La route aveugle : pour Marie-Claude |
Mandala an Alré : pour Stéphanie Lenouvel |
Passer son chemin : pour Erin |
Le conteur de vagues : Pour Louis Bertholom |
Les déraisons : pour Olivia Quintin |
La ligne verte : pour Jacques Thomasaint. |
La mémoire grise : pour Alain Jégou |
Les silences verts de Carnac : Pour Sabine de Freitas |
Les braves : Pour Rick Forrestal |
Brève rencontre : pour Marie-Josée Christien |
L'arc de mer : pour Claire Fourier |
Les cris de Brec'h : pour Denise Scaramai |
Les liens du sang : pour Danièle Duteil |
Les cerises de Locmariaquer : Pour Édith et Maud |
La route aveugle.
aux poètes.
Il y a des jours où je ne traverse plus rien, ni l'air du temps ni même ma rue. Je suis stone et bien ainsi. Je prépare mon prochain voyage.
Entre l'utile et le nécessaire, préférer ne rien emporter et trouver ce qu'il faut sur place. La route pourvoira. Je voyage léger, sans références et traverse la forêt de Crac'h, plein sud.Les arbres s'en foutent des grands discours. Ils sont là pour accompagner les vents de mer lorsqu'ils se perdent jusqu'ici, quitte à leur montrer le sens du retour lorsque la mer se retirera, loin d'eux. C'est tout.
J'arrive sur la plage Elle est déserte.
Personne n'imaginerait un piano sur cette grève, moi, si.
Inutile d'insister la page jeunesse est définitivement tournée pour moi, pas celle de l'imagination.
Devant moi, des milliers de pierres. Personne pour les ordonner, personne à qui obéir, rien que la présence de la mer qui les brasse et les polit les unes après les autres pour apaiser leurs jalousies.
La météo s'impose dans les conversations depuis des semaines. S'il faut choisir dans ce flot de paroles, alors, je préfère le silence de la mer et ses bascules de marée qui remettent tout en question, au bleu d'un ciel vide et immobile.
Des pierres, seulement des pierres et puis après l'effort,le silence de la mer, seulement le silence pour les recouvrir. Croire en ler présence, même invisible et revenir plus tard pour des retrouvailles ,dans le chaos des grèves.
Je vis différents passages de mon existence dans une lumière diffuse. Je suis en sursis, déjà habitant l'autre monde.
D'un chantier sur l'autre, je fais des rencontres. Ils me demandent d'où je suis, comme pour se rassurer. Je leur répond que je suis du monde et que je m'en vais de ce pas, vers l'autre. Ils passent leur chemin.
Elle m'avait dit : tu verras, c'est un homme tout à fait bien. Oui, mais rencontrer un poète n'est pas une sinécure. Il faut montrer patte blanche. J'ai la peau brune, tannée par la route. J'attends toujours sa réponse. Ah! ces postures de poètes fonctionnaires qui leur assurent la reconnaissance des cadres de catégorie A. La hiérarchie est plaisante dans la nature. Elle est pleine de bois morts dans la vie.
Cette canicule devient pesante pour pratiquer le land art. Je rêve d'une pluie enveloppante qui demande un peu de courage pour l'affronter. De cette pluie qui tombe oblique, prend le gris de la mer, vides les plages. Elle resserre les idées et fait aller à l'essentiel.
Entre les pierres et moi se joue la partition du jour. Je retiens trois notes : dépouillement, dénuement, détachement. Qu'ai-je à faire dans ces beaux salons mondains qui s’ouvrent à moi ? Rien.
Je suis fasciné par la beauté tranquille de l'étang, à peine effleurée par une brume de chaleur. Vivre au seuil des mondes invisibles, tendre l'oreille au silence habité de ces lieux , s'impose. Basculer dans l'irréel, le rêve éveillé, et croire que je suis bien là, vivant, capable d'avancer encore, me rassure.
Quelques très jeunes merles m'ont accompagné dans ma dernière sortie à Locmariaquer.Ils picorent dans la laisse de mer et se déplacent dans un mouvement fluide, plus près de la course que du vol. On dirait des petites poules.
Qui a mis ces cerisiers sauvages sur la route? Je fais une provision de ces fruits rouges succulents.Les cerises sont petites, charnues et colorées. Pendant trois jours, je vais renouveler ces cueillettes et les compléter de joncs, de tiges de fougères, des dernières fleurs de digitales de la saison, de fleurs des champs diverses. Le tout sert à réaliser de petites installations géométriques. Simple exercice où j'exprime le bonheur de jouer avec les formes, les couleurs du temps. Cela me permet de me libérer de l'angoisse qui parfois me saisit, par la simple contemplation d'une œuvre aboutie qui mène à la sérénité.
Vers Locoal-Mendon, je trouve un chantier d'abattage pratiquement abandonné. Cet effacement d'une partie de la forêt sent la mort. De grands arbres entassés en vrac, tête-bêche, les os brisés, me font penser à un bûcher expiatoire. Je vais travailler au pied d'un arbre abattu, resté en contact avec sa souche. Je veux trouver le moyen d'exprimer la vie dans ce lieu sinistre. Je vais le faire en réalisant une spirale avec les écorces de cet arbre. La simple volonté de faire naître cette forme dynamique le ramène à la vie de manière éphémère et relance son histoire de sujet. Je le sauve provisoirement d'un anonymat mortifère. Je pense à Thomassaint, Jégou, Pélieu, Quéré. Sont-ils oubliés aussi ?
Je reprends la route aveugle avec une seule envie : vivre.
Roger Dautais
Allée couverte du Miniou
( Guiscriff)
à mon père
Charpentées de détresse
mais raidies jusqu'à l'extrême
ces pierres
guettent
plus que leur part d'infini
Marie-Josée Christien
Un monde pierres 2001
BLANC SILEX
ÉDITIONS
" J'aime tout ce qui s'écrit sur le silence,
l'immobilité,
L'écriture est alors l'imperceptible
mouvement,
L'à peine audible respiration d'un infini,
Un instant attentif à l'homme. "
Paul Quéré
( 1931-1993 )