Reprise en pente douce.
Un jour le temps me parût si loin que le suspendre était la seule solution pour y trouver de la placeà la poésie de l'éphémère. Je suis parti, avec cette idée là dans les années 98 avec la ferme intention d'enchanter le monde, à ma façon. Oui, je sais, j'ai déjà entendu ce que vous allez me dire, mais je ne le répèterai pas ici, une fois de plus. La meilleure façon de ne rien faire, c'est d'écouter tout le monde. Je suis donc parti, sac au dos sur la route, essayer de comprendre ce que pouvait dire larguer les amarres, perdre ses repères et revenir à ce que je connaissais enfant, une vie en plein air, libre, à l'écoute de la nature.
Le land art, j'en avais entendu parler aux Beaux Arts, dans les années soixante. On nous présentait ces artistes comme des originaux, marginaux, utopiques, à ne pas suivre. J'ai pris mon temps pour les rejoindre, ces artistes irréalistes , vivant hors des conventions de l'art et construisant un mode de vie autour de leur pratique. Je me suis inspiré d'eux, au début, puis ma route a bifurqué et je me suis retrouvé seul , racontant ma propre histoire au travers de milliers d'installations qui se suivirent ainsi jusqu'à ce jour.
J'entendais autour de moi, des gens se plaindre et me dire, je n'ai pas le temps, je ne pourrai jamais consacré ma vie à un art. Mais personne ne m'ayant jamais demandé de le faire, je me sentais plus a l'aise pour parler de ce qui nous échappe, c'est à dire le temps, pour le capter, le transformer en réalisant des installations, et le délivrer par la suite, pour qu'il continue à passer.
Je ne suis jamais véritablement arrivé au bout de la route. J'ai toujours attendu qu'elle me parle et comme j'avais de très bons souvenirs de l'école buissonnière, j'ai trouvé des chemins de traverse. La Nature m'a parlé à sa façon et j'ai interprèté ses silences, comme ses bruits, pour construire un échange, une communication entre elle et moi. La suite, je l'ai racontée dans mon travail d'artiste, au jour le jour.
Mais tout ne se déroule pas comme on veut dans la vie. Un jour, je me suis arrêté brusquement de rêver. J'étais un homme mort où presque. Ca calme.
Il faut quand même un minimum de santé pour reprendre après un tel coup du sort. Il me restait de très beaux souvenirs. J'imaginais qu'ils pouvaient ouvrir une nouvelle route, un retour possible au land art, et je m'en suis servi pour retrouver le moral.
Comment oublier ces rencontres avec les bèrbères de Matmata, dans le sud Tunisien, ces cairns élevés à côté de leurs tombes en pleine montagne. Je revoyais, aussi ces superbes créature Nubiennes à la peau d'ébène, leur petit dernier dans les bras, me regarder élever un cairn non loin du lac d'Assouan dans le sud Egyptien. Je revivais le tracer de spirales sur la plage d'Agadir, devant ce médecin Algérien et son fils, au lever du soleil et notre conversation qui s'en suivit, longuement, autour du land art qu'il découvrait là, sous les pas de l'étranger que j'étais. Mes souvenirs m'emportaient dans ce raid en 4X4 à Tafraout, dans le moyen Atlas Marocain, traversant le désert de pierre, en compagnie de Marie-Claude et de notre guide touareg, et montant des cairns pour baliser notre route.
J'ai revécu tous mes voyages sur les iles de France, dans quelques montagnes, à la recherche du paysage qui m'aurait accueilli et inspiré.Je voulais retrouver une santé au travers de ce désir de créer, endormi et qu'il me fallait réveiller.
Actuellement, je suis à nouveau un chercheur de rêves et comme un enfant, je réapprend la nature, pas par pas, sans savoir encore où je pourrai aller physiquement. Le plus important, c'est d'avoir remis la machine à rêves en marche et continuer à vous les faire partager.
Roger Dautais
«
OEuvres poétiques, Actes-Sud, 1999.
Rien,
c’est un mot qui fuit
d’une vertèbre à l’autre
Rien,
C’est une brindille
Qui casse sous la joue
Rien,
c’est dans un rocher
Un peu de mer qui brûle
Rien, c’est la liberté
qui blesse vos pieds nus »
Jean Sénac (1926-1973),