à Guy Allix, fraternellement.
Derrière l'horizon commencent mes rêves...
J'ai souvent été interrogé sur ce genre d’installation et l'on me demande où je peux y trouver un quelconque espoir trouver. Il est pour moi, dans le fait d'évoquer un rite aussi vieux que l'homme , celui de sa propre disparition. Dans le fait d’incarner un futur obligatoire de plus en plus facile à imaginer vue mon âge, je charge ce gisant de "faire le mort" tandis que moi, je suis le gardien de ma vie. Création cathartique personnelle liée à une pensée mobile qui a besoin parfois de rejouer cette scène pour vivre mieux. J'ai ainsi constaté des dizaines de fois que ces gisants, soient intéressaient sur le plan artistique - je pense à la photographe Belge Artitia, qui y consacra de très belles pages sur son site, il y a quelques années pour la série des Gisants de Sallenelles - soit effrayaient le promeneur qui restait muet, respectueux, voire en retrait. Mais jamais je n'ai entendu de railleries à leur sujet, comme si le faire les aurait entrainés à parler d'un sujet dangereux pour eux. J'y sentais une superstition remontant du fond de l'humanité, un mauvais sort à éviter, jusqu'au point de me les faire détruire.
Tous mes gisants de sable, de terre, de pierre, de bois, d'herbe ou d'algues, pourtant loin de ressembler à un être humain, portaient en eux, au delà de cette image maladroite, une force magnétique capable d'évoquer un symbole qui les gênait.
Toucher à la mort par la fabrication des ces installations éphémères dont l'entropie était pensée, organisée, se partageait mal, dans l'idée avec nos semblables.Né en Bretagne, cette proximité de la mort faisait partie des us et coutumes, que je ne retrouvais pas,ici, en Normandie. Ainsi l'acte créateur montrant notre propre disparition in situ, révélait un interdit tenace. Lorsque j'expliquais qu'il ne pouvait avoir de place pour le regret dans ces créations faites pour disparaître et que leur entropie m'offrait une seconde délivrance, j'étais devant un mur d'incompréhension. Comment leur dire autrement que, créateur comblé par le geste de la mise en place, et ne possédant rien de tout cela, par choix,je me libérais aussi du poids de la possession.
Devant ces gisants, certes très troublant parfois même pour moi, il revenait à chacun de rechercher ses références personnelles ou de l'ordre de l'archétype.
Pour le spectateur, il y aura plusieurs niveaux qui pourront aller de l'appréhension, de la compréhension, du partage de l'idée avec moi, de l'envie de faire la même chose à son tout lorsque la part de l'humain se révèlera, indémêlable du tout construit et déclencheur de l'émotion. A cet instant où le rideau se lève entre le monde réel et le monde imaginé, il convient de pousser plus loin le voyage, la vision, jusqu'à satisfaire cette envie d'enchanter le monde.
Un jeu fragile dans son déroulement sans la complicité du soleil en pleine course d'une journée qui l'épuise à force d'être présent.De toutes petites réminiscences de ma propre vie s'entrechoquent, alors, pour retrouver une place et s'organiser dans ma mémoire amnésique.
Maelström majeur pour étincelle de création dont il ne restera rien aux yeux de l’univers dans lequel il existe.
Ayant terminé ce grand gisant de pierres sur la plage de Lion sur Mer, je me disais, en regardant le large :
"Je sais pourquoi la mer change de couleurs, mais je feins de ne pas le savoir. J'aime que ce mystère survienne dans mes pensées. Derrière l'horizon commencent les rêves. Ile se déplacent entre la mer et le ciel, accompagnant la course du soleil. C'est bien comme ça".
Roger Dautais
à propos de mes gisants... 4 juin 2013 18H10
Le silence gravi
traverse les mots
engendre la pensée
Je ne nomme pas
l'alchimie intérieure
J'inscris
sa présence
dans l'empreinte du temps.
*
Les mots
entrouvrent une porte
sur l'autre monde
présent dans celui-ci
Ils rendent presque visible
l'invisible
à l'improviste.
*
La langue
n'est que l'écorce
de l'esprit
Seule
importe
la sève
préservée.
*
Le cercle du ciel
me traverse
et me surprend
Lieu de condensation
de la lumière froide
plus mobile
que l'électron.
*
Sans nul repos
de la pensée
je nomme
pour retenir
la brûlure des mots
à la frange de la conscience
jusqu'à l'extrême point.
*
Une concrétion de mots
biface
entre la mémoire et l'oubli
entre l'espace et le temps
réinvente
une vie silencieuse
murmurée
à travers la durée.
*
Je reprends le voyage
sans trouver le port
ouvert dans le silence
Une main invisible
rassure
éclaire le regard
quand plus rien
ne tient
Un soupçon de sève
où se promet le sens
accompagne le secret.
*
De l'humidité
de l'humus
surgit
la palpitation du monde
Un mouvement de l'âme
m'accueille
et me fonde
surgi
de l'extrême pointe
du désespoir
l'ignorance précède
ce qui se tait.
*
Je sais
l'affleurement
des mots
au cœur du silence
Au vif du vent
un autre versant
de moi
se découvre
à l'écoute du monde.
*
Dans l'infime écheveau
où la parole se déroule
je cherche la vie
à tâtons
J'avance
mot à mot.
Marie-Josée Christien
Texte paru dans l'anthologie " 5 Voix de Bretagne "
présentée par Jacqueline Saint-Jean aux éditions Encres Vives (2007).