« Le chant des cupules » à Edith et Maud |
Les graines semées dans l’enfance développent des racines profondes.
Stephen King.
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À Marie-Claude.
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Hiver 47
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.Les cupules piétinées par nos galoches a semelle de bois, n’avait plus qu’à attendre la relève en juin prochain, et nous aussi.
Finalement l’enfance, ce n’était pas grand-chose. Un ramassis de traumas qui tenait dans la main. Et la faim qui tenaillait. Nos yeux de petits pauvres, ne s’étonnaient plus de côtoyer un rat, dans le caniveau. Ni Édith, ni Maud, ni moi ne pouvions lui en vouloir de sa condition, ni de manger notre m pain sec. Nous étions de sa race.
Nos yeux ne s’écarquillaient même plus, de le voir chaque jour, enfin, pas plus que ça.
Non, celui qui s’émerveillait au-dedans de nous, c’était le mauvais riche que nous serions sans doute devenus, nés, sein d’une des familles prospères de la ville, malgré les temps difficiles, chassant la vermine, quand on aurait grandi dans de beaux habits, pour ne pas qu’elle bouffe notre blé.
A cette époque, j’avais cinq ans, comment pouvais-je comprendre la mort et un destin aussi court pour Édith et Maude ? Comment imaginer pour moi de vivre dans un tel chaos de maltraitance, sans elles pour me consoler ? N’étais-je qu’un animal nuisible ?
Quelle prose étrange que celle qui ne s’usait pas, ne disparaissait pas aussitôt imaginée, dans le pain que j’achetais avec mes quatre sous.
Notre poésie de vie, sur le bord du trottoir, c’était exactement la même chose que ces dessins en noir et blanc, griffonnés sur du papier journal et qui finissait en bateau sur l’eau grise et sale du caniveau. Elle transformait notre vie en petits rêves, mis bout à bout, pour rattacher nos trois cœurs d’enfants, perdus d’avance.
Pas de couleurs comme vous auriez pu croire , pas de ciel bleu, pas de belles retouches non plus. Notre rue qui montait vers les casernes à troufions avec ses bordels à soldats, dont l’un portait le nom magique de Café de l’Étoile, c’était notre ordinaire, notre école.. On aurait dit que l’histoire nous collait aux talons.
Avec nos cœurs qui saignaient, nos mémoires en bataille, la faim au creux du ventre et le nez morveux, nous étions le la graine de rue. Le futur, c’était quand le soir on se disait à demain. Jamais rien de plus.
Perros avait écrit quelque part qu’un poème « c’était comme une prose de travers ». Comme un arête de poisson, en somme, en travers de la gorge. Quelque chose qui ne passe pas et qui résiste à l’ordinaire des jours.
Nous, on savait l’odeur de l’absence éternelle. On faisait comme si. On vivait avec ceux qui ne reviendraient jamais des camps, dans notre caniveau, en compagnie des rats.
À soixante-dix-sept ans passés, que faisais-je d’autre, aujourd’hui, que de résister à l’oubli.
Roger Dautais
Notes pour un avenir incertain.
Photo : création land art de Roger Dautais
« Le chant des cupules » à Edith et Maud.
Bretagne.
Notes pour un avenir incertain.
Photo : création land art de Roger Dautais
« Le chant des cupules » à Edith et Maud.
Bretagne.