à Youenn Gwernig
L’inconnu
qu’il me faudra déchiffrer
arrondit en moi
le silence
de sa sphère
Cette aube à l’affût
accueille une autre lumière
où conduit
toute naissance.
Marie José Christien
à Marie-José Christien
Tu vois cet arbre, petit, ils en ont coupé la plus grosse de branches pour en faire un cercueil. Je l'ai entendu gémir. Ils étaient trois pour ce méfait. Ils ont scié une partie de la nuit avec un mauvais harpon, édenté comme Job de Locronan. Bon Dieu, on s'est saoulé au chouchenn en les attendant, ces fils de pute. Nous on veillait le grand, dès fois qu'il se serait réveillé. Ils sont arrivés vers 11 heures. La nuit étai noire comme la mer. On leur a ouvert l'atelier du grand. Ils ont allumé les machines et tranché dans le vif. L'arbre, il n'était pas mort. Un vrai sacrilège. Mais pour le grand, comme disait Jobic, y lui faut un pull over taillé sur mesure. Ah les fi'd'garce, y nous ont coûte cher en gwen ru et du qui tâche. On avait dégotté la vinasse derrière les fagots. Tu connais la Marie, elle voulait plus qu'il picole,vu que le docteur, il l'avait dit. C'est bien simple, les docteurs, tous des menteurs. Ils nous font la morale et des que t'as le dos tourné, y te sautent ta bonne femme,en plus et ils boivent ton vin bouchonné. C'est comme les curés, pareil, eau bénite, goupillon, morale et pis, la soutane entre les dents. On connaît.
Le Grand, il avait dit au bistrot :
- Les gars, si je meurs un jour, tu te rends compte...si je meurt un jour ! enfin, on prenait ça bien, venant de lui. "Les gars, si je meurt un jour, je vous préviens, pas de curé". Et nous, ça nous allait assez bien. Tu comprends, pas de curé, pas de gendarme, pas de docteur. Au calme, quoi.
Ben, il est mort, le Grand et bien mort, dans son atelier fourre tout. C'est moi qui l'ai trouvé, au pied des scies à ruban qu'il accrochait au mur. La machine tournait encore. ça fout un coup. Je savais pas comment arrêter ce machin là, moi.
Je suis allé chercher la Marie, vu que la machine...et je l'ai ramenée dans l'atelier du Grand. Ah le choc, qu'elle a eu. Je lui ai dit tout de suite que j'y étais pour rien, je savais pas arrêter la machine. Pauvre imbécile qu'elle m'a dit, va donc chercher le médecin. J'y suis allé, il est venu. Il a dit:
- le grand est mort. Remarquez, j'avais bien vu qu'il n'était pas dans son état normal. Tout s'est compliqué lorsque la Marie elle a voulu appeler les pompes funèbres pour le cercueil. J'ai appelée les copains et j'ai dit: faut pas les laisser faire. C'est à nous d'enterrer le Grand, à personne d'autre-
Faut aller à la ferme de Hilarion Videloup, son gars d'ferm il nous indiquera un arbre assez vieux, on choisira la branche. On coupera. Y dira rien, avec deux litrons, ça suffira.
Des vrais, perdus,nous aut' que cette troupe. Mais on avait un secret partagé. On connaissait les petits carnets rouges du Grand. Le soir, après la rincette, il nous réunissait autour de la cheminée pour nous lire sa poésie . Et ça, rien que ça, valait bien de lui faire sa dernière boîte, au Grand.
Ils ont bossé toute la nuit et au petit matin, ils sont allés l'offrir à la vieille, sa boîte à bijoux. Ils ont couché le Grand dedans, avec tous ses carnets rouges, ses poésies, rangés de chaque côté du corps. La Marie a embrassé le vieux. Ils ont refermé le cercueil. ils l'ont placé sur le char à ban tiré par le percheron du Videloup.
" Adieu vieille branche, qu'il a dit Videloup en voyant descendre le cercueil dans le trou. S'il avait su que la branche c'était la sienne.
Après, on est allé chez Yvon. On s'est saoulé jusqu'à rouler par terre. Le lendemain , le Guy, il nous a réuni.
Les gars qu'il a dit, le Grand est plus là. Il nous avait habitué à lire de la poésie alors, j'ai pensé que...
Quoi, on a dit.
Ben, il faut continuer dans son atelier. J'ai demandé à la marie, elle est d'accord.
On est allé. On a débouché du cidre et Guy a sorti un livre de Marie-José Christien et il s'est mis à lire :
L'inconnu
qu'il me faudra déchiffrer
arrondit en moi
le silence
de la mer...
Nous, on a pleuré en pensant au Grand, aux textes qu'il nous lisait ici et puis on a bu à sa santé.
C'est ça, l'amitié, chez nous, les Bretons. c'est pas aut'chose.
Roger dautais
Dans cet exercice périlleux, j'ai voulu rassembler, la mémoire de Youenn Gwernig, le talent marie-josé Christien et le travail de Guy Allix, qui par amour de la poésie, passe une grande partie de sa vie à mettre en valeur, l'oeuvre des poètes.
Il me semble, par ce geste vivre une fraternité qui, avec l'humilité de ses personnes , constituent le terreau poétique dont notre époque désinscarnée, à la recherche d'une identité, a besoin de défendre si elle veut gagner sa liberté.
Cette désinvolture, n'entame en rien, le respect que je porte à ces poètes. C'est aussi pour moi, affirmer mon identité Bretonne, ma nostalgie d'exilé et l'amour d'une vie véritable en laissant mon imaginaire rassembler les vivants et le mort dans un dernier fest noz. J'ose espérer qu'il me sera beaucoup pardonné. Que mon délire de manouche rejoigne l'esprit sauvage de Marie-Josée Christien, en ses terres de Cornouailles.
Roger Dautais
LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS
Née en 1957 à Guiscriff, dans la Cornouaille morbihannaise, institutrice dans une école maternelle, ses textes poétiques, ses collages et ses chroniques sont publiés régulièrement dans une quinzaine de petites revues. A cofondé en 1991 une publication annuelle, Spered Gouez/L'esprit sauvage. Son recueil Lascaux et autres sanctuaires (Jacques André, 2007), dédié à la mémoire d'André Leroi-Gourhan notamment, interroge « la pierre caverneuse où soufflent les esprits énigmatiques de nos ancêtres millénaires » écrit dans sa préface José Millas-Martin.
Retrouvez-là sur le site du poète Guy Allix
http://guyallix.art.officelive.com/invites.aspx
J'aime beaucoup votre univers où les mots dessinent des continents éphémères sur du sable et où les cailloux parlent du silence.
RépondreSupprimerIl y a tant de poésie dans la simplicité d'un geste ou d'une ombre...