Tourner la page: à Louis Bertholom *
La vieillesse est une réalité qu'aucun mot ne conjure...
Ici, il n'y a rien à dire. Il faut marcher, simplement marcher, les idées viendront après. J'ai garé ma voiture sur un parking vide qui borde le club nautique. Je ne rencontre personne. Je m'engage sur la partie la plus déserte de la côte à cette saison. La mer est basse. L'estuaire se vide. Il fait très froid. Un vent de nord-est accentue cette sensation. Je traverse un champ de salicornes rabougris et tente de passer le gué sans glisser. Un glacis de vase grises en tapisse les berges. Très rapidement mes chaussures ressemblent à des gros pieds de scaphandrier car il se couvrent de vase. Cela alourdit la marche. Le sable fin, de l'autre côté de la petite rivière, va nettoyer tout ça. Je marche, direction Nord. Que vais-je faire. Je n'en sais rien. J'entre dans le paysage. Je le contemple. Le ciel pommelé se contente d'une lumière rare. Il est 15 heurs, le soleil est déjà bas.
Devant moi, à cent mètres, au pied de la dune, j'aperçois un amoncellement de pierres. Je m'approche. C'est un ancien poste d'affût pour les chasseurs. Ici, on rencontre, des promeneurs, l'été, des pêcheurs de moules, des pêcheurs à la ligne au beau temps, un land artiste, de temps en temps et des chasseurs. Je n'aime pas la chasse et je préfère les oiseaux vivants. Ainsi, je n'ai aucun scrupule à me servir de ces pierres qui sont à ma portée pour élever un premier cairn, bien que cet exercice physique ne me soit pas encore trop conseillé, à cause du cœur. Mais enfin, j'y arrive et il culmine bientôt à 1,9Om au-dessus du sable. Il a une très belle allure. C'est certain, il va plaire aux chasseurs.
Avec cette première installation, je suis rentré dans l'action. Je vais maintenant observer tout e qui peut m'inspirer, tout ce que je vais pourvoir transformer sur place et inscrire dans le paysage. Cent mètres plus loin, deuxième ancien poste de chasse, avec amoncellement de pierres, à demi enfouies dans le sable. Cette fois, je change la forme du cairn et j'élève ce que j'appelle, une échelle de Jacob. Le cairn est plus rugueux de forme, plus difficile à mettre en place, moins haut, seulement 1.75 mètre mais il me plait dans cette forme.Je l'abandonne à son sort de guetteur. Je continue de marcher le long de la dune qui me protège sur ma droite.
J'arrive bientôt sur la grande plage qui borde la rive droite de l'Orne et dégage la vue sur un estuaire qui n'en finit pas. Belle immensité par laquelle un vent de Nord-Est m'arrive en pleine face. La sensation de froid s'accentue. La solitudes et encore plus présente. Je m'aperçois que de pratiquer le land art à 35 ans, ou à 70 ans n'est pas la même chose. Dans mon cas, le second, on subit plus les éléments, quoiqu’on en dise. La vieillesse est une réalité qu'aucun mot ne conjure. Il faut expérimenter pour savoir. Personnellement, ça m'intéresse. J'aime retrouver ces efforts qui mettent tout le corps à l'épreuve. Je suis les différents sillons de laisse de mer qu'elle dépose suivant la hauteur des marées sur cette immense plage. On y trouve de tout. Beaucoup de bois, brindilles, troncs d'arbres, en malheureusement des plastiques de tout genre. Un drôle d'objet attire mon regard. C'est un morceau d'écorce d'arbre qui devait entourer la naissance d'une branche. Je le verrai bien orné d'une couronne de brindilles, ce que je fais. Il reste là, posé comme un chant muet, sur ce long chemin de laisse.
Je reprends ma route. Au bout de cette plage, culmine une petite dune que je sais être constituée d'un sable à spirales.
Je marche jusqu'à cet endroit et aperçois la mer. Elle grise jusqu'à l'horizon, blanche et moutonneuse en bordure de plage. Un très beau spectacle. Est-ce cela qui me motive ? Je n'ai pas fait de spirale depuis si longtemps. Trop difficile pour moi qui n'avait plus la force avec mes ennuis de santé. Le soleil est vraiment bas mais je tente le coup. Je plante mon talon gauche dans le sable et je démarre. J'ai conservé le rythme et le coup d’œil nécessaire pour "tourner rond". Le sable est souple, le sillon se creuse, régulier, se déroule. Physiquement, j'ai du mal mais je vais mener l'entreprise jusqu'au bout. Lorsque je me relève, j'éprouve ce bonheur connu d'une belle réalisation et je le partage avec la mer. Serais-je sorti d'un long tunnel ?
La nuit commence à tomber lorsque je reprends le chemin du retour. Dans trois heures, la mer aura étendu son territoire jusqu'ici et la spirale redeviendra sable. Mais avant, le vent de nord-est qui me glace le corps, aura érodé le sillon et fait blanchir cette spirale, comme si, une part de mon travail lui revenant, en tant que témoin.
Je reprends ma route, seul et coupe par les dunes d'oyats pour raccourcir un peu le voyage. J'ai encore vécu ce que je recherche et pourtant j'ai le sentiment d'atteindre des limites. Que je l'attende où non, la vague qui m'emportera est déjà en route. Alors, pour le moment, je ne l'attends pas.
Roger Dautais
Sylvain Arbez http://galerie.sylvainarbez.com/?id=1&album=LandArt
Guy Allix http://www.ecrivainsbretons.org/Allix-Guy.html
Louis Bertholom http://www.dailymotion.com/video/x675d4_vent-solaire-louis-bertholom_creation
Ce qui a lieu d'être
Ne va pas sans le dire
Ce qu'on ne peut pas dire
Il faut l'écrire
La partie donne sur le tout
Qui donne la partie
Savoir à quoi ça ressemble
C'est notre savoir ___ non absolu
Il faut de la semblance
Pour faire de la contiguïté
Le poème est des choses prochaines
Qu'il faut aller chercher
Michel Deguy Gisants
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