« Transparence ». pour Ariane Callot |
«
étrangement, l'étranger nous habite: il est la face cachée de
notre identité, l'espace qui ruine notre demeure, le temps où
s'abîment l'entente et la sympathie ».
Julia
Kristeva
Étrangers
à nous-mêmes
* * * |
Marie-Claude.
*
*
La
route aveugle et cathartique.
*
J’étais
né, oisif et hyperactif. Inclassable pour mon entourage. Cette
agitation de l’âme, m’avait sauvée.
On
passait, à cette époque, trop peu de temps à comprendre
« l’erreur » et trop à corriger, redresser..Mais mon
corps d’enfant, mon esprit, ma personne témoignaient d’une
vitalité insoupçonnée, dans cette grande marée de
incompréhensible, où personne, paraît-il ne pouvait survivre.
Dans mon esprit, il y avait des îles, des oiseaux, des êtres
lunaires qui échappaient au flot d’un peuple soumis et
traumatisé par la guerre.
Ni
l’école, lieu de sévices, ni la maison autre lieu de
maltraitance, n’étaient faits pour moi.
A
dix ans, après de terribles années, j’aimais la lecture et la
solitude habitée entre deux fugues, hanté par les enfers. Chien
perdu sans collier, j’avais rongé tous mes liens, physiques et
affectifs.
Aussi,
revivre à 55ans, une autre échappée belle qui me conduirait au
bout de ma vie,en découvrant puis pratiquant le land art, était
à nouveau condamnable. Aux yeux de mes juges, ce n’était
qu’une imposture, un affront à la vie, aux ancêtres, une
trahison, une histoire singulière et équivoque.
Habillé
pour plusieurs hivers, cette étiquette avait alerté les
instances culturelles et administratives.
«
Rien, aucune reconnaissance pour ce « facteur cheval »,
cet impressionniste égaré du land art, simple artiste de
l’urgence qui se consumerait vite ». Le public en décida
autrement en me soutenant largement., au-delà de la France
Alors,
j’avais fait mon trou, mon tunnel, en apnée. Sans haine pour
ces porte-tampons, qui accordaient des fortunes s de subventions à
qui se soumettait au système. L’art contemporain,
développait
un dogme et hors de cette chapelle, point de salut, ni d’argent.
Un jeu de dupes pour lequel je n’avais aucun talent.
J’explorais
le néant qui m’était proposé, un monde à l’envers du
leur.
« Te
souviens-tu, femme aimée, de notre monde ouvrier, où tu faisais
des prouesses pour nourrir nos enfants, sans qu’ils souffrent de
manque, et gardait encore un peu de forces pour me soutenir dans
cette route aveugle ? Personne ne pouvait nous donner de leçon
de pauvreté ni d’humilité. Surtout pas les méprisants.Nous
avions vécu des tempêtes et failli sombrer devant ces chanteurs de
Crédo et Kirie eleison, repus et imprécateurs, mais sans pitié,
aussi, pour le monde qu’ils détruisaient à leur profit..Tu
étais la femme de l’olibrius lorsque se déclenchaient les
moqueries de la parentèle où les hommes d’argent tenaient le
haut du pavé.. Je n’avais pas su faire comme eux.
Mon
corps devenait un lieu de vie expérimental et mettait en place
pour l’avenir, trois infarctus et une opération à cœur
ouvert. Et ils avaient dit « tu as ce que tu mérites !
». Probablement.
Si
je n’étais de nulle part, j’étais au moins, bien dans ton
cœur, pays d’épousailles, et pour le reste, partout chez nous,
sans frontières, sans autorisations.
Je
n’échappais ni à la mélancolie ni à la goualante que
pouvait faire naître, une bouteille vide et séchée jusqu’à
l’os, dans un rade de Saint-Malo.
Mais
je gardais pourtant, l’amour de l’idée naissant d’une belle
émotion, qui bouleverse, la beauté aussi d’un regard, d’un
visage qui passe, le « très lumineux » d’un instant
fugace que le ciel te lâche sur un paysage, à le transformer
jusqu’à l’irréel.
Ils
me disaient Prince du vent et de la guenille, pousse-cailloux, sans
valeur.Je leur répondais à tous ces profiteurs se gavant de
bonnes choses, être plus près de Francois Cheng, que de Paul
Bocuse. J’essayais de vivre libre sachant que cela me
marginaliserait, et que cela nous vaudrait pour nous deux, une
belle solitude dans notre vieillesse.
Lorsque
les âmes circassiennes entraient dans la danse , je les suivais,
quitte à rebattre les cartes du grand jeu et de me fier aux
étoiles, pour retrouver ma route.
Un
fil d’Ariane m’avait été donné à ma naissance. Nous ne
faisions qu’un. Il n’avait pas son pareil pour pour
m’indiquer un lieu, un lac, des eaux dormantes, une forêt
moussue et profonde où je serais en osmose avec le paysage.
Ma
patience était grande au travail, sans désordre dans mes pensées.
Qui pouvait juger de l’état des routes de mon inconscient, de
mes blessures et défauts, ou de mon amour pour toi, femme
aimée ?
Mes
gestes qualifiés de dérisoires, dans la cueillette des fleurs
étaient plus proche de la délicatesse féminine, et non une
faiblesse d’esprit. C’était ma façon de résister à la masse
des pensées collectives assénées. L’infini découvert dans le
détail, permettait de déposer, intentionnellement, chaque chose,
chaque couleur, à la bonne place, pour créer une installation
éphémère dans le paysage, jusqu’à en bouleverser la lecture.
Qui pouvait, sinon moi, juger de l’effet feedback sur ma
personne ? Il me reconstruisait.
Mes
carnets de route étaient vides. Le vent avait arraché, une à une
chaque page, pour ne garder que des spirales métalliques
Tout
était sorti du cœur, sans traces sur le terrain, éphémère. Tout
avait été offert au monde tel que mon cœur recousu me l’avait
demandé. Je n’étais qu’un passeur d’idées. Je n’avais pas
inventé l’amour.
A
l’heure où nous apercevions tous les deux, la possibilité d’une
fin, tout te revenait de droit, femme aimée. Tout ce que j’avais
fait, t’appartenait, toi, qui de ton côté m’avait offert ta vie
entière., faisant fi des moqueries et humiliations du clan si
croyant.
Je
n’avais besoin de nulle reconnaissance officielle, ni breloque
ni prix de je ne sais quelle académie pour m’en vanter.
Non
rien. Rien que toi, et ce besoin de dire ce que beaucoup trop de
gens avaient enterré, avec moi, de mon vivant, ma propre
histoire, maintenant jointe à la tienne depuis mille neuf cent
soixante cinq..
Roger Dautais
La
Route aveugle 78
Photo :
création land art de Roger Dautais
«
Transparence ». pour Ariane Callot
Normandie.
Il y a très longtemps
Royal le chemin de fougères !
RépondreSupprimerBonjour Roger !!! J'espère que vous allez bien en ces jours sombres ... Que la beauté de la nature a régné dans votre cœur ... Restez en sécurité ...
RépondreSupprimerAna