




aux va-nu-pieds...
Nous voici, gens de peu, peuples sans terre, autre que la planète, sans ombre, sans soleil, transparents aux yeux des possédants. Nous voici, marchant fièrement les cheveux dans le vent, la peau brûlée de soleil et d'embruns, avec nos chants de révolte. Nous voici, damnés de la terre, rebelles aux yeux si clairs, regards de braise, aussi, descendant le fleuve indifférence à califourchon sur les cadavres. Nous voici, sabordeurs de dogmes, briseurs de convictions, incendiaires de raison, sans foi ni loi, hommes aux pieds nus devant le destin et ne demandant rien d'autre que notre part. Entendez nos cris de part et d'autre des frontières, nos pleurs ont creusé nos joues, empli les sillons des terres arides et gonflé les rivières pourpres. Nous avons la Nature comme maîtresse et nul dieu à adorer. Nos mains ont gratté les sols les plus désolés et la peau de nos doigts est restée sur les roches que nous avons transporté dans les carrières.
Jamais le désespoir n'a été si grand, jamais notre soif d'être, non plus. D'Afrique et de Chine, du Maghreb et d'Afghanistan, nous envoyons notre jeunesse à l'assaut de la vie. Nous demandons de l'eau, du pain et des écoles, nous ne voulons plus jamais d'armes ni de mines, ni de bombes, ni de torture. Dans la poussière des routes, nous perdons parfois l'un des nôtres, pendant le voyage et quand nous arrivons ici, les festins sont des injures à notre pauvreté. Alors, nous coupons quelques roseaux et nous les installons comme des traces de notre vie passée par là. Rien de plus, mais tellement moins que la simple beauté d'un vol de papillon qui s'arrête et se pose un instant au soleil pour consoler notre peine du pays perdu.
Tant qu'il y aura des êtres obligés de se nourrir des restes de l'humanité dominante, tant que l'exil brillera dans les pupilles des exilés, tant que les passeurs les affameront, la liberté ne sera qu'un vol de papillon, utopique et nécessaire au voyageur, car le rêve n'a pas de prix. Certaines morts sont de banales obligations à rééquilibrer les comptes et les corps, des marchandises qu'il convient de livrer à n'importe quel prix aux marchands d'esclaves. L'art est bien loin de ces vies sacrifiées mais tellement plus souhaitable que le réarmement du monde.
J'aimerai garder tout au long du voyage, ma capacité d'indignation et ma fascination pour la liberté des papillons dont le vol éphémère les rapproche du land art.
Roger Dautais
" En passant devant chez Fauchon "
LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS