Toutes les radio, toutes les télés, à la une de toute la presse écrite il est question de la tuerie du sud ouest et de la traque au forcené. Lorsque je prends la direction des plages, je n'arrive pas à me sortir les informations de la tête. Ni la marche d'approche, ni la volonté de mettre ce drame de côté ne me permettent de trouver le calme habituel procuré par l'exercice du land art. Il y a de longues traines de laisse de mer, au milieu de la plage et beaucoup de bois mort. J'hésite un instant à réaliser un gisant avec ces matériaux. Cette actualité m'y incite, mais je remets cette installation si particulière à plus tard. Avant d'évoquer la mort, il me faut parler de la vie comme elle va, ici.
Couchées sur le sable, deux branches semblent former une sorte d'arc. La forme est belle. Je la reproduis en volume et je me trouve face à une arche. J'imagine bien une onde serpentine qui la franchirait et rejoindrait l'horizon. Je pars dans cette direction et trouve un très bel arbre que la mer aura déposée de fraîche date. Je décide de le planter dans le sable à l'aide de ma pelle. Il dépasse les sept mètres et pèse assez lourd. Le mouvement de bascule est délicat, mais le trou creusé est suffisamment profond pour lui donner une belle stabilité. A mes yeux, cet arbre est à nouveau vivant. Il me reste à creuser ce sillon qui serpentera entre les deux troncs d'arbre, séparés de 65 mètres.
J'aime bien cette idée de l'arche accouchant de la vie.
Je reprends la marche sous un ciel qui vient de se découvrir un peu.
Il y a suffisamment de soleil pour avoir l'ombre portée d'un objet sur le sable et je trouve une section d'un petit tronc d'arbre que je plante dans le sable, comme un gnomon. Je le couvre d'une sorte d'aiguille aimantée qui indique la direction Nord -sud. Je reproduis ici un geste vieux comme le monde ce qui est souvent le cas dans le land art. Je le cerne d'une spirale qui s'en ira, elle aussi, rejoindre l'horizon, vers la mer.
L’heure tourne et je n'ai toujours pas réalisé de gisant. Je quitte la plage, trop en lumière, traverse la dune couverte d'épineux et je me retrouve sur une seconde plage parallèle dont le sable recouvert d'algues rases est d'un gris vert qui convient mieux à mon projet. Le lieu est désert. Je choisis un endroit précis et trace au sol, la forme d'un corps. A partir de ce moment, je suis dans l'évocation, celle qui me trouble le plus dans ce que je fais. En une heure, je vais creuser une sorte de petite fosse qui entourer la forme et me procure le sable nécessaire au volume dans lequel je sculpterai le corps. Cela ne doit pas être ressemblant mais simplement évocateur. Le travail avance et je projette sur ce corps, toutes mes peurs, toutes les horreurs entendues, tout mon respect pour la vie qui s'en va. Un sentiment de solitude m'envahit. Je me lève et reste devant lui, en silence. Quelques minutes plus tard, je vais disposer un petit bûcher au pied du gisant et, s'il m'arrive de l'allumer, je ne le ferai pas aujourd'hui. Je pars à la recherche d'une pierre blanche que je vais déposer sur la poitrine, mettant fin au rituel.
En prenant le chemin du retour je constate qu'à cinquante mètres, il est à peine visible, à cent mètres, il disparaît dans le paysage. Je retourne apaisé vers un monde qui pourtant me promet le pire dans les jours suivants.
Roger Dautais
Planté dans l'imminence de la nuit
sauvage
on tient encore
mais sachant
l'effarement
sculpte
le peu de poids de chair
qui reste
et le regard.
Patricia Cottron-Daubigné
Extrait pour le St Jean Baptiste Donatello
ed. éditinter 2O