Le bambocheur de Ty Bihan : pour Ana Minguez Corella |
Peace and love : pour Lu Pélieu |
An diveliour : pour Serge Thébault |
Le déserteur : pour Guy Allix |
Identité : pour Isabella Kramer |
Limès : Pour Anne Lemaître |
Chantier Atlantique, carré 29 : pour Christian Cottard |
Cri du cœur : pour Ambre |
Scarface : pour Camino Roque |
Vies parallèles : pour Marie-Josée Christien |
Brasil : pour Inês |
Cairn du 71ème été : pour Marie-Claude |
Le drôle : Pour Bob Bushell |
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas
Jours...
Un discret voileux remonte la pente sous les châtaigner, un bout dans une main une godille dans l'autre. On se salue. Sur ma droite, la source de Kernours et le souvenir carré couvert de lentilles vertes, ça me rappelle Patrick. Magnétisme de l'amitié. J'arrive à découvert, face à la ria, gorgée d'eau jusqu'à la gueule.Je laisse à gauche le chemin de Tintin qui a passé l'arme à gauche mais reste vivant par le vouloir de ses potes qui lui ont offert une pancarte, pour baliser son chemin, sa cabane. Je remonte la ria vers le Bono.
Dans la grande courbe, je descends sur les roches. Tout est glissant depuis les deux jours d'averse passés. Les varechs en ont pourri sur place. Je cherche mon équilibre et manque tomber plusieurs fois à la baille.
Je lève mon premier cairn depuis 10 jours, puis un autre. Patraque, enfumé par le beau temps piégeux et caniculaire, le cœur n'a pas aimé. Ont suivi de sérieuses pluies réduisant mon activité à presque rien. Pas très glorieux tout ça. Mais ce grand rien faire laisse place à un travail en profondeur. La jachère finira bien par lâcher quelques idées d'échappée.Nous y sommes.
Autre jour
Je fais le tour du cumulus de Kernours.et remonte plein Nord. L'herbe est grasse, glissante, comme les pierres au bord de l'eau. J’aperçois le tumulus, les tombelles. Ici c'est toute la forêt de pins maritimes qui vibre sous la mémoire du sol. Je suis reçu en ami. Les corps, les os réduits en poussière du temps, colorent cette atmosphère à tout jamais. Chacun de mes pas foule l'ancêtre et se nourrit de sa mémoire.. J'arrive à la pierre fendue. Combien de cairns y ai-je élevé ? Tous ont subit le même sort : bousculés, renversés, éparpillés par des inconnus. A chaque passage,chaque retour au lieu, je répète mon geste : hommage minéral aux deux entités présentes : la mort qui règne en silence et la vie qui passe et perpétue les vibrations.
Autre jour...
Je suis oisif et contemple ces rares moments de calme posés sur la surface lisse de l'étang, à deux pas des alignements de Kermario à Carnac. Les pépites argentée du soleil annoncent l'heure qui décline. Je veux aller plus loin, jusqu'au bord du silence qui séduit, enchante et que jamais l'idée d'abandonner la partie, contre le vacarme des hommes cupides, n'atteint.
Autre jour...
Le ciel s'assombrit au dessus de la forêt de Crac'h. Je cherche ma route. De grosses gouttes de pluies tombent sur ma carte IGN. Je relève ma route mentalement. A l'orée du bois, je remarque la trace fraîche d'un animal dans l'herbe mouillée et j'aime l'idée de lui emboîter le pas. Elle traverse l'espace vide et se dirige vers un talus planté de chênes. Dans une autre saison, les akènes auraient poussé leur cri carminé et je les aurait ramassées dans ma besace. Certaines ont donné la vie à des petits chênes, les autres sont mortes.
Je suis surpris par une idée récurrente. La mort est inévitable et se rapproche.
Tenter d'aménager le temps qui m'est imparti.
Essayer d'oublier. Beaucoup oublier.
Chronos.
Autre jour...
L'exacte direction à prendre n'existe pas pour moi. Il y a trop d'attirances opposées dans la nature. L'important, c'est de partir, de voyager léger. La route se chargera de la direction. Ce matin, j'ai joué le cap à suivre aux dés, comme le faisait Morhaïm pour choisir ses couleurs sur sa toile. Mondrian n'était pas loin.A chacun ses influences.
J’établis la règle du jeu : un seul dé. Premier jet choisir entre le Nord et le Sud
1 = Nord 2 = Sud 3 rejouer
Je jette le dé : 2 Premier choix :SUD
Deuxième choix entre Est et Ouest
4 = Est 5 = Ouest 6 rejouer
Je lance le dé 6
je rejoue : 5 Ouest
Deuxième choix OUEST
Puis avec une pièce tirer à pile ou face Pile = Sud et Face : Ouest
Je lance la pièce. Elle retombe sur pile . Je pars donc en direction du Sud
Autre jour...
Je roule vers l'océan et bientôt,je le retrouve avec gourmandise et appétit.Grand soleil, mais vent d’ouest de 30 nœud , à peine modéré par la presqu'île de Quiberon qui abrite un peu les plages de Carnac. Mes yeux se remplissent de vagues, de scintillement argentés et du chant des vagues qui lèchent la côte.Il faut prendre quelque précaution , car même avec l'habitude, on peut se faire déséquilibrer par une rafale et la chute n'est jamais bonne dans les cailloux. Des voix sont là qui m'accompagnent, non pas en cellule de dégrisement, mais sur la route des étoiles de mer : Jégou, Thomassaint, Gwernig, Pélieu. Pas de place pour les vivants autre que moi, ici. L'autre monde est au balcon, comme un avertissement et mène une sarabande d'enfer. Une série de cairns fuse de mes mains. Le vent me suit et les cabane au fur et à mesure. Je m'en fout.
J'ai le rythme, convalescent, certes mais présent.
Chaque pierre est une impro, chaque cairn un poème.
Dans mon rêve éveillé, je vos passer au large, Ikaria . Je le suis des yeux avant qu'il ne disparaisse, emportant Jégou à la barre, en plein coup de gueule. -" Eh ! Tu crois pas que je vais repasser deux fois pour me foutre dans les cailloux. Ouvre tes quinquets ! ". Et il me balance deux poèmes par-dessus bord dans son sillage.
Le soleil me brûle la gueule et j'ai le dos brisé par l'effort. Il faut que je rentre retrouver celle que j'aime et qui m'attend au pays.
Roger Dautais
loin dans l'aube
sous le soleil
déjà bien cramoisi
j'ai fait le choix
il était temps d'y penser
l'horizon fuyant
le ciel la mer
corps à corps exténuant
l'océan rebelle
les vagues démesurées
la solitude
et puis la solitude
et enfin
la solitude
***
je vertige
immobile dans le râtelier de bruine
les sémaphores s'agitent
la nuit survente
poussière liquide des parois bleues
les goélands filtrent des souffrances ancestrales
la mort ventriloque la falaise
nuit d'Arvor à l'abordage du silence épais
des villes et du vide
un discours d'ondes sur les lèvres.
Alain Jégou
Comme du vivant d'écume
Éditions La Digitale 1995
http://alainjegou.blogspot.fr/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_J%C3%A9gou