, ce qui me prend du temps.
Je reprends ma progression vers la rivière parmi des souches d'iris d'eau qui seront en fleurs, au début de l'été. Je choisis un endroit couvert d'herbes flottantes pour installer une spirale puis je retourne à la cueillette. Les berges de la rivière étant très instables et boueuses, je suis obligé d'installer de grosses branches d'arbre mort dans le fond de l'eau pour accéder à l'endroit choisi.
Autant les plages sont des espaces infinis et ouverts, autant ce marais est clos. Je n'y viendrai pas tous les jours. Il est pourtant intéressant pour sa rivière et pour la lumière qui perce à travers les arbres. De nombreux arbres ont aussi été abattus par les tempêtes sans être débités et enlevés, donnant à la mousse un territoire à conquérir où je peux également trouver source d'inspiration.
Une fois mon travail terminé dans la rivière, je vais, sur le chemin du retour, exécuter deux autres petites installations que je montrerai une autre fois.
Que dis-je ?
Nous sommes eau !
Et me voici gisant à même les eaux,
petite flaque avec un grain.
Un bout de sueur
m'empêchant de voir, d'écouter, de surmonter
ces mots à la blessure
des rues sombres.
Je tangue avec les guérisseurs
des ombres.
L'oiseau bleu arrive,
plie bagages, les siens, les miens,
et me remet sa faux.
Dorra Chamman (Tunisie)