La vie, comme elle va

"S'il suffisait de lire comme dans une bulle de cristal, alors, ce serait, facile.Mais il faut vite déchanter, prendre la route, sac au dos et marcher, toujours marcher pour oublier ce que l'on a déjà fait, ce que l'on va faire. Il faut attendre que la nature nous prenne et nous ouvre sa voie. C'est une progression incessante, pour de si petites choses".
Roger Dautais . Septembre 2009

Un voyage étonnant au cœur du land Art

jeudi 26 juin 2014

La route aveugle  :  pour Marie-Claude
Mandala  an Alré : pour Stéphanie Lenouvel
Passer son chemin : pour Erin
Le conteur de vagues :  Pour Louis Bertholom
Les déraisons : pour Olivia Quintin
La ligne verte :  pour Jacques Thomasaint.
La mémoire grise :  pour Alain Jégou
Les silences verts  de Carnac : Pour Sabine de Freitas
Les braves  : Pour Rick Forrestal
Brève rencontre :  pour Marie-Josée Christien
L'arc de  mer : pour Claire Fourier
Les cris de Brec'h : pour Denise Scaramai
Les  liens du sang : pour Danièle Duteil
Les cerises de Locmariaquer : Pour Édith et Maud


La route aveugle.


aux poètes.


Il  y a des jours  où je ne traverse  plus rien, ni  l'air du temps ni  même ma rue. Je suis stone et bien ainsi. Je prépare  mon prochain voyage.
Entre  l'utile et le nécessaire,  préférer ne rien emporter et trouver ce qu'il faut sur place. La route pourvoira. Je voyage léger, sans références et traverse la forêt de Crac'h,  plein sud.Les arbres s'en foutent des grands discours. Ils sont là  pour accompagner les vents de  mer lorsqu'ils se perdent  jusqu'ici, quitte  à leur  montrer le sens du retour  lorsque la mer se retirera,  loin d'eux. C'est tout.
J'arrive sur la plage Elle est déserte.
Personne  n'imaginerait  un  piano sur cette grève,  moi, si.
 Inutile d'insister la page jeunesse est définitivement tournée  pour  moi, pas celle de  l'imagination.
Devant  moi, des  milliers de  pierres. Personne  pour les ordonner, personne  à qui  obéir, rien que la présence de la mer qui les brasse et les  polit les unes après les autres  pour apaiser leurs jalousies.
La météo s'impose dans les conversations depuis des semaines. S'il faut choisir dans ce  flot de paroles, alors, je préfère le silence de la mer et ses bascules de  marée qui remettent tout en question, au  bleu d'un ciel vide et immobile.
Des pierres, seulement des pierres et puis après  l'effort,le silence de la mer, seulement le silence  pour les recouvrir. Croire en ler présence,  même invisible et revenir  plus tard pour des retrouvailles ,dans le chaos des grèves.
Je vis différents passages de  mon existence dans une lumière diffuse. Je suis en sursis, déjà habitant  l'autre  monde.
D'un chantier sur  l'autre, je fais des rencontres. Ils me demandent  d'où je suis, comme  pour se rassurer. Je leur répond que je suis du monde et que je m'en vais de ce pas, vers  l'autre. Ils passent leur chemin.

Elle m'avait dit : tu verras, c'est un  homme tout  à fait bien. Oui, mais rencontrer  un poète n'est pas une sinécure. Il faut montrer patte blanche. J'ai la  peau brune, tannée  par la route. J'attends toujours sa réponse. Ah! ces postures de  poètes fonctionnaires qui  leur assurent la reconnaissance des cadres de catégorie A. La hiérarchie est  plaisante dans la nature. Elle est  pleine de  bois  morts dans la vie.
Cette canicule devient pesante pour pratiquer le land art. Je rêve d'une  pluie enveloppante qui demande  un peu de courage pour l'affronter. De cette  pluie qui tombe oblique, prend le gris de la mer, vides les plages. Elle resserre les idées et fait aller  à  l'essentiel.
Entre les pierres et  moi se joue la partition du  jour. Je retiens trois notes  : dépouillement, dénuement, détachement. Qu'ai-je  à faire dans ces beaux salons  mondains qui s’ouvrent  à  moi ? Rien.
Je suis fasciné par la beauté tranquille de  l'étang,  à peine effleurée par une brume de chaleur. Vivre au seuil des mondes invisibles, tendre  l'oreille au silence habité de ces  lieux , s'impose. Basculer dans l'irréel, le rêve éveillé, et croire que je suis bien là, vivant, capable d'avancer encore,  me rassure.
 Quelques très jeunes merles m'ont accompagné dans  ma dernière sortie  à Locmariaquer.Ils  picorent dans la laisse de  mer et se déplacent dans  un mouvement  fluide, plus  près de la course que du vol. On dirait des petites  poules.

Qui a mis ces cerisiers sauvages sur la route? Je fais  une provision de ces  fruits rouges succulents.Les cerises sont petites, charnues et colorées. Pendant trois jours, je vais renouveler  ces cueillettes et les compléter de joncs, de tiges de fougères, des dernières fleurs de digitales de la saison, de fleurs des champs diverses. Le tout sert à réaliser de petites installations géométriques. Simple exercice où  j'exprime le bonheur de jouer avec les formes, les couleurs du temps. Cela me permet de me libérer de  l'angoisse qui parfois me saisit, par la simple contemplation d'une œuvre aboutie qui  mène  à la sérénité.

Vers Locoal-Mendon, je trouve  un chantier d'abattage pratiquement abandonné. Cet effacement d'une partie de la forêt sent la mort. De grands arbres entassés en vrac, tête-bêche, les os brisés, me font penser  à un bûcher expiatoire. Je vais travailler au  pied d'un arbre abattu, resté en contact avec sa souche. Je veux trouver le moyen d'exprimer la vie dans ce  lieu sinistre. Je vais le faire  en réalisant une spirale avec les écorces de cet arbre. La simple volonté de faire naître cette forme dynamique le ramène  à la vie de manière éphémère et relance son  histoire de sujet. Je le sauve provisoirement d'un anonymat mortifère. Je pense  à Thomassaint, Jégou, Pélieu, Quéré. Sont-ils  oubliés aussi ?

Je reprends la route aveugle avec  une seule envie : vivre.


Roger Dautais



Allée couverte du Miniou
( Guiscriff)

à  mon père 

Charpentées de détresse
mais raidies jusqu'à  l'extrême
ces  pierres
guettent
plus que leur part d'infini

Marie-Josée Christien

Un monde  pierres  2001
BLANC  SILEX 
   ÉDITIONS



" J'aime tout ce qui s'écrit sur le silence,
                  l'immobilité,
  L'écriture est alors  l'imperceptible
                  mouvement,
L'à  peine audible respiration d'un infini,
      Un  instant attentif  à  l'homme. "

                                                                          Paul Quéré
                                                                        ( 1931-1993 )

mardi 17 juin 2014

Le tambour de Brec'h :  pour Gwenola Guernic
Entre les deux  mondes  :  pour Youenn Gwernig
Sasa 's song  : pour Sasa Saastamoinen
Les âmes en peine de Lampedusa : Pour Rick Forestal
Boîte  à  mémoire en ria d' Auray : pour Leeloo
Les cinq raisons d'être ici : pour Marie-Josée Christien
Le guetteur de marée : pour Grégory Goffin
La pierre blanche : pour Florence Arrighi
Le solitaire de Carnac :  pour Karine Maussière
Le rappel de la Jegado : pour Isabelle Jacoby
Le solitaire du Loc'h  pour Ana Minguez Corella

Fenêtre sur Loc'h :  pour Mémoire de silence

Ty  Bihan song : Pour Fumiyo Suko
L'annexe de Kerplouz : pour  Moun B.

Le  monde ne vous attend  plus
il a pris le large
le monde ne vous entend  plus
l'avenir lui parle.
Gaston Miron



à Marie-Claude


Lundi...
Le printemps s'effiloche, j'en ai fait autant ces dernières semaines. Au creux de la vague  ! J'ai fini par poser ma vie devant l'atlantique pour qu'il me répare. Lorsque je regarde  l'océan, impossible de  l'imaginer souffrant de quoi que ce soit, parcouru de frontières, cousu comme un corps d'opéré. Et  pourtant ...

Les hommes s'occupent  bien de lui faire des misères, de le convoiter, de l'occuper, de le vendre et il s'en sort  bien. Je me dois d'en faire autant.
Vers  l'ouest s'étend  une grève gorgée de  pierres toutes plus belles les unes que les autres. Elles deviendront  un alphabet entre mes mains pour de futurs  poèmes de  pierres à composer sous un ciel indifférent  à mes  mouvements.L'avenir ,  il me faut  l'inventer dès aujourd'hui, dans le peu qu'il  me reste et la machine repartira. Cairn après cairn, je délivre ma vie.
Mardi
L'ombre la  plus banale est impossible  à fixer et reste  libre de son mouvement.Il faudrait attacher le soleil pour  y arriver, mais décrocher la lune est déjà si difficile. Je ne suis pas fait pour les exercices de style, trop rebelle. Je dois savoir et ne pas  oublier qu'aux yeux des critiques,  on est réduit  à presque rien.C'est dans ce rien que je dois trouver mon territoire, ma raison de vivre et la garder  bien vivante jusqu'au  bout. L'esprit de rébellion  jusqu'au bout et comme le terminus est en vue, ce devrait être possible.
L'incessante arrivée des jeunes vagues rythme mes gestes. J'aime ce silence habité de roulements de  pierres, d'éclats d'eau de mer quand elle rit, complice.
Au travail, sans trop me noyer dans les détails. Mes yeux font le tri sur la grève. Ils estiment le volume, le poids, la complémentarité des formes de chaque pierre devant être  posée sur l'autre. J'entre dans le chant, je deviens  musique et l'immense  océan reçoit ces cadeaux-cairns, satisfait.
J'aime composer l'unique et  l'éphémère.Devenu  pierre, je me fonds dans la nature, suis mon inspiration et la traduis en silence avant de me retirer.
Mercredi
Les routes cardinales et paysannes m'ont ouvert la voie d'une mémoire qui s'enmauve. Comme si la Jégado avait prévu de  baliser le pays tout entier de hautes digitales accrochées sur chaque talus, en signe de...
Jeudi
Un merle présent et caché, chante le printemps finissant. Il me fait penser  à l'enterrement de mon  père, inondé du soleil froid hiver, sous  un ciel immense et trop  bleu tandis qu'on le descend dans sa tombe. Je me suis toujours dit qu'il avait aimé ce chant du départ.
On parle trop de la mort comme  une éventualité alors que chaque jour, elle est notre plus fidèle compagne. Ce va et vient ailé entre les deux  mondes n'est qu'une répétition  générale, un appel  à bien s'entendre. Mon  père st maintenant présent dans chaque chant du  merle.
Jeudi
à Serge Mathurin Thébault

Lorsque j'ai quitté les alignements de Kermario,  à la sortie de Carnac, les menhirs dansaient autour du "Grand". J'ai pris  à droite dans la forêt et sur la route de Gouyanveur faisant halte près des étangs jumeaux,  protégés du soleil par les châtaigniers et les pins maritimes. L'herbe est drue. Sur cette herbe du printemps qui  borde  l'étang aux grenouilles, je n'ai rien fait. Ni marché, ni  posé la main pour cueillir quelques  fleurs. Rien !
Je n'ai fait que vivre dans ce bonheur de contempler son  incomparable couleur se reflettant dans l'eau, comme  le chant du merle. Je me suis éloigné avec  l'impression d'avaoir vécu le meilleur de ma journée.

Vendredi
Le temps s'étire. Foisonnement de mémoires vertes au méristème des fougères en crosse qui  me parlent d'avant.Une cavale blanche traverse les brouillards épais de mes pensées  obscures, surgie de  l'autre  monde.Sabots ailés, couverte de voiles aux couleurs de  lune, irréelle et  présente, l'inconnue est passée comme  l'éclair en forêt de Baud.
L'apprentissage de la nature demande toute une vie et plus, pour  peu qu'on ouvre la porte au merveilleux du rêve éveillé.
 Sous chaque feuille le début d'un songe.

Samedi
Je remonte, pieds dans l'eau, la rivière du  Loc'h dont les eaux retenues par le barrage d'amont ont retrouvé un chant apaisé. Je suis en territoire des truites. Sans les voir, je les pressens, je les respecte. Au cour de ces instants vécus en immersion qu'aucun  bruit né de la vie moderne, n'atteint, je  trouve l'essentiel de ma recherche  :  l'équilibre.

Dimanche
Se nourrir d'un regard échangé avec le merle, la grive. Écouter le chant de la  pluie qui bat les terres noires. Manger les nuages avec appétit. Caresser l'herbe mouillée. Entendre le silence du temps qui  passe et décompte les secondes de ma vie,  puzzle de petits bonheurs qu'il faut vivre intensément
Je marche dans les  pas du grand Youenn * et me répète sa  phrase "Car  il faut que chacun compose le  poème de sa vie ".

Lundi
 Salut au soleil du champ des martyres, le tambour du monde a battu la chamade. En écho, le bodhran de Keneig vibre sur les rivières du Loc'h et emporte les âmes en  peine dans une transe païenne. La mémoire amnésique s'enmauve. Le souvenir de la Jégado n'est plus qu'un cercle  immortel.
Au centre,  l'étoile retient cinq gouttes de sang remontées d'une terre noire, gorgées des cris étouffées des suppliciés.

Mardi
Mon pays s'ébroue, respire entre deux spasmes, devisant du passé, rapiéçant le futur. Des plus épaisses forêts jusqu'aux rivages découpés en passant par les brandes piquantes sous le soleil ardent, une colère sourde se répand. La nature complice refuse de se soumettre à  la décision Jacobine. Bretonne elle était, Bretonne elle restera. Cinq nous étions cinq nous serons.


Roger Dautais

*Youenn Gwernig,  à découvrir  pour ceux qui ne le connaissent pas encore :
http://gwernig.com/


Lieux communs

Personne  n'y  peut rien
mais les objets mais les choses
personne  personne
mais  il était une fois toutes les fois
jamais toujours et  pourtant

océaniques

le nous de toi
le nous de  moi

Gaston Miron
L'homme rapaillé
Éditions François Maspéro 1981

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Landartiste, photographe, auteur de livres pour enfants, Roger Dautais est aussi un artiste atypique, sensible et attachant.Il a sû, dans la diversité de ses expressions, trouver une harmonie par la pratique quotidienne de cet art éphémère : le Land Art. Il dit "y puiser forces et ressources qui lui permettent, également, depuis de nombreuses années, d'intervenir auprès de personnes en grande difficulté ( Centre de détention pour longues peines et personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer) pour les aider par la médiation de l'art.