La vie, comme elle va

"S'il suffisait de lire comme dans une bulle de cristal, alors, ce serait, facile.Mais il faut vite déchanter, prendre la route, sac au dos et marcher, toujours marcher pour oublier ce que l'on a déjà fait, ce que l'on va faire. Il faut attendre que la nature nous prenne et nous ouvre sa voie. C'est une progression incessante, pour de si petites choses".
Roger Dautais . Septembre 2009

Un voyage étonnant au cœur du land Art

mercredi 4 novembre 2009




La mort, ça rampe sournoisement auprès de vous. C'est là, tapie dans l'ombre, comme une certitude dont nous n'aurions en fin de compte, pas besoin. La mort, c'est beau dans les livres, dans les poèmes pour faire pleurer Margot avec des vers de mirliton.
La mort c'est : moi, j'ai pas peur... parfois, maman...et puis le corps qui bascule sur un champ de bataille à 20 ans, en Afghanistan.
La mort, c'est comme une boule, une sphère, un monde à part que l'on nous donne à transporter tout au long de notre vie en faisant semblant d'oublier. La mort, elle nous ressemble, changeante, capricieuse, insidieuse, boudeuse ou rieuse. Et puis un jour, elle s'invite. Elle vient , entre chez vous et vous fait signe:
à ton tour.

Et là, il faut bien quitter tout. Tout, vraiment Tout.
Une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer, elle a déjà commencé à quitter une partie de ce qui faisait d'elle, une personnalité reconnaissable par tout un chacun, parce que "identifiable". Mais quand les troubles apparaissent, apraxie, aphasie, agnosie, et que la vie courante devient une "incompréhention" pour eux et pour leur entourage, restent-ils des humains ? Non, pas pour tout le monde puisque certains les abandonnent, les renient, ne les reconnaîssent plus, les prennent pour des fous.
Il n'y a presque pas de personnes Alzheimer en Afrique parce que les personnes âgées vivent jusqu'au bout leur vieillesse dans le groupe social du village.C'est juste à méditer. Sans entrer dans les détails de ce qui déclanche une telle maladie, les chercheurs ont clairement démontré que le l'affectif entrait aussi en jeu, dans le processus de déclanchement de la maladie, par accumulation de stress. Une personne vivant un sentiment d'abandon, après un deuil, un départ en retraite, la perte d'un être cher,développera plus aisément cette maladie. Il n'est pas question de culpabiliser quiconque face à une maladie dont on cherche encore les causes avec précision afin d'en trouver les remèdes. Il est question de dire qu'à partir du moment où les symptomes ne permettent plus à la persone malade d'être autonome et de vivre chez elle et dans la société, en toute sécurité, il est mieux d'envisager pour elle un séjour en maison médicalisée et spécialisée;
C'est ainsi que j'ai connu Germaine A.
elle allait avoir 92 ans. Je l'accueillais chaque semaine dans mon atelier d'Art Thérapie. Germaine était atteinte de la maladie d'Alzheimer. Elle ne savait plus dire, où elle était,ni ce qu'elle y faisait, dans cette grande Maison. Bien sûr, elle reconnaissait "les filles" qui la soignaient et me disait : oh, vous savez, elles sont charmantes.
J'allais la chercher dans sa chambre pour la mener à l'atelier. Elle me reconnaissait, mais était incapable de dire qui j'étais, et pourquoi je l'emmennais. Dans les 10o mètres de couloir à parcourir entre sa chambre et mon atelier, elle me demandait, au moins dix fois, où on allait et pour quoi faire. Je lui répétais à chaque fois, avec patience, pour calmer son angoisse.
Germaine peignait peu. Elle avait un style qui mettait en évidence sa démence et la semaine dernière, quelques jours avant sa mort, elle avait simulé un combat entre le pinceau et ses deux mains. J'en avais été troublé.
Germaine riait, nous faisait rire avec ses traits d'esprit, son humour décapant. Elle chantait, pensait qu'elle avait du avoir des enfants, me parlait de ses frères, de ses baignades à Courseulles sur mer, du débarquement et des Américains- ah ! les Américains, ils étaient beaux...Y'en avait- Puis, dans ce grand vrac elle me parlait du Genéral de Gaulle qui était très grand et qu'ele avait vu à Bayeux. Il lui avait même serré la main si...si...Ni date, ni repaires, juste des touches d"émotion, quiallaient jusqu'aux larmes perlées.

Il faut connaitre cette intimité avec nos patients pour pouvoir comprendre le peu de savoir ou le peu d'intéret en matière des ressources humaines, présentes en eux même à un stade avancé de la maladie
Lorsque du haut de leur chair, ils les prétendent "morts" nos patients " morts debout", combien ils se trompent.
D'ailleurs, pour beaucoup, nous mêmes, art thérapeutes ne sommes ni vus, nireconnus...
effacés du monde des" savants". Lorsque j'ai assisté à la conférence du professseur Eustache , grand spécialiste mondial de la maladie d'Alzheimer, à la mairie de caen, l'été dernier, lorsque je lui ai parlé, j'ai trouvé plus d'écoute et d'intérêt portés à ma démarche que chez bien des " soignants" appelons les comme cela, intervenants de l'extérieur, chez nous, dont j'attends toujours le bonjour après 18 ans de présence à l'ARDAPA.

Germaine regardait beaucoup les peintures des autres et me parlait de celles de sa fille- une artiste, pas comme moi- me disait-t-elle.
Parfois, Germaine avait des absences et je l'observais, toute petite femme, bien habillée, coquette, dans sa finde vie, dans sa reflexion d'être blessé. Pensait-elle alors que cela suffisait, que le temps était venu de rendre l'âme que sa mère lui avait confiée en la mettant au monde ? Possible.
Je l'avais longuement filmée et photographiée car je voulais en faire le sujet de mon film OSEZ OSEZ JOSEPHINE qui traiterait de cette maladie et de notre rapport avec elle au travers de l'art thérapie. Tout allait bien, la semaine dernière la Directrice de Rivabel'Âge m'avait commandé le film et j'avais acepté de le réaliser en co-production avec mon association LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS, j'avais trouvé un deuxième cadreur, un ingénieur du son, un monteur. Tout allait bien. Nous allions commencer le tournage, la semaine prochaine. Germaine nous a quittés, le 2 novembre 2009. Elle est morte pendant son sommeil.
Elle sera enterrée ce matin et avant d'aller rejoindre mon atelier d'Art Thérapie, j'irai la saluer et lui dire adieu.
Je ne la remplacerai pas. On ne remplace pas un mort. Nous accueillerons un autre patient. Je réaliserai ce film, pas comme prévu bien sûr, car ele ne sera plus là. Quand j'ai appris sa mort au téléphone, j'ai décidé de lui dédier ce film, ainsi qu'à sa fille, dans la peine aujourd'hui.
La mort, en Maison de Retraite n'est pas un folklore, c'est une réalité. Plus que quiconque nous sommes bien placés pour dire qu'avec 50% de nos résidents atteints de la maladie d'Alzheimer et les autres à prendre en charge et suivre de très près,il est plus qu'urgent de développer toutes les aides possibles participant à l'amélioration ds conditions de vie, à la protection et à la défense de ces grands malades qui nous ont été confiés. C'est un cas de conscience à étudier au niveau national. Je crois avoir compreis que c'est le cas. il nous reste à être vraiemt aidés dans cte mission de santé publique.
Merci, Germaine de m'avoir tant donné. Merci de m'avoir souvent donné l'envie de continuer de vivre parfois, tant le monde est désespérant dans sa bêtise et sa lâcheté. Je vous parlais de mon père, âgé de 93 ans, et bien malade lui aussi et vous me disiez: il est courageux . Comme je vous demandais pourquoi, votre oeil frisait en me disant:
" faut du courage, vous savez pour vivre jusque là".
Je le pense vraiment,surtout de nos jours.

Vous y étiez presque arrivée, vous aussi, avec courage, avec le moral, malgré vos douleur et votre mobylette comme vos appeliez votre déambulateur. Je vous demandais- Germaine, avez vous mis d l'essence dans votre réservoir ce matin ? Vous me regardiez, malicieuse, en me répondant: oui, j'ai fait le plein. Puis nous partions en chantant "Ma Normandie".
Merci de votre joie de vivre. Je vous embrasse.
Que votre voyage soit éternel.

Roger Dautais
LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS

à Youenn Gwernig


L’inconnu

qu’il me faudra déchiffrer

arrondit en moi

le silence

de sa sphère

Cette aube à l’affût

accueille une autre lumière

où conduit

toute naissance.


Marie José Christien



à Marie-José Christien

Tu vois cet arbre, petit, ils en ont coupé la plus grosse de branches pour en faire un cercueil. Je l'ai entendu gémir. Ils étaient trois pour ce méfait. Ils ont scié une partie de la nuit avec un mauvais harpon, édenté comme Job de Locronan. Bon Dieu, on s'est saoulé au chouchenn en les attendant, ces fils de pute. Nous on veillait le grand, dès fois qu'il se serait réveillé. Ils sont arrivés vers 11 heures. La nuit étai noire comme la mer. On leur a ouvert l'atelier du grand. Ils ont allumé les machines et tranché dans le vif. L'arbre, il n'était pas mort. Un vrai sacrilège. Mais pour le grand, comme disait Jobic, y lui faut un pull over taillé sur mesure. Ah les fi'd'garce, y nous ont coûte cher en gwen ru et du qui tâche. On avait dégotté la vinasse derrière les fagots. Tu connais la Marie, elle voulait plus qu'il picole,vu que le docteur, il l'avait dit. C'est bien simple, les docteurs, tous des menteurs. Ils nous font la morale et des que t'as le dos tourné, y te sautent ta bonne femme,en plus et ils boivent ton vin bouchonné. C'est comme les curés, pareil, eau bénite, goupillon, morale et pis, la soutane entre les dents. On connaît.

Le Grand, il avait dit au bistrot :

- Les gars, si je meurs un jour, tu te rends compte...si je meurt un jour ! enfin, on prenait ça bien, venant de lui. "Les gars, si je meurt un jour, je vous préviens, pas de curé". Et nous, ça nous allait assez bien. Tu comprends, pas de curé, pas de gendarme, pas de docteur. Au calme, quoi.

Ben, il est mort, le Grand et bien mort, dans son atelier fourre tout. C'est moi qui l'ai trouvé, au pied des scies à ruban qu'il accrochait au mur. La machine tournait encore. ça fout un coup. Je savais pas comment arrêter ce machin là, moi.

Je suis allé chercher la Marie, vu que la machine...et je l'ai ramenée dans l'atelier du Grand. Ah le choc, qu'elle a eu. Je lui ai dit tout de suite que j'y étais pour rien, je savais pas arrêter la machine. Pauvre imbécile qu'elle m'a dit, va donc chercher le médecin. J'y suis allé, il est venu. Il a dit:

- le grand est mort. Remarquez, j'avais bien vu qu'il n'était pas dans son état normal. Tout s'est compliqué lorsque la Marie elle a voulu appeler les pompes funèbres pour le cercueil. J'ai appelée les copains et j'ai dit: faut pas les laisser faire. C'est à nous d'enterrer le Grand, à personne d'autre-

Faut aller à la ferme de Hilarion Videloup, son gars d'ferm il nous indiquera un arbre assez vieux, on choisira la branche. On coupera. Y dira rien, avec deux litrons, ça suffira.

Des vrais, perdus,nous aut' que cette troupe. Mais on avait un secret partagé. On connaissait les petits carnets rouges du Grand. Le soir, après la rincette, il nous réunissait autour de la cheminée pour nous lire sa poésie . Et ça, rien que ça, valait bien de lui faire sa dernière boîte, au Grand.

Ils ont bossé toute la nuit et au petit matin, ils sont allés l'offrir à la vieille, sa boîte à bijoux. Ils ont couché le Grand dedans, avec tous ses carnets rouges, ses poésies, rangés de chaque côté du corps. La Marie a embrassé le vieux. Ils ont refermé le cercueil. ils l'ont placé sur le char à ban tiré par le percheron du Videloup.

" Adieu vieille branche, qu'il a dit Videloup en voyant descendre le cercueil dans le trou. S'il avait su que la branche c'était la sienne.

Après, on est allé chez Yvon. On s'est saoulé jusqu'à rouler par terre. Le lendemain , le Guy, il nous a réuni.

Les gars qu'il a dit, le Grand est plus là. Il nous avait habitué à lire de la poésie alors, j'ai pensé que...

Quoi, on a dit.

Ben, il faut continuer dans son atelier. J'ai demandé à la marie, elle est d'accord.

On est allé. On a débouché du cidre et Guy a sorti un livre de Marie-José Christien et il s'est mis à lire :

L'inconnu

qu'il me faudra déchiffrer

arrondit en moi

le silence

de la mer...

Nous, on a pleuré en pensant au Grand, aux textes qu'il nous lisait ici et puis on a bu à sa santé.

C'est ça, l'amitié, chez nous, les Bretons. c'est pas aut'chose.

Roger dautais


Dans cet exercice périlleux, j'ai voulu rassembler, la mémoire de Youenn Gwernig, le talent marie-josé Christien et le travail de Guy Allix, qui par amour de la poésie, passe une grande partie de sa vie à mettre en valeur, l'oeuvre des poètes.

Il me semble, par ce geste vivre une fraternité qui, avec l'humilité de ses personnes , constituent le terreau poétique dont notre époque désinscarnée, à la recherche d'une identité, a besoin de défendre si elle veut gagner sa liberté.

Cette désinvolture, n'entame en rien, le respect que je porte à ces poètes. C'est aussi pour moi, affirmer mon identité Bretonne, ma nostalgie d'exilé et l'amour d'une vie véritable en laissant mon imaginaire rassembler les vivants et le mort dans un dernier fest noz. J'ose espérer qu'il me sera beaucoup pardonné. Que mon délire de manouche rejoigne l'esprit sauvage de Marie-Josée Christien, en ses terres de Cornouailles.

Roger Dautais

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS

Née en 1957 à Guiscriff, dans la Cornouaille morbihannaise, institutrice dans une école maternelle, ses textes poétiques, ses collages et ses chroniques sont publiés régulièrement dans une quinzaine de petites revues. A cofondé en 1991 une publication annuelle, Spered Gouez/L'esprit sauvage. Son recueil Lascaux et autres sanctuaires (Jacques André, 2007), dédié à la mémoire d'André Leroi-Gourhan notamment, interroge « la pierre caverneuse où soufflent les esprits énigmatiques de nos ancêtres millénaires » écrit dans sa préface José Millas-Martin.

Retrouvez-là sur le site du poète Guy Allix

http://guyallix.art.officelive.com/invites.aspx

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Landartiste, photographe, auteur de livres pour enfants, Roger Dautais est aussi un artiste atypique, sensible et attachant.Il a sû, dans la diversité de ses expressions, trouver une harmonie par la pratique quotidienne de cet art éphémère : le Land Art. Il dit "y puiser forces et ressources qui lui permettent, également, depuis de nombreuses années, d'intervenir auprès de personnes en grande difficulté ( Centre de détention pour longues peines et personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer) pour les aider par la médiation de l'art.