à mes deux frères, Jean Pierre et Jacques...
C'est le premier jour du printemps. La météo annonce pluie et vent, avec des rafales de 70 km heure. Il ne pleut pas mais le vent est bien présent et assez fort. Inutile de songer aux petites installations végétales, elles seraient balayées avant d'être terminées. Je décide de me rendre à proximité d'une carrière où je sais trouver des pierres. Je marche à travers champs, suivant les lisières car les terres labourées rendent la progression pénible. Un énorme remblai de 200 mètres barre ma route. Il est constitué de terre et de plaquettes calcaires. Il domine le champ d'au moins trois bons mètres. Je l'escalade. Ce remblai doit être assez récent et le sol est mal stabilisé. Il glisse sous le pied. J'arrive au sommet et découvre que l'autre côté domine un second champ d'au moins six mètres. Malgré le manque de stabilité du sol, je décide d'y élever un cairn. Nul doute, que perché sur la cime, il aura fière allure. Je vais être obligé de l'élever sur une base relativement modeste, car le sommet du remblai ne permet pas autre chose. Je sais également qu'il risque à tout moment de s'écrouler, dès que son poids pèsera sur cette terre instable.
En une demi heure, j'ai épuisé toutes les pierres qui sont à ma portée. Pour les autres, et il en faudra beaucoup, je vais devoir aller les chercher dans les deux pentes, sans tomber. Un vrai sport.
Sur ma droite, un anneau de terre battue sert de piste d'entrainement pour trotteurs, comme on trouve dans la campagne normande. Je vais d'ailleurs bientôt voir passer un magnifique cheval de course attelé à un sulky et son jockey, intrigué par ma construction, ralentit l'allure pour regarder et me saluer d'un signe de la main qui se veut amical. A quelques exceptions près, j'ai toujours de bons contacts avec les gens du pays, lorsque je pratique le land art sur leurs terres.
Le cairn s'élève maintenant à 1,70 mètre lorsqu'une pierre s'en échappe et roule à six mètres en contre bas. C'est un signal. Le sol a bougé et je dois attendre quelques instants pour connaitre la suite de l'évolution,. Restera-t-il debout ou bien va-t-il s'écrouler, ce qui rendrait toute reconstruction impossible étant donné l'état du terrain. Le cairn se tasse, se penche légèrement et s'assoit sur sa base. Je vais devoir maintenant terminer et donner une forme de dôme au sommet. Chaque déplacement est calculé pour ne pas ébranler l'édifice par des vibrations provoquées au remblai qui entraineraient ce cairn à sa fin. Il faut le regarder avec respect. C'est le moment le plus délicat, chaque pierre ajoutée pouvant être fatale. Je tiens, simplement à terminer, à m'éloigner un peu, le photographier, et avec un peu de chance, reprendre ma marche sans qu'il ne s'écroule.
Malgré le vent, le mauvais temps, le sol instable et la difficulté à le réaliser, ce cairn décide de rester debout, pour mon plus grand plaisir. Je reprends ma marche vers la carrière où je vais continuer à vivre cette première journée de printemps en compagnie des pierres. Éphémère...éphémère quand tu nous tiens.
Roger Dautais
L'arrêt du vent
Le vent emporte nos malfaisances,
il fait tourbillonner au-dessus de nous
nos ruses idiotes
puis les laisse tomber à terre
où elles fleurissent.
Le vent rassemble les petites paroles
- allons venez par ici-
quand elles sont humides
et les dépose en haut des arbres accueillants,
puis les répand à terre,
souvenirs desséchés de rien.
Le vent emporte les feuilles déchirées
d'une courte histoire
et, comme elles s'envolent, la page d'une vie
devient lisible, à lire le jour
où tombera le vent
comme une conclusion indubitable.
Katerina Anghelaki-Rooke
" Des îles et des muses"