à Marie-Claude...
Six semaines d'attente, six semaine sans pratique, un petit désert à traverser. Il m'est arrivé de traverser des hivers de solitude, alors, six semaines. Je prends la direction des plages. Je traverse la plaine nord et arrive bientôt, près du chemin creux aux arbres couchés par les vent de mer. Il sont au nord et je l'entends. Je descend vers la plage. Un souffle mêlé d'embruns me prend le visage. Le temps est clair, et j'aperçois le Havre à 60 km sur ma droite. L'angoisse qui m'étraignait en partant, se clame. Je suis auprès d'elle. Je suis avec elle, je vais travailler pour elle. La mer est presque haute. Pas de spirale de sable possible. Ce sera des cairns, encore des cairns, jusqu'au bout de mes forces.
Le premier se dresse sur une base assez lourde que j'ai du mal à porter. Ce travail de force me plait . Il sera suivi d'un travail de recherche d'équilibre, plus fin, plus subtile. La mer déroule de petites vagues blanches qui viennent me mouiller les pieds. Il y a beaucoup de pierres, des milliers, mais chaque cairn est particulier. Les pierres me parlent, je les sens, les choisis, à l'oeil, puis les tourne, les retourne, les palpe, les lave, les essuie, une à une. Il faut qu'elles se plaisent, qu'elles s'accordent, qu'elles s'entendent. Et puis, elles 's'amourachent, vivent leur vie de cairn, et m'oublient. On dirait qu'elles sont la à pour une éternité. Et c'est long une éternité de cairn. Elle se terminera dans l'éphémère d'une volonté suprême et finira par enlacer la loi universelle de l'entropie, rejoignant la foule des pierres anonyme qui jonche la plage.
Je suis heureux comme un enfant qui retrouverai un peu de liberté après l'école. Les cairns se succèdent et je termine par une " échelle des jours", c'est le nom que je donne à cette construction comprenant 7 niveaux, comme les 7 jours de la semaine. Je l'élève en deux fois, le premier ayant perdu les 3 derniers étages. On peut dire, en dehors du fait que c'est très lourd et assez dangereux à réaliser, que c'est également, un corps à corps avec les pierres. Par certains moments, c'est l'ensemble que j'appuie sur mon corps pour recaler les équilibres. Chaque " bascule" doit être calée par de petites pierres, sous peine de voir l'ensemble s'écrouler. Une fois réussi, c'est un bonheur que de le voir sous fond de mer, avec ces petites fenêtres qui découpent l'espace et laissent passer la lumière.
Quelques jours plus tard, direction la plage de Ouistreham. C'est ce jour même. Particularité de ce lieu, désert et à marée basse. Je n'ai pas réalisé de spirales depuis plus de 6 semaines. Angoisse pendant la marche d'approche. Vais-je encore savoir. Dire que l'on m'a soufflé d'innover. Chaque spirale est différente et oh ! combien, innovante. S'ils savaient ce que j'y laisse de ma vie, qui elle ne se renouvellera pas. Les mots, parfois, ça nous dépasse, ça peut blesser. C'est fragile un artiste, trop, sans doute. Je pense à tout cela, mais l'air est si doux, la lumière dorée. Mes pensées s'envolent vers Marie-Claude. Son regard bleu.
Je sonde plusieurs endroits pour trouver le meilleur sable.
Ce sera là. Pour la mer : " To The Sea ". Car elle est là, présente qui déroule d'autres vagues bien ourlées et que j'entends prendre possession du sable" Fchhhh. Fchhhh " à l'infini. Je plante mon talon gauche dans le sable et c'est parti pour un heure un quart. Oui, c'est long. Un jour, un homme m'avait demandé comment je pouvais tracer de telles figures géométriques, sans outil de traçage.Il ne m'avait pas vu à l'œuvre. J'aurai dû lui répondre : eh! bien voila, monsieur : j'ai un GPS qui me dit: tournez à droite...tournez à droite...Tournez à droite, et puis j'arrête quand je n'ai plus d'essence. J'ai pensé à ça, ce midi en traçant ma spirale, et je me suis dit que toutes les pensées ne sont pas bonnes à dire, c'est pour cela que je l'écris.
J'ai bénéficié d'une lumière exceptionnelle, jusqu'à la fin, avec ces tons mordorés. Des moments rares que j'ai offert à la mer.Comme elle était très basse et encore loin de la spirale, je suis allé vers elle, pour la saluer et pour lui faire un autre cadeau. J'ai écrit dans le sable
CAR IL FAUT QUE CHACUN COMPOSE LE POÈME DE SA VIE puis j'ai signé
Youenn Gwernig
J'aime bien ce poète Breton. Dommage qu'il ne soit plus de ce monde. Cette phrase, je la pense souvent et j'essaie de la mettre en application. Je trouve que c'est un bon programme.
Après, j'ai regardé le Ferry s'éloigner vers l'horizon avant de quitter la mer. Le soleil basculait derrière les sapins, il était dix sept heures quarante cinq. J'ai pris mon téléphone pour appeler Marie-Claude. J'aime l'entendre. Je suis remonté vers le haut de la plage sans me retourner, sans angoisse, avec l'envie de reprendre le land art, maintenant que l'alerte était passée.
Roger Dautais
à Guy Allix
Je suis si loin du rythme intérieur, freiné par la langue, la main, l'oreille, la bouche.
Il faudrait des étincelles d'esprit.
Feu d'artifice, mais au niveau atomique.
Atomiser l'intention du paraître, oublier le spectateur. Être seulement, l'instant poétique lde la nuit, seul lieu physique de mon refuge,
halte laborieuse mais obligatoire reprise du souffle pour ce corps qui souffre et ne rend pas ce que je voudrais qu'il rendît.
Bien sûr, il est trop tard, mais c'était déjà comme ça, le jour de ma naissance.
Les dés sont pipés
La mort est gagnante.
J'accepte d'être provisoirement vu, puisqu'après la disparition, on acceptera pour moi, d'être " provisoirement absent", et dieu sait s'il est des absences qui durent une éternité. Nous sommes tous des gardiens de cette éternité, perpétuée, perpétuel écho des échos.
Mes pensées vont d'abord aux miens, proches, qui acceptent, bien sûr, mais ressentent chaque jour l'étranger s'installer dans leur vie.
J'aurai voulu plus beau matériellement, moins pauvre, moins dépendant.
Je n'ai jamais pu entreprendre autre chose qu'une longue marche, une interminable route.
C'est ce que j'appelle "être".
C'est ce que les autres nomment, marginalité.
A qui la faute.
Roger Dautais
Six semaines d'attente, six semaine sans pratique, un petit désert à traverser. Il m'est arrivé de traverser des hivers de solitude, alors, six semaines. Je prends la direction des plages. Je traverse la plaine nord et arrive bientôt, près du chemin creux aux arbres couchés par les vent de mer. Il sont au nord et je l'entends. Je descend vers la plage. Un souffle mêlé d'embruns me prend le visage. Le temps est clair, et j'aperçois le Havre à 60 km sur ma droite. L'angoisse qui m'étraignait en partant, se clame. Je suis auprès d'elle. Je suis avec elle, je vais travailler pour elle. La mer est presque haute. Pas de spirale de sable possible. Ce sera des cairns, encore des cairns, jusqu'au bout de mes forces.
Le premier se dresse sur une base assez lourde que j'ai du mal à porter. Ce travail de force me plait . Il sera suivi d'un travail de recherche d'équilibre, plus fin, plus subtile. La mer déroule de petites vagues blanches qui viennent me mouiller les pieds. Il y a beaucoup de pierres, des milliers, mais chaque cairn est particulier. Les pierres me parlent, je les sens, les choisis, à l'oeil, puis les tourne, les retourne, les palpe, les lave, les essuie, une à une. Il faut qu'elles se plaisent, qu'elles s'accordent, qu'elles s'entendent. Et puis, elles 's'amourachent, vivent leur vie de cairn, et m'oublient. On dirait qu'elles sont la à pour une éternité. Et c'est long une éternité de cairn. Elle se terminera dans l'éphémère d'une volonté suprême et finira par enlacer la loi universelle de l'entropie, rejoignant la foule des pierres anonyme qui jonche la plage.
Je suis heureux comme un enfant qui retrouverai un peu de liberté après l'école. Les cairns se succèdent et je termine par une " échelle des jours", c'est le nom que je donne à cette construction comprenant 7 niveaux, comme les 7 jours de la semaine. Je l'élève en deux fois, le premier ayant perdu les 3 derniers étages. On peut dire, en dehors du fait que c'est très lourd et assez dangereux à réaliser, que c'est également, un corps à corps avec les pierres. Par certains moments, c'est l'ensemble que j'appuie sur mon corps pour recaler les équilibres. Chaque " bascule" doit être calée par de petites pierres, sous peine de voir l'ensemble s'écrouler. Une fois réussi, c'est un bonheur que de le voir sous fond de mer, avec ces petites fenêtres qui découpent l'espace et laissent passer la lumière.
Quelques jours plus tard, direction la plage de Ouistreham. C'est ce jour même. Particularité de ce lieu, désert et à marée basse. Je n'ai pas réalisé de spirales depuis plus de 6 semaines. Angoisse pendant la marche d'approche. Vais-je encore savoir. Dire que l'on m'a soufflé d'innover. Chaque spirale est différente et oh ! combien, innovante. S'ils savaient ce que j'y laisse de ma vie, qui elle ne se renouvellera pas. Les mots, parfois, ça nous dépasse, ça peut blesser. C'est fragile un artiste, trop, sans doute. Je pense à tout cela, mais l'air est si doux, la lumière dorée. Mes pensées s'envolent vers Marie-Claude. Son regard bleu.
Je sonde plusieurs endroits pour trouver le meilleur sable.
Ce sera là. Pour la mer : " To The Sea ". Car elle est là, présente qui déroule d'autres vagues bien ourlées et que j'entends prendre possession du sable" Fchhhh. Fchhhh " à l'infini. Je plante mon talon gauche dans le sable et c'est parti pour un heure un quart. Oui, c'est long. Un jour, un homme m'avait demandé comment je pouvais tracer de telles figures géométriques, sans outil de traçage.Il ne m'avait pas vu à l'œuvre. J'aurai dû lui répondre : eh! bien voila, monsieur : j'ai un GPS qui me dit: tournez à droite...tournez à droite...Tournez à droite, et puis j'arrête quand je n'ai plus d'essence. J'ai pensé à ça, ce midi en traçant ma spirale, et je me suis dit que toutes les pensées ne sont pas bonnes à dire, c'est pour cela que je l'écris.
J'ai bénéficié d'une lumière exceptionnelle, jusqu'à la fin, avec ces tons mordorés. Des moments rares que j'ai offert à la mer.Comme elle était très basse et encore loin de la spirale, je suis allé vers elle, pour la saluer et pour lui faire un autre cadeau. J'ai écrit dans le sable
CAR IL FAUT QUE CHACUN COMPOSE LE POÈME DE SA VIE puis j'ai signé
Youenn Gwernig
J'aime bien ce poète Breton. Dommage qu'il ne soit plus de ce monde. Cette phrase, je la pense souvent et j'essaie de la mettre en application. Je trouve que c'est un bon programme.
Après, j'ai regardé le Ferry s'éloigner vers l'horizon avant de quitter la mer. Le soleil basculait derrière les sapins, il était dix sept heures quarante cinq. J'ai pris mon téléphone pour appeler Marie-Claude. J'aime l'entendre. Je suis remonté vers le haut de la plage sans me retourner, sans angoisse, avec l'envie de reprendre le land art, maintenant que l'alerte était passée.
Roger Dautais
à Guy Allix
Je suis si loin du rythme intérieur, freiné par la langue, la main, l'oreille, la bouche.
Il faudrait des étincelles d'esprit.
Feu d'artifice, mais au niveau atomique.
Atomiser l'intention du paraître, oublier le spectateur. Être seulement, l'instant poétique lde la nuit, seul lieu physique de mon refuge,
halte laborieuse mais obligatoire reprise du souffle pour ce corps qui souffre et ne rend pas ce que je voudrais qu'il rendît.
Bien sûr, il est trop tard, mais c'était déjà comme ça, le jour de ma naissance.
Les dés sont pipés
La mort est gagnante.
J'accepte d'être provisoirement vu, puisqu'après la disparition, on acceptera pour moi, d'être " provisoirement absent", et dieu sait s'il est des absences qui durent une éternité. Nous sommes tous des gardiens de cette éternité, perpétuée, perpétuel écho des échos.
Mes pensées vont d'abord aux miens, proches, qui acceptent, bien sûr, mais ressentent chaque jour l'étranger s'installer dans leur vie.
J'aurai voulu plus beau matériellement, moins pauvre, moins dépendant.
Je n'ai jamais pu entreprendre autre chose qu'une longue marche, une interminable route.
C'est ce que j'appelle "être".
C'est ce que les autres nomment, marginalité.
A qui la faute.
Roger Dautais