La vie, comme elle va

"S'il suffisait de lire comme dans une bulle de cristal, alors, ce serait, facile.Mais il faut vite déchanter, prendre la route, sac au dos et marcher, toujours marcher pour oublier ce que l'on a déjà fait, ce que l'on va faire. Il faut attendre que la nature nous prenne et nous ouvre sa voie. C'est une progression incessante, pour de si petites choses".
Roger Dautais . Septembre 2009

Un voyage étonnant au cœur du land Art

jeudi 2 juillet 2020

Guetteur de marée : pour Virginie Roels


À Marie-Claude.





Le temps s’était occupé de brouiller les cartes.


Chaque jour, tout restait à découvrir dans la peau d’un rebelle qui prenait de l’âge, sans autre projet de vie que celui de survivre.
Après la pluie, le vent qui me claquait la face, refroidissait mon cœur, dangereusement. J’avais pris le chemin des îles et je devais coûte que coûte, y arriver. Vivre en land art ne pouvait être qu’un mixte entre le plaisir de la découverte et le brûlant constat des échecs vécus in situ. Sans réaction à ce voyage au long cours je me serais désagrégé très rapidement. J’étais né seul, avec une mélancolie attachée à mes basques. Il n’était pas question d’abandonner ni de devenir un pâle imitateur à cause de cette difficulté de plus.
Bien sûr, il y avait eu ces épisodes vécus à l’hôpital. Pour qui n’y avait jamais souffert, c’était l’incompréhension totale. Parce que c’est triste, un hôpital, entre les morts planqués en morgue, ceux qui attendent d’y être allongés, la fin avait une odeur fade qu’il était de bon ton de ne pas sentir. Et puis, il y avait cette foule bigarrée de passage qui faisait semblant de survoler tout ça, de ne pas être là, ou, par hasard, avec une seule idée, se barrer vite fait de la visite. Encore heureux pour moi, j’avais toujours eu ma femme aimée, pour m’accompagner et me tenir la main, près de mon lit.J’avais pris le relais, quand cela avait été son tour.
Le reste, ça tenait entre les odeurs d’éther de désinfectant, les chariots de soin, les poubelles souillées, encombrant les couloirs, parcourus par les bancales à roulettes ou autres malades poussant leur mat à perf, le pyjama tombant sur les mules, pour aller acheter des clopes, à la caféte. Ajoutez le personnel et vous avez le tableau de cette ruche à souffrance.
Privé d’horizon , d’air frais et de toutes ces choses de l’extérieur. j’avais malgré l’âge avance, gardé le besoin d’aimer la femme de ma vie, avec un cœur ardent et recousu .
Si ce temps de la douleur existait bien dans ma vie, alors, ce n’était pas le mien. Jamais je n’aurai voulu en être le complice soumis. Çà rappait dur, toutes les convictions, ces passages obligés dans la souffrance. Bien peu retournaient à leurs rêves en sortait de ce merdier.
J’y étais retourné, à chaque fois, avec plus ou moins de temps consacré à la convalescence qui vous tombait dessus comme un paquet-cadeau.

Le jour s’était levé et répétait sa leçon. La vie pour moi, se passait, dehors. Dans le vent, sous la pluie, en plein soleil, mon corps ne demandait que ça. A chaque instant, toutes le couleurs du temps m’accueillaient. Il y avait bien ce vide s’élargissant jusqu’à mon enfance détruite pour toujours, mais je n’y plongeais plus à chaque fois. Je voulais fuir cet abandon comme j’avais fuit les coups donnés à la maison.
C’était depuis mon grenier que je t’écrivais tout cela, mais c’était déjà trop tard. D’une rive à l’autre j’avais glané des silences glacés, sauvé une poignée d’idées dans le courant du fleuve, rassemblant le tout en un pauvre viatique auquel je m’attachais pour ne pas me noyer.
Le temps s’était occupé de brouiller les cartes. L’amnésie avait progressé en moi, comme la marée sur l’estran. Il me restait l’essentiel, un souffle de vie ténu, si précieux que je veillais sur lui car c’est lui qui me rattachait à toi.
Je retournais dans les pierriers des îles ,où la marche était si difficile, mais le choix de pierres, à l’infini. Aucun mot n’avait la richesse des pierres assemblées en cairn pour chanter mon amour pour toi. Et comme c’était avant tout une affaire de vivant que d’aimer, j’étais sur le bon chemin.

Roger Dautais
Route 78
Photo : création land art de Roger Dautais.

4 commentaires:

  1. Touchant très émouvant de le lire
    Merci pour ce partage
    Bises Roger

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  2. Qu'elle est belle cette dernière phrase... Merci pour elle, Roger.

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  3. Une écriture remplie d'émotion. Très touchant.
    Merci Roger pour cette leçon de vie.
    Amitiés.

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  4. Toujours sur le bon chemin
    Nous y sommes ! oui !!!

    en amitié
    une embrasse vers toi Roger

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Landartiste, photographe, auteur de livres pour enfants, Roger Dautais est aussi un artiste atypique, sensible et attachant.Il a sû, dans la diversité de ses expressions, trouver une harmonie par la pratique quotidienne de cet art éphémère : le Land Art. Il dit "y puiser forces et ressources qui lui permettent, également, depuis de nombreuses années, d'intervenir auprès de personnes en grande difficulté ( Centre de détention pour longues peines et personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer) pour les aider par la médiation de l'art.