Fumiyo song (suite) : pour Fumiyo Suko |
Rencontre : à Marie-Claude |
Losange : Pour Michel Follorou * |
Tro Breizh : à Marie-Josée Christien |
Temps suspendu : à Guy Allix |
Tapis d'estran : Pour Alain Jégou |
2toile sur le chemin : à Youenn Gwernig |
Le gardien de l'or du temps : pour Marty |
Inuksut : pour Patrick Lucas |
Tempo vert : pour Sylvie |
Parure d'étang: pour Sasa Sastamoinen |
Trois fois plus : pour Michelle Mass |
16 Juillet 1942 : à Raymond Anisten *, fraternellement. |
Au bord du temps
Le temps exceptionnellement chaud à vidé la plupart des mares. Je cherche un lieu aquatique, complice, à l'ombre, ayant échappé à la loi du genre : l'évaporation. Je finis par trouver cette mare d'au tranquille, recouverte de lentilles d'eau que la lumière du jour atteint en douceur, sans l'éblouir. Je sors de mon sac à dos, une poignée de bûchettes préparées en faisant sécher des tiges de fougère au soleil. Mon état de santé m'ayant obligé au repos, j'ai eu le temps de préparer ce petit travail. J'ai vu, jour après jour leur couleur brunir, leur texture, changer, jusqu'à devenir un bois presque orangé qui me plait beaucoup.Je les emmène avec moi et nous devenons familiers, compagnons de route. Le temps venu, je les coupe en bûchettes.Aujourd'hui, je sors de ma poche quelques têtes d'hortensia cueillies dans notre jardin.J'aime ces fleurs.
Un jeune merle, joue avec la terre, se foule dedans comme une poule dans la poussière. Il me regarde. Je lui envoie des signes d'amitié car je vais partager son territoire pendant quelques temps.Il m'observe puis continue à chercher sa pitance avant d'aller se percher dans l'arbre qui protège la mare du soleil. Il chante.
Présence de mon père, toujours, dans ce chant.
S'il avait été vivant, je l'aurai emmené jusqu'ici avec moi. Quelques mois avant son départ, nous avions planté ensemble, des bulbes de narcisse et de jonquilles dans ses jardinières, puis des pensées. Il avait 92 ans ne parlait guère plus et s’alimentait mal. Nous l'avions porté dehors, sur une chaise avec Marie-Claude. Je lui avait fait toucher la terre, cette terre qu'il avait cultivée pendant au moins 75 ans. Il était heureux, sachant très bien, malgré tout qu'il ne verrait pas ces fleurs de printemps, pousser et fleurir. Trois mois après, nous l'enterrions par un jour ensoleillé de février, accompagné du chant d'un merle.
Se sentir orphelin à 70 ans passés !
Je travaille à genoux, penché au-dessus de la mare. J'agite la surface de l'eau pour écarter les lentilles vertes et je me prépare un plan dégagé pour commencer à installer mes flottaisons.
Moment délicat. Une bûchette, une autre, deux en travers, un carré qui flotte. Une fenêtre ouverte vers l'inconnu, un piège à lumière, un éclat de soleil sur cette eau noire. Je continue, les bûchettes s'empilent, perpendiculaires, horizons ouverts aux rêves les plus improbables, verticale assurant la solidité d'une pyramide flottante: "Fumiyo song". Les portes de l'Orient.
Mes doigts jouent avec le frêle esquif, le transforme en losange, en carré, en rectangle. Je change de forme selon mes envies.Une légère brise ramène les lentilles d'eau vers le centre. Elles colonisent l'espace vide, cernent les bûchettes, jouent de leur couleur verte,de leur matière.Je suis en admiration devant un monde qui ne dépasse pas 50 centimètres de diamètre. Ce monde est le mien, contenant tout ce que je suis, toutes les émotions du moment. Et pourtant, il s'inscrit dans l'autre monde, celui qui va terriblement vite, écrase les petits, les faibles, fait la part belle aux puissants et fait gonfler le jabot des grands de ce monde.
Je prends mes fleurs d'hortensia, les sépare en pétales et commence une autre installation flottante. Je raconte une histoire, mon histoire, à la manière d'un peintre qui organiserait une toile, la composerait et la mettrait en couleurs. Elles joues entre elles, se compètent dans ces formes flottantes, mouvantes, instables à cause du vent qui les déplace.
Je pense à mon père qui me parlait l'été dans cette serre à multiplication, devenue, lieu de confidence, et qui me disait sa satisfaction du travail accompli, ensemble, malgré la chaleur accablante.
Le merle...ce chant...cette présence troublante...
Je prends mes photos que je regarderai simplement quelques jours plus tard, pour garder intact cet instant en mémoire, vécu au bord du temps, dans un été où je me demande toujours si continuer le Chemin vaut bien la peine.
Roger Dautais
* Michel Follorou
expose actuellement des photographies grand format sur le thème des"Lumières Sacrées".
expose actuellement des photographies grand format sur le thème des"Lumières Sacrées".
Elles sont présentées à PLOUHARNEL dans le Morbihan, dans le cadre d'un festival photographique qui rassemble des artistes de talent dans quatre lieux : Plouharnel, ïles de Houat de Hédic, et Locmariaquer. Incontournable.
* Raymond Anisten,
Président fondateur de l'Association des Enfants et Petits Enfants rescapés de la Rafle du Vel d'Hiv du 16 juillet 1942
Président fondateur de l'Association des Enfants et Petits Enfants rescapés de la Rafle du Vel d'Hiv du 16 juillet 1942
Tout ce qui va venir
Ne nous dit pas qu'il vient.
Tout ce qui va partir
Ne nous dit pas qu'il meurt.
Tout ce qui va rester
Crie son éternité.
Eugène Guillevic (1907-1997)
Possibles futurs, "L'Innocent"
Gallimard, 1996