Flottaison d'été : aux passantes du chemin des grands jardins |
À
Marie-Claude, femme aimée.
*
*L’an
Dro du Mont d’Etenclin
Le
miaulement intime du paysage, se propageait au travers des
pâtures, ignorant les barbelés, sûr d’atteindre sa cible. Cette
musique animale me ralentissait . L’âcreté de mes derniers
rêves, demandait une purge radicale. Toutes ces cargaisons de sang
noir , qui tournaient à l’envers, encombrant mon inconscient,
mettait en route le petit manège de la mélancolie.
Elles
étaient au moins six, ces envoûteuses écervelées. Leurs regards
purulents, trempés dans les forges du Mont d’Etenclin, avaient
formé un cercle de feu, autour de moi. Je me débattais dans mon
linceul, par cette nuit de pleine lune qui m’embarquait au
tréfonds de l’oubli.
Leurs
mâchoires puissantes broyaient le fer, arrachaient les chênes sur
leur passage,dépeçaient un cœur en quelques minutes. Une
agitation mortifère gagnait du terrain, possédait mon cœur..
Hantises glauques de nuits blanches, passées à la recherche de
la rose perdue.
De
leurs bouches, sortaient des papillons noirs. Le juste et l’injuste
confondus, cousus à même ma peau, que me restait-il pour échapper
à cette race maudite, reine des grandes méchancetés ?
Ne
pas perdre le jour et, dès l’aube, tirer le fil d’Ariane qui
me mettrait hors d’atteinte. Ma dernière monture, morte cette
nuit, au galop, sous ma selle, devait à cette heure, nourrir ces
harpies. De toutes les cellules des prisons, s’élevaient des
voix : Sauve ta peau !
Entre
ma peau et moi, ma dernière chance. Une poignée d’étincelles,
électrisant mon corps , relançait la mécanique de la vie.
J’en
était là, en plein été, parcourant cette plaine Normande,
entre les champs de blé et les pâtures. Je forçais la marche
pour mettre mon corps à l’épreuve et mon esprit au repos Je
marchais depuis ce matin et une pose casse-croûte s’imposait. Je
pouvais, à cette époque , marcher toute une journée sans
problèmes à condition, de bien me nourrir.
J’avais
pris l’option d’un parcours, Ouest-Est, en partant de la rive
droite du fleuve. J’évitais toutes les route, ce qui m’obligeait
à franchir des barbelés, rencontrant au passage, quelque chevaux
pure sang, au pré et, en général, assez compréhensifs avec
l’étranger qui s’introduisait dans leur domaine.
Mon
idée était de rejoindre , un endroit vallonné, occupé par
quelques beaux étangs, nés du travail des hommes.
Je
n’en démordais pas de cette nuit cauchemardeuse ni de mon
intention de la chasser hors de mon esprit.
Seule, l’eau en avait le pouvoir. Non pas celle du fleuve, trop
puissante. Ni celle de la première rivière franchie sur une
passerelle, dont le courant m’aurait empêché toute installation
flottante. Encore moins, celle des ruisseaux, qui, en plein été,
me laissait une bien maigre place.
Des
eaux dormantes, voilà ce qu’il me fallait. Plates, prises entre
des rives sinueuses. Garnies de lentilles d’eau, de nénuphars,
aurait été l’idéal. Le prix en était une journée de marche,
puis une nuit sur place. Autant pour le retour.
J’ai
tout trouvé. Le étangs et un grand calme. Puis , dans ma
besace les éléments pour compléter mon installation. Au fur et
à mesure de l’avancée de mon travail, je sentais le bien-être
de l’eau, qui m’arrivait à la ceinture, délivrer mon esprit
de ces papillons noirs nés des ces bouches envoûteuses.
Mon
installation pris naissance dans la pureté d’un fleur de
nénuphar, d’où s’échappaient trois soleils rayonnant. La
blessure rouge, cicatriserait dans la journée.
Je
suis retourné depuis, au Mont d’Etenclin, près du moulin en
ruines. Quelques miaulements en sortirent, mais pour disparaître
assez vite. Subsistait le beau souvenir de l’An Dro, que nous
dansions ensemble, au temps de notre jeunesse, en attendant que
jour se lève, sous l’Astre blanc. Beaucoup de mes amis avaient
quitté cette terre, moins chanceux que moi. Je pouvais encore
accepter quelque cauchemars puisque je connaissais le moyen de les
guérir.
Que
ce soit dans ma pratique du land art, ou, dans d’autres arts, je
gardais en moi, ce goût du merveilleux, du fantastique de l’âme
humaine, à tisser la vie, hors des sentiers battus. Druides,
guérisseurs, chamans, et même mon grand-père , toutes ces
rencontres humaines, me formèrent depuis mon enfance, une
capacité à supporter ces grands souffrances qui furent celles de
ma vie.
Elle
développèrent une curiosité et une appétence, hors des
sentiers battus, pour cette lumière intérieure que l’on
appelle parfois, imagination, inspiration , connaissance. J’avais
un cœur assez vaste pour les accueillir en toute humilité en
toute humilité. J’ai essayé de le transmettre à mes enfants
et à mes petits enfants.
Maintenant, me garderai bien de détricoter ce mystère personnel.
Il me va.
Roger
Dautais
Route
78
*
Photo:création
land art de Roger Dautais
« Flottaison d’été » pour Sandra Ma.
Normandie