Guetteur de marée : pour Virginie Roels |
À
Marie-Claude.
Le
temps s’était occupé de brouiller les cartes.
Chaque
jour, tout restait à découvrir dans la peau d’un rebelle qui
prenait de l’âge, sans autre projet de vie que celui de
survivre.
Après
la pluie, le vent qui me claquait la face, refroidissait mon cœur,
dangereusement. J’avais pris le chemin des îles et je devais
coûte que coûte, y arriver. Vivre en land art ne pouvait être
qu’un mixte entre le plaisir de la découverte et le brûlant
constat des échecs vécus in situ. Sans réaction à ce voyage au
long cours je me serais désagrégé très rapidement. J’étais né
seul, avec une mélancolie attachée à mes basques. Il n’était
pas question d’abandonner ni de devenir un pâle imitateur à
cause de cette difficulté de plus.
Bien
sûr, il y avait eu ces épisodes vécus à l’hôpital. Pour qui
n’y avait jamais souffert, c’était l’incompréhension totale.
Parce que c’est triste, un hôpital, entre les morts planqués en
morgue, ceux qui attendent d’y être allongés, la fin avait une
odeur fade qu’il était de bon ton de ne pas sentir. Et puis, il
y avait cette foule bigarrée de passage qui faisait semblant de
survoler tout ça, de ne pas être là, ou, par hasard, avec une
seule idée, se barrer vite fait de la visite. Encore heureux pour
moi, j’avais toujours eu ma femme aimée, pour m’accompagner et
me tenir la main, près de mon lit.J’avais pris le relais, quand
cela avait été son tour.
Le
reste, ça tenait entre les odeurs d’éther de désinfectant, les
chariots de soin, les poubelles souillées, encombrant les couloirs,
parcourus par les bancales à roulettes ou autres malades poussant
leur mat à perf, le pyjama tombant sur les mules, pour aller
acheter des clopes, à la caféte. Ajoutez le personnel et vous avez
le tableau de cette ruche à souffrance.
Privé
d’horizon , d’air frais et de toutes ces choses de l’extérieur.
j’avais malgré l’âge avance, gardé le besoin d’aimer la
femme de ma vie, avec un cœur ardent et recousu .
Si
ce temps de la douleur existait bien dans ma vie, alors, ce
n’était pas le mien. Jamais je n’aurai voulu en être le
complice soumis. Çà rappait dur, toutes les convictions, ces
passages obligés dans la souffrance. Bien peu retournaient à leurs
rêves en sortait de ce merdier.
J’y
étais retourné, à chaque fois, avec plus ou moins de temps
consacré à la convalescence qui vous tombait dessus comme un
paquet-cadeau.
Le
jour s’était levé et répétait sa leçon. La vie pour moi, se
passait, dehors. Dans le vent, sous la pluie, en plein soleil,
mon corps ne demandait que ça. A chaque instant, toutes le
couleurs du temps m’accueillaient. Il y avait bien ce vide
s’élargissant jusqu’à mon enfance détruite pour toujours,
mais je n’y plongeais plus à chaque fois. Je voulais fuir cet
abandon comme j’avais fuit les coups donnés à la maison.
C’était
depuis mon grenier que je t’écrivais tout cela, mais c’était
déjà trop tard. D’une rive à l’autre j’avais glané des
silences glacés, sauvé une poignée d’idées dans le courant du
fleuve, rassemblant le tout en un pauvre viatique auquel je
m’attachais pour ne pas me noyer.
Le
temps s’était occupé de brouiller les cartes. L’amnésie avait
progressé en moi, comme la marée sur l’estran. Il me restait
l’essentiel, un souffle de vie ténu, si précieux que je veillais
sur lui car c’est lui qui me rattachait à toi.
Je
retournais dans les pierriers des îles ,où la marche était si
difficile, mais le choix de pierres, à l’infini. Aucun mot
n’avait la richesse des pierres assemblées en cairn pour chanter
mon amour pour toi. Et comme c’était avant tout une affaire de
vivant que d’aimer, j’étais sur le bon chemin.
Roger
Dautais
Route
78
Photo :
création land art de Roger Dautais.