La vie, comme elle va

"S'il suffisait de lire comme dans une bulle de cristal, alors, ce serait, facile.Mais il faut vite déchanter, prendre la route, sac au dos et marcher, toujours marcher pour oublier ce que l'on a déjà fait, ce que l'on va faire. Il faut attendre que la nature nous prenne et nous ouvre sa voie. C'est une progression incessante, pour de si petites choses".
Roger Dautais . Septembre 2009

Un voyage étonnant au cœur du land Art

vendredi 26 juillet 2013

Fumiyo song (suite) : pour Fumiyo Suko

Rencontre : à Marie-Claude

Losange : Pour Michel Follorou *

Tro Breizh : à Marie-Josée Christien

Temps suspendu : à Guy Allix

Tapis d'estran  : Pour Alain Jégou

2toile sur le chemin  : à Youenn Gwernig

Le gardien de l'or du temps :  pour Marty

Inuksut :  pour Patrick Lucas

Tempo vert :  pour Sylvie

Parure d'étang:  pour Sasa Sastamoinen

Trois fois plus :  pour Michelle Mass

16 Juillet 1942 : à Raymond Anisten *, fraternellement.
à  mon  père...




Au bord du temps

Le temps exceptionnellement chaud  à vidé la plupart des mares. Je cherche  un  lieu aquatique, complice,  à  l'ombre, ayant échappé à la loi du genre : l'évaporation. Je finis par trouver cette mare d'au tranquille, recouverte de lentilles d'eau que la lumière du  jour atteint en douceur, sans l'éblouir. Je sors de  mon sac  à dos, une poignée de bûchettes préparées en faisant sécher des tiges de fougère au soleil. Mon état de santé m'ayant obligé au repos, j'ai eu le temps de préparer ce petit travail. J'ai vu, jour après jour leur couleur brunir, leur texture, changer, jusqu'à devenir  un bois presque orangé qui  me plait beaucoup.Je les emmène avec moi et nous devenons familiers, compagnons de route. Le temps venu, je les coupe en bûchettes.Aujourd'hui, je sors de ma poche quelques têtes d'hortensia cueillies dans notre jardin.J'aime ces fleurs.
Un jeune merle, joue avec la terre, se foule dedans comme  une poule dans la poussière. Il me regarde. Je lui envoie des signes d'amitié car je vais partager son territoire pendant quelques temps.Il  m'observe puis continue  à chercher sa  pitance avant d'aller se percher dans l'arbre qui  protège la mare du soleil. Il chante.
Présence de  mon  père, toujours, dans ce chant.
S'il avait été vivant, je l'aurai emmené jusqu'ici avec  moi. Quelques  mois avant son départ, nous avions planté ensemble, des bulbes de narcisse et de jonquilles dans ses jardinières, puis des pensées. Il avait 92 ans ne parlait guère plus et s’alimentait mal. Nous l'avions porté dehors, sur une chaise avec Marie-Claude. Je lui avait fait toucher la terre, cette terre qu'il avait cultivée pendant au  moins 75 ans. Il était heureux, sachant très bien, malgré tout qu'il ne verrait pas ces fleurs de  printemps, pousser et fleurir. Trois  mois après, nous l'enterrions par  un jour ensoleillé de février, accompagné du chant d'un  merle.
Se sentir orphelin  à 70 ans passés !
Je travaille  à genoux, penché au-dessus de la mare. J'agite  la surface de l'eau  pour écarter les lentilles vertes et je me prépare  un  plan dégagé  pour commencer  à  installer mes flottaisons.
Moment délicat. Une bûchette,  une autre, deux en travers, un carré qui flotte. Une fenêtre ouverte vers l'inconnu,  un  piège  à  lumière,  un éclat de soleil sur cette eau noire. Je continue, les bûchettes s'empilent, perpendiculaires, horizons ouverts aux rêves les plus improbables, verticale assurant la solidité d'une pyramide flottante: "Fumiyo song". Les portes de  l'Orient.
Mes doigts jouent avec le frêle esquif, le transforme en losange, en carré, en rectangle. Je change de forme selon mes envies.Une légère brise ramène les lentilles d'eau  vers le centre. Elles colonisent  l'espace vide, cernent les bûchettes, jouent de leur couleur verte,de leur matière.Je suis en admiration devant un  monde qui ne dépasse pas 50 centimètres de diamètre. Ce monde est le mien, contenant tout ce que je suis, toutes les émotions du moment. Et  pourtant, il s'inscrit dans l'autre  monde, celui qui va terriblement vite, écrase les petits, les faibles, fait la part belle aux puissants et fait gonfler le jabot des grands de ce monde.
Je prends mes fleurs d'hortensia, les sépare en pétales et commence une autre installation flottante. Je raconte une histoire,  mon histoire, à la manière d'un  peintre qui  organiserait une toile, la composerait et la mettrait en couleurs. Elles joues entre elles, se compètent dans ces formes flottantes, mouvantes, instables à cause du vent qui les déplace.
Je pense  à  mon  père qui me parlait l'été dans cette serre  à  multiplication, devenue, lieu de confidence, et qui  me disait sa satisfaction du travail accompli, ensemble, malgré la chaleur accablante.
Le merle...ce chant...cette  présence troublante...
Je prends mes photos que je regarderai simplement quelques jours  plus tard, pour garder  intact cet instant en  mémoire, vécu au bord du temps, dans  un été  où je me demande toujours si continuer le Chemin vaut bien  la peine.

Roger Dautais

* Michel Follorou
expose actuellement des photographies grand format sur le thème des"Lumières Sacrées".
Elles sont présentées à PLOUHARNEL dans le Morbihan, dans le cadre d'un festival photographique qui rassemble des artistes de talent dans quatre lieux : Plouharnel, ïles de Houat de Hédic, et Locmariaquer. Incontournable.
* Raymond Anisten,
 Président fondateur de l'Association des Enfants et Petits Enfants rescapés de la Rafle du Vel d'Hiv du 16 juillet 1942







Tout ce qui va venir
Ne nous dit pas qu'il vient.
 
Tout ce qui va partir
Ne nous dit pas qu'il meurt.
 
Tout ce qui va rester
Crie son éternité.
 
 
     Eugène Guillevic (1907-1997)
     Possibles futurs, "L'Innocent"
     Gallimard, 1996


 
    


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Landartiste, photographe, auteur de livres pour enfants, Roger Dautais est aussi un artiste atypique, sensible et attachant.Il a sû, dans la diversité de ses expressions, trouver une harmonie par la pratique quotidienne de cet art éphémère : le Land Art. Il dit "y puiser forces et ressources qui lui permettent, également, depuis de nombreuses années, d'intervenir auprès de personnes en grande difficulté ( Centre de détention pour longues peines et personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer) pour les aider par la médiation de l'art.