à Raymond Anisten |
à Marie-Claude, femme aimée.
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Carré de mémoires assemblées.
Accumuler des droits en tous genres, empiler des médailles ou des distinctions en tous genres, comme on monte une collection de papillons, ne m’avait jamais passionné.
Je m’accordais néanmoins le droit de jouer, malgré mon avancée en âge, tous feux-huantants, dans la cour des grands, sans permission. J’avais pratiqué cette arrogance risquée, dès ma jeunesse, dans pas mal d’établissements scolaires en tous genres.
Et si cette avancée dans ma vie commençait à sentir la fin de l’histoire, j’avais trouvé une solution possible pour y pallier quelque peu . C’était bien, mes mémoires disloquées, qui une fois convoquées, se chargeaient d’allonger ma vie. Une belle illusion qui me condamnait à l’exil et à la solitude.
. Ainsi, dépliées à l’infini, je découvrais en elles, de nouveaux paysages oubliés à explorer en cas de disette.
Après avoir œuvré pendant toute la semaine dans les grands espaces marins, cet hiver là, j’étais à la recherche d’un d’un cadre plus contraint, avec un horizon limité qui demandait des voltes-face en permanence. Bel entraînement pour l’esprit et le corps.
Ceci, histoire de continuer cet hiver comme un animal instinctif et libre, sans répétitions de tâche. J’aurais aimé être un renard dans ces moments là, être son ami aussi, mais de loin, pour ne pas brouiller les pistes.
De temps en temps, j’avais besoin de tout oublier mon savoir-faire pour mieux poursuivre le chemin. Je percevais bien cette lumière intérieure, capable de réchauffer mes yeux gelés, dévoiler mes visions jusqu’à l’essence même de mon esprit. Mais je ne me sentais propriétaire de rien. Mon cœur battait. Saignait abondamment innervait mon corps, sans promesse de longévité.
Derrière les dunes qui bordaient le littoral,, existaient des territoires, seulement connus des bêtes et de rares curieux, derrière d’épais rideaux de ronce. Il fallait y parvenir ! Les oiseaux en savaient trouver la quiétude.
La vitre dépolie qui me séparait d’un passé plus qu’imparfait avait fini par se fendre. Quelques éclats de verre, étaient tombés vers moi, d’autres du côté de mon passé. Au travers de ces trous, des bribes de vie m’étaient apparus encore, objectivement potables. Kaléidoscope d’une idéation foisonnante et nouvelle, prête à servir de terrains de jeu, vierges.
Des ersatz de jeunesse où je me revoyais rescapé d’une guerre, partageant la découverte de la campagne, pauvre parmi les pauvres, au milieu d’une fratrie d’orphelins. La guerre distribuait la chance aveuglement. Tu devenais orphelin, d’un jour à l’autre. On te plaçait. Après il fallait survivre. Et le philosophe maison expliquait : « on a ce qu’on mérite ».
Mon Dieu, comment-ai-je pu supporter toute cette injustice !
Guetté par ces débordements d’images, qui vous emmenaient facilement dans le mur, je remisais le trop plein dans une pièce, nommé : Créations du futur.. Un délire total .
Seul à me débattre, et hanté par cette pièce noire où se trouvaient, formes couleurs, idées, j’y retournais assez vite, pour y puiser un signe de vie. Ce n’était pas sans me rappeler ce sinistre placard noir, où mon père m’enfermait si souvent, pour me dresser. Ma rébellion y prit racine. Me restait, le rêve, après les coups pour échapper à cette maltraitance.
Ce moyen d’échapper à la connexion permanente au monde qui manquait de nuances, consistait à me déplacer. Déplacements géographiques, déplacements virtuels, glissements sémantiques où l’inconscient n’avait plus qu’à dénouer les fils de mes vies multiples.
Une fois passée cette montagne de ronces, par un tunnel où je me déplaçais à quatre pattes, j’entrais mentalement dans un espace contenu entre l’exagération du vide et le trop plein d’informations.
Le land art m’aidait à vivre mes contradictions. À les incarner, aussi.
La pinède comptait environs deux ceux arbres. A l’orée de ce petit bois, un pré, qui aurait pu servir de pâturage à quelques moutons. Je sentis immédiatement que je pouvais largement tirer partie de ces milliers de petites pommes de pin qui jonchaient le sol de la pinède.
Cette matière première devint une réalité qui allait donner naissance à un carré posé sur le pré gelé. Histoire sans paroles qui resterait en place, plusieurs mois, jusqu’à sa découverte par promeneur hardi, ne craignant, ni les griffures, ni de salir ses effets.
Le carré, était une figure géométrique, belle en soi.
Droiture, rigueur et aux quatre coins : Pensée, sensation, intuition sentiment. Symbolisme de l’arrêt ou de l’instant prélevé, j’ajouterai, consécration païenne.
Mais aussi, le symbole des quatre saisons réunies.
Je préservais un carré intérieur, en relation avec le sol gelé, pour y déposer, une des Étoiles de David de ma fabrication.
Cet hexagramme représentant, le microcosme du monde.
Comment ne pas revivre aujourd’hui, la belle amitié fraternelle partagée en Normandie, avec mon ami Raymond., enfant rescapé de la Rafle du Veld’hiv, du 16 juillet 1942 , décédé il y a quelques années.
Cela valait bien d’ignorer les moqueries et le mépris des spécialistes de l’art contemporain, qui faisaient on démontaient des artistes au gré de leurs caprices. Leur univers ? Des murs. Celui de leur bureau. Celui de leur musée. Celui de leur savoir. Celui de leur pouvoir administratif. Et après, où se trouvait la liberté, dans ce bazar ?
Qu’étaient-ils devenus,quarante ans après ? Des vieux que personne ne regardait.
J’avais préservé cette partie de moi-même capable de m’arracher au désespoir, parfois, avec beaucoup de mal, capable d’aimer. L’autre soir, alors que la nuit tombait, en même temps que la pluie, je discutais avec Marie-Claude, dans notre petite cuisine, où nous ne recevions plus beaucoup de visites.. Nous avions décidé par jeu que le prochain objectif de notre vie serait d’atteindre 80 ans, mais qui si cela se terminait avant, cela aurait été une belle histoire d’amour, malgré tout. .
Çà nous avait fait bien rire.
Roger Dautais
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Route 78
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Photo : création Land Art de Roger Dautais.
« Carré de mémoires assemblées »
à Raymond Anisten *, en toute fraternité.
* https://www.ajpn.org/personne-Raymond-Anisten-1423.html
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