L'avant-dire : pour Anne Perrin |
À
Marie-Claude.
Le
juste moment du basculement…
Mes
assemblages de granit perçaient le ciel, devant une mer
assouvie.Quelques marcheur avaient emprunté le chemin des
douaniers, cherchant dans leur mémoire comment définir ces cairns
rencontrés, dans les falaises, depuis quelques centaines de
mètres. : « tas de cailloux ».
Le
mot « tas « , ils le reprenaient pour qualifier les
chômeurs : « tas de fainéants ». S’il était
normal pour un artiste de s’effacer devant l’œuvre, être
effacé par le premier venu, catalogué, mis de côté, ne me
convenait pas.
Si
le land art pouvait être pris pour un infirme du verbe,
convenant aux primitifs, aux marginaux,
rien
n’empêchait mon cœur de le vivre, autrement.
Signifier
avec des pierres, s’éloignait de la sémantique ordinaire, passant
par des mots. Cela ne conservait pas moins, toute la force
d’expression et sa légitimité. Un langage en soi, qui gardait le
silence.
J’étais
donc porteur d’une langue apprise hors des écoles, où j’étais
passé en courant sans trop apprendre. L’apprentissage,sur le tard
et sur le tas, me valait encore d’être tancé dans ma vieillesse.
A
cinq ou six ans, j’étais déjà mort pour le système.
Saisissez-vous de cette image et comprenez, comment j’avais été
poussé vers les marges et pourquoi, les chemins de traverse
m’étaient devenus, itinéraires familiers.
Mon
cœur avait battu, aimé,brûlé,failli. Il avait été ouvert,
recousu, pendant que la terre tournait. Aucun tas d’or, dans notre
maisonnette. Aucun tas d’ordures. Les uns, s’accumulaient chez
les cupides. Les autres se mêlaient à la foule.
Le
plaisir orgasmique ressenti dans l’ élévation d’un cairn,
suggérait aussitôt, un autre nom aux passants :
phallus. Les gnomons se répétaient au pied des falaises,
ensemençant le paysage marin. La nuit, ils s’occupaient des
étoiles.
La
fulgurance de l’hésitation qui précédait la naissance d’un
cairn, était le juste moment du basculement. Mon corps immobile
acceptait l’invite. Tous les sens convoqués, se rassemblaient
pour vivre et servir au mieux, un cœur à cœur avec les pierres,
au pied des falaises. Mes « tas de cailloux » entraient
en vibration.
Puisque
j’étais mort, à leurs yeux de bourgeois, je devenais,
l’inutile, le marginal, le toxique. Rien ne coulait plus dans mes
veines desséchées.
J’aurais
dû la quitter, quitter, parce que je ne méritais pas cet
amour.Quelle erreur du jugement ! Il me portait. Nous faisions
la route ensemble depuis lus d’un demi siècle
Probablement
tourmenté par la mélancolie tatoué sur mon corps entier, je
résistais en criant dans le désert. La sensualité naturelle de ma
nature, s’exprimait dans tous mes cairns. Elle faisait peur.
Épouser
le vide, le silence était le contraire de m’y jeter pour périr.
L’espace n’était pas que devant mes yeux, mais dans toutes les
directions, y compris, sous mes pieds. Le point d’équilibre se
trouvait dans cette station qui faisait aussi une place à la
mobilité.
Le
mouvement et l’arrêt, assemblés.Une mort qui animait l’entropie.
Qui
avait la prétention d’effacer mon enfance, ma vie en marge, la
guerre, la famine, le froid, les privations, les coups ?Pour ne
garder que le beau, dans la jolie nature, partagée dans un
entre-soi égoïste ? Rayé des listes, le petit homme aux
cairns . Les mondanités auxquelles je résistais, en refusant
d’y participer, me condamnaient à la solitude.
Je
voulais comprendre seul, pourquoi ma vieillesse se passait d’un
hôpital à l’autre. J’avais fini par accepter mon corps
couvert de cicatrices, comme étant le mien.
Jamais
le land art ne m’avait donné l’occasion, au bord du gouffre, de
discerner honneurs, leurs paillettes et le prix de la vie, quand
elle s’échappe. On n’emporte rien, vous savez. La solitude,
elle m’avait choisie. Je l’avais acceptée. Je continuais à
apprendre,chaque jour, sur le «tas », avec mes frères de
misère, ne faisant plus cas du mépris. Aimer, serait ma dernière
volonté.
Roger
Dautais.
Route 78. Notes de land art.
Photo : création land art de Roger Dautais.
" l'avant-dire " pour Anne Perrin.
Côte sud du Morbihan - Bretagne
Route 78. Notes de land art.
Photo : création land art de Roger Dautais.
" l'avant-dire " pour Anne Perrin.
Côte sud du Morbihan - Bretagne
Une si belle volonté que ta dernière!
RépondreSupprimer"On n’emporte rien, (...). Aimer, serait ma dernière volonté." J'adhère. Merci.
RépondreSupprimerQue laissons nous derrière nous sinon l'amour ?
RépondreSupprimerEt le Partage...
RépondreSupprimerJ'aime tant les mots, te lire est un vrai régal.Tes cairns ont du poids, de l'équilibre, avant tout du sens, tes écrits leur ressemblent.Eux, tu peux les protéger et les garder au chaud avec toi.
RépondreSupprimerAffectueusement.
Aimer est la devise essentielle pour poursuivre nos chemins
RépondreSupprimerBonjour Roger
RépondreSupprimerJe viens de me replonger dans ton univers
Ce texte est très beau ...
Bonne journée à toi
Bises
Salut Roger ... Comme toujours une merveille pour admirer tes oeuvres .. J'espère que tu as une heureuse 2020 pleine de santé et d'amour ... Un câlin de Madrid
RépondreSupprimerAimer c'est la vie . Ton texte est très émouvant
RépondreSupprimerBonne journée ,je t'embrasse
Les cairns de l'amour sur la page blanche des jours.
RépondreSupprimerCalligraphie essentielle sur le bleu du ciel.
Une apostrophe dressée sur la marée
Bonjour Roger
RépondreSupprimerAimer ne rien renier mais aimer
Bonne journée
Je t'embrasse
un petit retour sur ton blog... et toujours émerveillé ! bises
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